La perspective d'un gouvernement italien dirigé par la candidate d'extrême droite Giorgia Meloni inquiète à Bruxelles, en particulier sur la question sensible des sanctions contre Moscou, mais diplomates et experts n'imaginent pas Rome prendre le risque de renoncer aux énormes aides promises par l'UE.

"Ce n'est pas la première fois que nous risquons de nous confronter à des gouvernements constitués avec des partis d'extrême droite ou d'extrême gauche", rappelle le commissaire européen à la Justice Didier Reynders.

"Laissons aux électeurs le choix de leurs élus. Nous réagirons aux actes du nouveau gouvernement et nous avons des instruments à notre disposition".

Dirigeante du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, Giorgia Meloni est donnée favorite des élections législatives de dimanche. Elle se prépare à gouverner en coalition avec la Ligue, la formation anti-européenne dirigée par Matteo Salvini, et Forza Italia, le mouvement conservateur crée par Silvio Berlusconi.

Au plus fort de la crise provoquée par le conflit entre la Russie et l'Ukraine, l'Italie serait, après la Suède, le second membre de l'UE à se doter d'un gouvernement de coalition avec l'extrême droite.

A l'approche d'un hiver qui s'annonce tendu (énergie, inflation...) et qui mettra à l'épreuve l'unité européenne, les changements politiques passés en Suède et probables en Italie "ne vont pas aider à la prise de décisions nécessairement difficiles", souligne Fabian Zuleeg, du groupe de réflexion European Policy Centre.

- Le retour des "fantômes" -

L'Alliance de Forza Italia --membre du Parti Populaire européen-- avec l'extrême droite suscite de vives critiques au Parlement européen.

Meloni au pouvoir en Italie? Bruxelles anticipe des tensions, mais pas de ruptures

"Les fantômes que l'on croyait disparus reviennent. Le fait que des partis pro-fascistes puissent gagner des élections en Europe avec l'approbation du groupe PPE est très préoccupant", s'est insurgée Iratxe Garcia Perez, la présidente du groupe socialiste.

La dirigeante espagnole a dénoncé le soutien apporté à ce rapprochement avec l'extrême droite par l'Allemand Manfred Weber, qui cumule les fonctions de président du Parti populaire européen et de président du groupe au Parlement.

Cette rupture du cordon sanitaire préoccupe dans les Etats membres. "Le risque est que cela lève les préventions et favorise des alliances similaires en Espagne ou en France", confie à l'AFP un responsable européen.

Au sein des institutions européennes, on estime cependant que l'importance des montants destinés à la relance de l'économie de la péninsule --200 milliards d'euros-- devrait inciter les nouveaux dirigeants italiens à une forme de prudence sur le fond.

"Se passer des milliards du plan de relance serait suicidaire", résume Sébastien Maillard, directeur de l'institut Jacques Delors.

- "Incertitude inquiétante" -

"L'Italie a multiplié les signaux visant à rassurer les marchés et ses partenaires européens", souligne un diplomate européen. "Qui sera le ministre des Finances? Les noms qui circulent sont des noms bien connus à Bruxelles. Donnons-leur le bénéfice du doute".

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"Les Italiens ne sont pas devenus anti-européens et eurosceptiques comme les Britanniques", ajoute en écho Sébastien Maillard. "En revanche, avec Salvini dans la coalition, Vladimir Poutine peut être rassuré, il n'y aura pas de nouvelles sanctions européennes contre la Russie".

Plus largement, les prises de positions des dirigeants des partis de la probable coalition gouvernementale italienne sont fluctuantes.

"Cette incertitude est inquiétante", reconnaît la ministre française pour l'Europe Laurence Boone.

Paris et Berlin vont, de fait, perdre un allié de poids au sein de l'UE. Emmanuel Macron avait noué une véritable complicité avec Mario Draghi. "L'Italie va devenir un allié difficile pour la France", prédit Sébastien Maillard.

Des tensions au sein de l'UE sont aussi appréhendées sur l'immigration et plusieurs sujets sociétaux, notamment le droit à l'avortement.

Autre point de friction annoncé avec l'Italie: l'opposition affichée de Giorgia Meloni aux sanctions proposées par la Commission européenne pour contraindre le Premier ministre hongrois Viktor Orban à lutter contre la corruption et à respecter l'Etat de droit.

La majorité qualifiée est nécessaire pour suspendre le versement des financements européens et l'opposition de l'Italie, un des grands pays fondateurs, peut bloquer le processus.

"On va voir si les Etats sont capables de maintenir la pression sur Viktor Orban", lâche, dubitatif, un responsable de l'exécutif européen.