L'UE adopte une "taxe carbone" aux frontières pour verdir ses importations industrielles

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L'UE adopte une "taxe carbone" aux frontières pour verdir ses importations industrielles

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Une usine d'incinération à Issy-les-Moulineaux, en Ile-de-France.
Une usine d'incinération à Issy-les-Moulineaux, en Ile-de-France.
© Maxppp - A. de Roll

Verdir les importations industrielles en faisant payer les émissions carbones liées à leur production : l'UE a adopté mardi un mécanisme inédit à ses frontières, qui doit aussi signer la fin des "droits à polluer" gratuits alloués aux industriels européens.

Les négociations auront duré toute la nuit et ont abouti au petit matin, pour une grande première. Les négociateurs des Vingt-Sept et du Parlement européen sont parvenus à un accord mardi sur la création d'une "taxe carbone" aux frontières. Il ne s’agit pas d'une taxe à proprement parler. En clair, ce dispositif consistera à appliquer aux importations des Vingt-Sept les critères du marché du carbone européen, où les industriels de l'UE sont tenus d'acheter des "droits à polluer". Ce mécanisme doit permettre d’éviter la délocalisation de la production manufacturière de l’UE vers des pays moins exigeants en matière de protection du climat.

Cette taxe carbone est l'un des principaux points du "pacte vert" de l’UE, dont l’objectif est de réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990, dans le but d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

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Quels sont les secteurs concernés ?

Ce sont les matière premières les plus polluantes à produire : l’acier, l’aluminium, le ciment, l’engrais, l’électricité, mais aussi l’hydrogène. Le dispositif tiendra compte des émissions "indirectes" (générées par l'électricité utilisée pour la production). Les revenus attendus, qui pourraient dépasser 14 milliards d'euros annuels, alimenteront le budget général de l'UE.

Des droits à polluer à acheter

Aujourd’hui, les industriels indiens ou chinois par exemple, qui produisent ces matières premières polluantes sans respecter les normes européennes anti-pollution, peuvent les importer en Europe, sans devoir s’acquitter d’un droit à polluer. Demain, ils devront donc passer par la caisse et acheter des quotas d’émissions sur le marché européen du carbone.

Avec l'envolée du prix de la tonne de CO2, l'idée est d'éviter un "dumping écologique" qui verrait les industriels délocaliser leur production hors d'Europe, tout en encourageant le reste du monde à adopter les standards européens. Concrètement, l'importateur devra déclarer les émissions directement liées au processus de production, et si celles-ci dépassent le standard européen, acquérir un "certificat d'émission" au prix du CO2 dans l'UE. Si un marché carbone existe dans le pays exportateur, il paiera seulement la différence.

Une entrée en vigueur encore floue

Le mécanisme sera lancé dans moins d’un an, en octobre 2023, avec une phase de test pour commencer. Les entreprises importatrices devront simplement rapporter leurs obligations. Les pourparlers vont se poursuivre en fin de semaine, pour déterminer l’entrée en vigueur de la taxe pour les importations, en 2026 ou 2027.

Supprimer les quotas gratuits

Dans le même temps, l'UE supprimera progressivement les quotas d'émission gratuits alloués jusqu'ici aux industriels européens, pour soutenir leur compétitivité face aux concurrents étrangers. Depuis 2005, le marché carbone permet d'échanger des droits d'émission de CO2 de la même manière que des titres financiers. Mais il y a un hic : 94 % des émissions industrielles sont couvertes par des quotas gratuits, selon l'institut Jacques Delors. D’après les estimations du WWF, les quotas gratuits ont coûté 98,5 milliards d’euros à l'Union européenne entre 2013 et 2021, alors que le marché européen des quotas d’émission n’a rapporté que 88,5 milliards d’euros sur la même période.

À mesure que montera en puissance l'"ajustement aux frontières", les quotas gratuits distribués aux secteurs concernés seront supprimés progressivement. Un point crucial : en traitant à égalité importations et production locale, Bruxelles estime rester dans les clous des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et contrer les accusations de "protectionnisme". Mais le calendrier de suppression des quotas gratuits, âprement discuté, ne sera abordé que vendredi et samedi dans les pourparlers sur la réforme du marché carbone.

"Un pilier crucial des politiques climatiques européennes"

"C'est une étape majeure qui nous permettra de faire plus pour le climat tout en protégeant nos entreprises et nos emplois", a réagi Pascal Canfin, le président de la commission de l'Environnement du Parlement. "L’accord obtenu cette nuit est une nouvelle première mondiale dans le cadre du Green Deal. C'est la mise en œuvre concrète d’une idée française initiée il y a plus de 20 ans par Jacques Chirac. Pour la première fois, nous allons assurer un traitement équitable entre nos entreprises, qui paient un prix du carbone en Europe, et leurs concurrents étrangers, qui n'en paient pas", ajoute l’eurodéputé.

"Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières sera un pilier crucial des politiques climatiques européennes. C'est l'un des seuls mécanismes dont nous disposons pour inciter nos partenaires commerciaux à décarboner leur industrie manufacturière", affirme dans un communiqué l'eurodéputé Mohammed Chahim, rapporteur de ce texte et négociateur pour le Parlement.

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