► « L’ensemble des Russes n’est pas responsable de l’invasion de l’Ukraine »

« En termes juridiques, la question peut se formuler ainsi : est-ce qu’une interdiction de visa doit être prononcée vis-à-vis de l’ensemble des ressortissants russes ? Certes, l’admission sur le territoire national est du ressort des États membres. Et si un État veut interdire l’entrée de séjour, de visite ou d’activité professionnelle à un ressortissant russe, il le peut.

Mais est-ce que l’Union européenne dans son ensemble doit et peut interdire automatiquement le visa à tous les détenteurs d’une nationalité ? À mon avis, ce n’est ni souhaitable ni juridiquement très fondé. La mécanique des sanctions contre la Russie jusqu’ici est centrée sur des secteurs d’activité ou des cercles de décisions : des entreprises et des individus qui ont un rôle important dans l’effort de guerre russe en Ukraine, comme les entreprises d’armement, ou les personnes qui jouent un rôle dans l’organisation, le déroulement et la conduite des opérations militaires.

Interdire les visas à toute une nationalité, c’est changer complètement de logique juridique, c’est frapper tout un groupe. Cela indiquerait que les Russes dans leur ensemble sont responsables de l’invasion de l’Ukraine, ce qui est évidemment faux. Des pays comme la Finlande veulent accueillir uniquement des réfugiés politiques, pas de touristes, et refuse aussi toute coopération universitaire ou entre entreprises civiles. Les gouvernements d’Estonie, de Finlande et de Pologne veulent que l’Europe entre dans une confrontation complète avec la Russie.

Une grave erreur

Une telle mesure ne me paraît pas souhaitable si l’on veut sanctionner le gouvernement de Poutine tout en conservant des canaux de communication avec la société civile russe. À mon avis, cela ne susciterait qu’une seule réaction : le repli sur soi. Ce serait une preuve supplémentaire pour la propagande du Kremlin que l’Europe est contre la Russie. Et cela ne ferait qu’alimenter le sentiment de russophobie, alors que la société civile russe n’est pas unanime sur la question de l’intervention en Ukraine ni sur Poutine. Selon moi, ce serait commettre une grave erreur de s’aliéner l’ensemble de la population russe de cette façon. Si l’UE décide de refuser les visas aux Russes, on peut être sûr que, dans dix ans, ils feront tous leurs études et leurs placements d’actifs financiers en Chine.

Les pouvoirs publics français et allemands savent que la Russie restera le voisin de l’Europe. Ils veulent marquer leur désaccord profond avec l’invasion de l’Ukraine… tout en maintenant la communication et la coopération avec la Russie quand cela est possible.

Il est très important que l’UE soit consciente que l’un des avantages qu’elle possède dans son rapport de force avec la Russie, c’est justement qu’elle est attrayante pour les citoyens russes : études, finances et soins. C’est un véritable levier d’influence de l’UE sur Moscou qu’il ne faut surtout pas perdre. »