L’Europe lance la course à la taxation minimale mondiale

La Commission dévoile sa proposition législative destinée à transposer avant 2023 l’accord OCDE sur l’imposition minimale de 15% pour les multinationales.
Antonia Przybyslawski, à Bruxelles
Paolo Gentiloni, le commissaire européen à l'Economie, lors de la conférence de presse du 22 décembre 2021.
Paolo Gentiloni, le commissaire européen à l'Economie, lors de la conférence de presse du 22 décembre 2021.  -  Crédit European Union.

La Commission européenne (CE) ne perd pas de temps. Au surlendemain de la présentation technique de l’accord de l’OCDE, Bruxelles a lancé le grand chantier de la fiscalité minimale des entreprises. Dans un projet de directive dévoilé mercredi, elle propose des règles communes «sur la méthode de calcul du taux d’imposition effectif, afin qu’il soit appliqué de manière appropriée et cohérente dans l’ensemble de l’UE». Ainsi, le taux d’imposition effectif minimal de 15% devrait s’appliquer à tous les groupes d’envergure internationale dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros, qui disposent d’une société mère ou d’une filiale située dans un État membre de l’UE. La CE étend par ailleurs le champ d’application de l’accord de l’OCDE en incluant les grandes sociétés purement nationales.

Si le taux effectif minimum n’est pas appliqué par le pays dans lequel est établie une société faiblement imposée, des dispositions sont prévues pour permettre à l'État membre de la société mère d’appliquer un impôt supplémentaire. La proposition de l’exécutif européen prévoit par ailleurs une imposition effective dans les cas où la société mère se trouve en dehors de l’UE dans un pays à faible imposition qui n’applique pas de règles équivalentes.

Eviter la course vers le bas

«Nous n’abolissons pas la concurrence fiscale. Nous n’introduisons pas une harmonisation de l’imposition des sociétés dans l’UE, nous aurons toujours un niveau très différent d’imposition des sociétés dans les Etats membres. Ce que nous introduisons c’est une limite minimale à 15% sur la fiscalité des entreprises afin d’éviter une course vers le bas», a expliqué le commissaire européen à l’Economie, Paolo Gentiloni, en présentant la proposition européenne.

Aux termes de l’accord conclu par les 137 pays de l’OCDE en octobre dernier, l’application d’un taux d’imposition minimum de 15% aux entreprises multinationales doit être mise en place à compter de 2023. Afin de respecter le délai établi, les États membres devront se soumettre à un calendrier serré de négociations et de débats sous l’impulsion de la présidence française du Conseil de l’UE.

Quelle assiette fiscale ?

«Tous les États membres de l’UE qui font partie du cadre inclusif de l’OCDE ont soutenu l’accord mondial en octobre. C’est une chose dont nous sommes très fiers. Nous ne ménagerons aucun effort pour maintenir ce consensus et faire en sorte que la directive du deuxième pilier soit adoptée au cours de la présidence française», a affirmé Paolo Gentiloni.

«Tout va se jouer sur la définition de l’assiette fiscale, explique Mathieu Parenti, chercheur à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et spécialiste de la fiscalité internationale. L’assiette taxable varie d’un Etat membre à l’autre. A défaut d’avoir des règles de calcul communes, les Etats membres vont devoir trouver un compromis sur les assiettes fiscales. Les discussions autour de ce sujet vont être intimement liées au projet BEFIT (Business in Europe : Framework for Income Taxation) que la Commission proposera d’ici 2023. Ce projet a pour objectif d’harmoniser les règles de calcul fiscale au niveau européen et de les rendre plus justes. Ce ne sera pas une négociation facile car plusieurs Etats membres ont déjà exprimé leur opposition à l’idée d’une consolidation fiscale.»

Longtemps opposées au projet fiscal à l’OCDE, la Hongrie, l’Estonie et l’Irlande ont fini par s’aligner sur les 134 autres pays pour parvenir à un accord international. Les trois Etats membres pourraient cependant profiter des négociations au Conseil de l’UE, dont l’unanimité est requise pour les affaires fiscales, afin de faire valoir leurs réticences sur l’application du Pilier 2 au niveau européen.

La France veut protéger le CIR

«Il y a beaucoup d’aléas à l’adoption des directives qui sont soumises à l’unanimité. La Hongrie, par exemple, qui se trouve sous le feu des critiques en ce qui concerne l’Etat de droit et dont le plan de relance n’a toujours pas été validé par la Commission, pourrait utiliser son veto sur la fiscalité pour forcer les choses, analyse Eulalia Rubio, chercheuse à l’Institut Jacques Delors. L’Irlande et l’Estonie pourraient aussi s’opposer à la mise en place de la directive européenne.»

Une analyse sur l’Irlande qui n’est pas partagée par Mathieu Parenti : «Dublin est bien préparée pour l’implémentation du Pilier 2. Les Irlandais ont négocié en amont de la signature à l’OCDE deux taux statutaires, l’un à 12,5% qui est le taux actuel, et un autre à 15% pour les grandes multinationales. Cependant si l’accord bloque au niveau des Etats-Unis, cela pourrait avoir un impact pour l’Irlande dont l’assiette fiscale est composée en grande partie par des sociétés américaines.»

Enfin, la France qui va devoir mener les discussions à la table du Conseil, voudra sans doute éviter que le Crédit d’impôt recherche soit comptabilisé dans le taux effectif imposable.

L’imposition minimale des sociétés est l’un des deux axes de travail de l’accord global, le Pilier 1 se focalisant sur la réattribution des bénéfices résiduels des multinationales. La Commission présentera une proposition relative à ce pilier en juillet 2022, après la signature d’une convention multilatérale dans le cadre de l’OCDE.

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