Marché de l’électricité : la France poussée au compromis dans ses négociations avec l’Allemagne

Le président français Emmanuel Macron (G) discute avec le chancelier allemand Olaf Scholz (D) lors d'une promenade au deuxième jour d'une retraite gouvernementale franco-allemande de deux jours à Hambourg, en Allemagne, le 10 octobre 2023. [EPA-EFE/GREGOR FISCHER / POOL]

Alors que la France et l’Allemagne sont en train de négocier un « accord commun » pour régler leurs dissensions sur le marché européen de l’électricité, l’Espagne, présidente du conseil de l’UE, a présenté mercredi (11 octobre) une nouvelle proposition de compromis bousculant les positions françaises.

Pour juguler les effets de la crise énergétique que traverse l’UE, la Commission européenne a proposé en mars dernier une loi réformant le marché européen de l’électricité.

Celle-ci laissait la voie à la régulation des prix sur les actifs décarbonés de l’UE, y compris les actifs existants, par le biais de contrats d’écarts compensatoires bidirectionnels (contracts for différence, CfD, en anglais).

Paris s’est engouffrée dans la brèche, espérant trouver au passage un moyen de remplacer son mécanisme d’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), qui arrive à expiration le 31 décembre 2025.

Seulement voilà, l’Allemagne, l’Espagne et d’autres États membres engagés dans une transition vers le 100% renouvelable y sont opposés. Selon eux, l’intégration du nucléaire existant dans le système de CfD créerait une distorsion massive de concurrence sur le marché européen en ouvrant les vannes à une électricité nucléaire française abondante et à bas prix.

Afin de conclure les négociations en cours depuis plusieurs mois, la France et l’Allemagne ont décidé de négocier un « accord commun », selon les mots du président de la République, Emmanuel Macron, lors d’un sommet à Hambourg lundi et mardi (9 et 10 octobre).

Dans la foulée, l’Espagne, qui préside le conseil de l’UE jusqu’au 31 décembre 2023, a présenté mercredi (11 octobre) une nouvelle proposition de compromis dévoilée par le média en ligne Contexte, dans laquelle Madrid propose de supprimer totalement la possibilité d’intégrer les actifs existants des mécanismes de régulation en cours de négociation.

Une proposition radicale, qui aurait « surpris » jusqu’à Berlin, apprenons-nous du milieu diplomatique allemand.

Des échos similaires nous sont parvenus du milieu diplomatique français. 

Paris et Berlin visent un accord sur le marché de l'électricité d'ici fin octobre

Paris et Berlin vont tenter de régler leurs différends concernant la réforme du marché de l’électricité proposée par l’UE d’ici novembre, ont annoncé les dirigeants franco-allemands ce mardi (10 octobre).

Coup de pression espagnol

Les inquiétudes côté français sont bien réelles. 

En conférence de presse mercredi, le ministre de l’Économie et du Climat allemand, Robert Habeck, a bien signifié que la distorsion de concurrence possible en cas d’ouverture des actifs nucléaires existants aux CfD, était toujours le point de discorde numéro un entre les deux pays.

Tel que rapporté par l’AFP, le désaccord a « pour une fois, rien à voir avec la forme de l’énergie, qu’elle soit nucléaire ou renouvelable », mais avec le fait que la France s’appuie sur EDF, « un groupe public qui, grâce aux garanties de l’État, peut éventuellement faire […] ce qu’un système d’économie de marché ne peut pas faire », a déclaré M. Habeck.

En bref, « c’est cela qu’il faut clarifier et c’est là que nous sommes sur la voie de la clarification », a complété le dirigeant allemand.

De ce point de vue, la proposition espagnole ne serait pas pour déplaire à l’Allemagne, puisque des CfD sur les actifs nucléaires existants créent ce risque de distorsion de concurrence.

L’Espagne jouerait ainsi le rôle de « mauvais flic », en interférant dans les négociations entre la France et l’Allemagne afin d’accélérer le mouvement  ?

« Cela peut faire sens compte tenu de la volonté de la présidence espagnole de boucler le dossier d’ici la fin de l’année, poussant la France à négocier plus rapidement que prévu peut-être, avec l’Allemagne », confirme Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique énergétique auprès du think tank européen Institut Jacques Delors.

Les 27 se réunissent en effet mardi (17 octobre) à Luxembourg pour un conseil « Énergie » potentiellement décisif compte tenu du calendrier européen serré. À l’approche des élections européennes de juin, le temps presse en effet pour trouver un accord avec le Parlement européen dans les prochains mois. Officiellement, deux autres conseils « Énergie » sont prévus le 5 et le 19 décembre pour permettre aux 27 d’arrêter leur position et d’ouvrir les négociations avec les députés.

Le rôle joué par l’Espagne, qui tenterait de forcer un accord en vue de la réunion de mardi, «paraît plausible sur le papier », nous confie également Nicolas Goldberg, expert des marchés de l’énergie auprès du cabinet Colombus Consulting. “Néanmoins l’Espagne n’avait pas forcément besoin de l’aval de l’Allemagne pour apporter une telle position », tempère-t-il.

En outre, « l’optimisme affiché par Emmanuel Macron peut laisser penser que la France n’est pas prête à lâcher le morceau sur les CfD pour les actifs nucléaires existants », ajoute M. Nguyen. 

D’abord, explique-t-il, parce que les CfD permettraient de réguler les prix pour le consommateur par la mise en place d’un plafond au-dessus duquel l’État redistribue les rentes des producteurs d’électricité aux consommateurs particuliers ou industriels.

Plusieurs associations de fournisseurs et de consommateurs d’électricité sont d’ailleurs montées au créneau par communiqué de presse jeudi (12 octobre) et ont défendu la possibilité de CfD sur les actifs existants.

« À la lumière des négociations en cours au niveau du Conseil et des communications qui en découlent […], nous soutenons pleinement la proposition initiale de la Commission [européenne] sur l’utilisation des CfD pour encourager les investissements dans les capacités de production nouvelles et existantes », ont affirmé par communiqué jeudi (12 octobre) trois associations de consommateurs et de fournisseurs.

« Reprendre le contrôle du prix de l’électricité » : comment la France avance ses pions ?

Les ambassadeurs de l’UE se réunissent mercredi (4 octobre) à quelques jours d’un conseil de l’UE décisif pour la réforme du marché européen de l’électricité. La France défend toujours la possibilité de contrats préférentiels sur ses actifs nucléaires existants, afin de maintenir la concurrence et assurer des prix abordables pour les consommateurs. Explications.

D’un autre côté, le président de la République déclarait depuis Hambourg que la France et l’Allemagne “ne veulent pas de modèle subventionné » hormis pour les industriels gros consommateurs d’électricité, conformément aux souhaits exprimés par Berlin pour satisfaire aux demandes de ses industriels.

« Nous voulons un modèle qui corresponde aux coûts de production [de l’électricité] », a-t-il ajouté.

Un appel du pied à EDF à qui l’État français a demandé de réfléchir à un modèle de prix de l’électricité pour le consommateur qui se rapproche du niveau des coûts de production du nucléaire — autour de 60-70 € MWh, nous confiait une source française début octobre.

Dès lors, cela permettrait au président de la République de tenir sa promesse aux français de reprendre le « contrôle des prix de l’électricité » d’ici la fin de l’année.

Tant que cela respecte les règles européennes sur les aides d’États « c’est faisable, mais ce serait mieux dans un cadre européen », nous explique M. Goldberg.

Attention, toutefois, au niveau du plafond, prévient M. Goldberg.

Pour le moment, le ministère de la Transition énergétique français, l’Élysée et la représentation permanente de la France à Bruxelles n’ont pas répondu à nos demandes de sollicitation.

« Ils ne parleront pas, c’est le mot d’ordre », nous glisse un représentant du secteur énergétique. Le porte-parole du groupe du parti présidentiel Renaissance à l’Assemblée nationale, Antoine Armand, a tout de même pris la parole sur X (ex-Twitter) jeudi, déclarant que « la proposition de la présidence espagnole conduira la France à défendre ses intérêts : faire évoluer cette proposition ou légiférer nous-mêmes »

Le député menace : « Nous sommes nombreux à y être prêts ».

À M. Goldberg de conclure : « cette proposition de compromis espagnol nous fait faire du surplace ».

Réforme du marché de l’électricité : l'exécutif français menace de faire cavalier seul

La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a déclaré mardi (29 août) à Paris que la France pourrait avancer des solutions nationales, plutôt qu’européennes, pour réduire les prix de l’électricité si les discussions sur la réforme du marché européen n’avançaient pas dans le sens de ses propositions.

[Édité par Frédéric Simon]

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