L’Europe : changer ou périr

de Nicole Gnesotto

Tallandier, 318 p., 20,90 €

L’ouvrage de Nicole Gnesotto a été écrit avant l’invasion russe de l’Ukraine. Son message reste néanmoins tout à fait audible dans le tumulte que provoque cet événement majeur. Spécialiste des questions de sécurité, elle presse les Européens de devenir plus autonomes et solidaires dans un monde redevenu chaotique et menaçant. Pour y parvenir, elle recommande de changer le cap suivi depuis le traité de Rome, en 1957, et surtout le traité de Maastricht, en 1992.

Nicole Gnesotto ne propose pas de réformes institutionnelles. Mais elle invite à casser certains moules idéologiques qui façonnent les politiques communautaires et le consensus des gouvernements.

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Le plus important à ses yeux est celui du libre-échangisme, devenu une fin en soi au service d’une harmonisation sans cesse plus poussée des marchés. Or la mondialisation, dont l’Union européenne (UE) est un acteur déterminant, a fini par buter sur deux écueils : les crises sociales et la colère des perdants des délocalisations ; et la dépendance envers des puissances économiques qui avancent leurs pions géopolitiques. Le marché ne doit plus être l’alpha et l’oméga de l’intégration européenne, insiste l’auteure, aujourd’hui vice-présidente de l’Institut Jacques Delors. Les outils commerciaux doivent être intégrés à une vision stratégique du monde.

Soutenir la constitution d’un pilier européen au sein de l’Otan

Un autre moule à briser, selon elle, est celui de l’atlantisme. Les Européens vont devoir choisir entre se diluer dans un camp occidental aux frontières incertaines ou se constituer en une entité autonome et souveraine. Le choix, là encore, est politique et nécessite de rompre avec le passé. Dès les années 1950, l’emprise de l’Otan pour assurer militairement la sécurité de l’Europe de l’Ouest face au bloc soviétique a limité au domaine économique le champ des coopérations proprement européennes. L’UE – ou plutôt son ancêtre, la CEE – a été évincée d’emblée des enjeux de défense, ce qui la soumet à une forme de dépendance. Or elle doit pouvoir affirmer ses intérêts dans une relation d’égale à égale avec les États-Unis.

Dans cette perspective, Nicole Gnesotto invite paradoxalement les dirigeants et les diplomates français à déconstruire un discours qui politise les questions de défense, ce qui les met souvent en porte-à-faux avec leurs partenaires. Ils transposent en effet à l’échelon européen la vision gaulliste d’une France indépendante, en tout cas autonome au sein de l’Otan. Or la plupart des pays de l’UE continuent de faire confiance, pour leur sécurité, à cette organisation pilotée depuis Washington. Par ailleurs, la souveraineté ne se mesure pas qu’à l’armement dont un pays dispose – la Russie s’en rend compte ! L’autonomie européenne devrait être pragmatiquement recherchée en priorité dans des domaines tels que le numérique, l’industrie, le spatial… L’auteure recommande donc de ne plus assimiler l’Europe politique à l’Europe de la défense mais de soutenir la constitution d’un pilier européen au sein de l’Otan, qui s’autonomisera au gré des événements.

« Changer ou périr » : au fil de son ouvrage, Nicole Gnesotto plaide sa cause avec vigueur et en décochant quelques flèches – les Pays-Bas, par exemple, en prennent pour leur grade. Elle reçoit dans la préface l’appui de Jacques Delors, qui préconise un « aggiornamento européen durable ». En faisant vaciller quelques certitudes routinières, ce livre contribue à nourrir des débats qui vont s’amplifier dans les prochaines années.