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Macron en visite à Pékin : le casse tête chinois des Européens

EDITORIAL. La France et l'Europe ne veulent pas s’aligner sur les positions américaines face à la Chine. L’équilibre est pour le moins délicat alors que, depuis l’agression russe en Ukraine, les 27 sont toujours plus dépendants des Etats-unis pour leur sécurité et pour leurs approvisionnements énergétiques, estime notre éditorialiste Marc Semo.

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Le président français et celui chinois en novembre 2022. 

AFP / Pool

Pendant les trois décennies du triomphe de la globalisation, les relations des Occidentaux, notamment des Européens, avec Pékin se sont fondées sur le triptyque d’une Chine considérée à la fois "partenaire, concurrente et rivale". Partenaire, elle l’est en matière commerciale et pour son rôle dans les grandes problématiques mondiales communes, par exemple la lutte contre le réchauffement climatique. C’est une concurrente pour l’économie et la technologie. Mais elle représente aussi une rivale systémique affirmant son propre modèle de valeur qui se veut alternatif à celui de la démocratie libérale occidentale.

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L’agression russe contre l’Ukraine et la "neutralité bienveillante" chinoise vis-à-vis de la Russie ont changé la donne même si le mouvement était déjà amorcé depuis quelques années. Les Américains considèrent toujours plus clairement la Chine comme une menace, voire la principale, et ils en tirent désormais toutes les conséquences.

Ne pas isoler la Chine

L’approche des Européens est différente, voire à certains égards opposée. La Chine est certes aussi pour les 27 un sujet central, en toile de fond de la plupart des sujets abordés lors du sommet des 23 et 24 mars. Mais ils ne veulent surtout pas l’isoler. Une "amitié" même sans "limite" comme celle proclamée entre Xi Jinping et Vladimir Poutine juste avant l’invasion de l’Ukraine et reconfirmée lors de la visite du leader chinois à Moscou le 22 mars, n’est pas une alliance et, a fortiori, pas une alliance militaire.

En se fondant sur cette certitude, alimentée en outre par la dissymétrie grandissante des intérêts économiques de ces deux pays, des états européens, à commencer par la France et l’Allemagne, espèrent pouvoir séparer la Chine de la Russie- ou du moins limiter leur rapprochement.

C’est tout le sens de la visite à Pékin début avril d’ Emmanuel Macron accompagné de la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen. Quelques jours plus tôt, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez était dans la capitale chinoise.

Un an après le début de la guerre d’Ukraine, le soutien de la Chine à la Russie n’a pourtant pas faibli, même si elle s’est jusqu’ici bien gardée de lui livrer du matériel militaire. L’image de la Chine a pourtant totalement changé dans les opinions publiques européennes où elle est désormais perçue comme un danger, y compris dans certains des pays de l’Europe orientale et des Balkans un moment séduit par les offres pékinoises.

Mais les principales puissances économiques de l’Union, continuent à ménager Pékin au nom du réalisme économique. "Ce triptyque [ partenaire- concurrente- rivale] est efficace, nous devons lui rester fidèle", rappelait encore il y a quelques jours le chancelier allemand Olaf Schotlz. Les divergences sur la politique chinoise se font donc toujours plus évidentes entre les deux rives de l’Atlantique. 

Défi et menace pour les Européens

On l’avait d’ailleurs constaté lors du dernier sommet de l’Otan dont les conclusions définissaient la Chine comme "un défi systémique", formule quelque peu édulcorée par rapport à celle de "menace systémique" que voulait d’abord imposer l’administration Biden. Les pressions des Etats-unis se font toujours plus fortes afin d’embarquer l’Europe dans leur politique "d’endiguement" vis-à-vis de la Chine, stratégie théorisée dés le début de la guerre froide qui visait à tisser des réseaux d’alliance afin d’empêcher l’expansion de l’Urss. C’est dans cette logique que Joe Biden a organisé le 29 mars un "sommet des démocraties", le deuxième du genre, tout aussi virtuel que le précédent en décembre 2021, avec quelque 121 pays qui ne sont pas tous exemplaires en la matière.

Si l’ensemble des Etats membres de l’Union à l’exception de la Hongrie, étaient représentés au sommet, une partie des Européens, notamment Paris, ont marqué leur différence. Ils ne veulent pas s’aligner sur les positions américaines sans pour autant vouloir être équidistant entre Washington le grand allié et… Pékin.

L’équilibre est pour le moins délicat alors que, depuis l’agression russe en Ukraine, les 27 sont toujours plus dépendants des Etats-unis pour leur sécurité et pour leurs approvisionnements énergétiques. "Les Etats – Unis veulent que l’on choisisse notre camps. Washington et Pékin ont une vision binaire du monde. Le risque est de voir s’instaurer une logique de blocs : les Etats -unis et l’Union Européenne contre la Russie et la Chine", expliquait au Monde Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors soulignant que "Poutine n’attend que ça".

Miser sur le dialogue avec la Chine pour éviter - ou du moins ralentir - la bipolarisation du monde, voilà une gageure. N’est- ce pas reproduire la politique qui fut menée en vain pendant des années vis à vis du Kremlin?

L’interdépendance croissante des économies et les effets bénéfiques du doux commerce étaient censés rapprocher toujours plus la Russie de l’Occident. Ou, à tout le moins, apaiser ses appétits. Les avertissements de la Pologne comme des Etats Baltes et des autres pays qui furent sous la botte soviétiques n‘étaient guère pris au sérieux à l’Ouest. Aujourd’hui ce sont eux qui face à la Chine prennent à niveau des positions dures au diapason de celles de Washington.

Diplomatie chinoise VS anarchisme de Poutine

"La rencontre de Moscou entre Xi Jinping et Vladimir Poutine devrait inciter les Européens à ouvrir les yeux ; la Chine n’a pas joué un rôle de médiateur et elle est ouvertement en faveur de la Russie", rappelait le premier ministre letton Arturs Krisjanis. Si ces deux dirigeants ont la même volonté de remettre en cause la domination, et notamment américaine sur le monde, leurs méthodes et surtout leurs calendriers restent très différents. La Chine s’investit à fond dans le système onusien dont elle a beaucoup bénéficié depuis trente ans. "Elle tente de le changer de l’intérieur en fonction de ses intérêts  dans une approche révisionniste", écrit dans une étude de l’Ifri le chercheur Bobo Lo soulignant les différences avec "l’approche destructrice et anarchique d’un Vladimir Poutine".

Pourtant malgré l’enlisement des offensives russes et les rodomontades nucléaires du Kremlin, le partenariat tient toujours et pourrait même se renforcer. La Chine s’accommoderait fort bien d’une guerre longue qui détourne l’attention américaine de l’Asie, accroît le ressentiment russe contre l’Occident et, surtout, rend la Russie toujours plus dépendante de son soutien économique. Pékin a néanmoins beaucoup plus à perdre que Moscou dans l’instabilité mondiale créée par ce conflit. Face à la politiquement "d’endiguement" menée par Washington à son encontre, la Chine tente de renouer avec les Européens à la fois pour fissurer le bloc occidental et relancer son économie.

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Les "loups combattants", ces très agressifs ambassadeurs chinois, se font désormais patelins. Le président chinois se présente en homme de paix, parraine un accord irano-saoudien, propose un plan de paix pour l’Ukraine qui fait la part belle aux positions russes et se pose en porte parole du "sud global." Les Européens, à commencer par Emmanuel Macron, font le pari de le prendre au mot, même si la politique de Pékin vis à vis de Taïwan continue de se durcir.

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