Mario Draghi au siège de la Commission européenne à Bruxelles, le 7 mars 2022

Mario Draghi, ici au siège de la Commission européenne à Bruxelles, le 7 mars 2022, entend réformer le marché du pétrole. Mais la tâche n'est pas des plus aisées.

afp.com/Kenzo TRIBOUILLARD

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Mario Draghi ne recule pas devant les défis. Après les dettes souveraines des pays de la zone euro, puis l'économie transalpine, le chef du gouvernement italien a trouvé un nouveau combat. Depuis quelques semaines, l'ancien banquier de Goldman Sachs s'est mis en tête de réformer le marché du pétrole. Ou, tout au moins, de changer la donne pour les clients des puissants producteurs regroupés dans l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et certains de ses partenaires comme la Russie.

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En mai dernier, "Super Mario" est même allé plaider cette cause devant Joe Biden. Avec un avis que semble partager le locataire de la Maison-Blanche : "Nous sommes tous deux mécontents de la façon dont les choses fonctionnent (...). Les prix n'ont aucune relation avec l'offre et la demande", expliquait-il à l'issue de leur rencontre. Les faits lui donnent raison. En l'espace d'un an, le cours du baril de pétrole brut est passé de 72 à 120 dollars. Corollaire immédiat : des deux côtés de l'Atlantique, les prix à la pompe flambent de manière disproportionnée, suscitant la colère des automobilistes.

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Or, l'évolution du prix du pétrole brut dépend des quotas de production que l'Opep s'engage à mettre sur le marché : ces derniers représentent en effet près de 40% du pétrole extrait dans le monde. Un poids déterminant, qui pourrait même s'accentuer dans les années à venir avec la transition vers les énergies renouvelables entamée par les majors pétrolières occidentales. Mario Draghi, lui, suggère de rétablir le rapport de force en créant un cartel d'acheteurs pour contrebalancer celui des vendeurs de pétrole. "C'est un serpent de mer. On en parle depuis plusieurs années", observe François Lévêque professeur d'économie à Mines ParisTech.

Avoir des prix plus faibles

Selon lui, ce mécanisme aurait deux grands mérites : "D'une part, avoir des prix plus faibles, ce qui renforcerait le pouvoir d'achat des consommateurs. D'autre part, limiter les transferts financiers vers des pays comme la Russie ou l'Arabie saoudite. Cette dimension géopolitique pose question aujourd'hui." Dans sa quête d'indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, l'Europe a déjà sauté le pas ces derniers mois. Pour s'approvisionner en gaz naturel liquéfié (GNL), la Commission européenne négocie désormais au nom d'autres États membres. De quoi peser dans les négociations et limiter la compétition entre les Vingt-Sept, qui a un effet inflationniste sur les prix du GNL. "C'est une avancée significative car cette idée de cartel n'était pas dans l'ADN de l'Europe, et démontre la volonté d'une action commune", insiste François Lévêque.

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Après le gaz, l'heure est-elle aux achats groupés de pétrole ? La mise en place d'un tel mécanisme s'annonce compliquée. En premier lieu parce qu'il faudrait sans doute tordre le bras des compagnies pétrolières occidentales. "Si les Etats n'enjoignent pas les majors à rejoindre le cartel, ça ne marchera pas. Les pays de l'Opep détiennent le contrôle total sur leurs pétroliers, c'est essentiel", explique François Lévêque. Une autre façon de procéder serait de créer un cartel participatif, ce qui suppose de garantir à ceux qui "entreraient dans la coalition de pouvoir bénéficier de meilleures conditions qu'en restant à l'extérieur", poursuit l'expert.

Difficile à mettre en place

Un noeud difficile à démêler, étant donné l'hétérogénéité des situations énergétiques des pays du bloc occidental. Les Etats-Unis, exportateurs de pétrole depuis le boom du schiste et dont les producteurs sont très éclatés, n'ont pas les mêmes préoccupations que les pays européens. Pour peser face aux pays producteurs et à l'Opep+ (les pays producteurs plus 10 autres, dont la Russie), "il faudrait réunir des consommateurs d'une taille significative", note pour sa part Phuc-Vinh Nguyen, chercheur à l'Institut Jacques Delors. "Ce ne sera pas simple à mettre en place en dehors de l'Union européenne, avec des pays qui peuvent être tentés de jouer leur propre partition pour obtenir des prix moins élevés", poursuit l'expert.

Des obstacles qui expliquent pourquoi Mario Draghi lui-même semblait privilégier l'idée de pousser les membres de l'Opep à augmenter leur production pour juguler la flambée des cours du brut. Une décision a été prise dans ce sens le 2 juin dernier par l'organisation, sans aucun effet notable sur le prix du baril. Un argument dont pourrait se saisir "Super Mario" pour plaider avec plus de force son idée de cartel.

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