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Entreprise

Nucléaire, marché de l'énergie, retraites... : les dossiers brûlants de Luc Rémont, nouveau patron d'EDF

Le nouveau PDG hérite d’une entreprise en crise avant d’aborder l’hiver, dont le projet d'OPA vient d'être validé par l'Autorité des marchés financiers (AFM). Relancer le nucléaire, renégocier avec Bruxelles les règles du marché de l’électricité... L’ex-dirigeant de Schneider se voit en mission. Il est servi.

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Luc Rémont. Polytechnicien peu connu du grand public, le nouveau PDG d'EDF devra amadouer le corps social de l'entreprise et relancer le nucléaire.

Ip3 Press/Maxppp

C’est parti pour Luc Rémont. Depuis ce jeudi 24 novembre, l’ancien directeur général des opérations internationales de Schneider Electric est à la tête d’EDF, dont le projet de rachat par l'état a été déclaré conforme par l'Autorité des marchés financiers (AMF) mardi 22 novembre. Renationalisation du groupe, relance du parc nucléaire et des renouvelables, négociation avec Bruxelles sur les règles du marché de l’électricité et, à très court terme, gestion de la production avant les trois mois d’hiver, le nouveau boss débarque à EDF "dans un contexte de crise, un contexte d’urgence", appuie Sophie Primas, présidente LR de la commission des Affaires économiques du Sénat.

L’électricien vit une situation paradoxale. Avec les prix de l’électricité qui explosent, le cru 2022 aurait dû être exceptionnel. Mais comme la production nucléaire et hydraulique est en berne, il subira une perte historique. Luc Rémont, dont la candidature a été proposée par l’Elysée, "a été courageux d’accepter le job", euphémise Phuc-Vinh Nguyen, expert de l’énergie à l’Institut Jacques-Delors. Aussi surprenant soit-il, contrairement à ses prédécesseurs Jean-Bernard Lévy et Henri Proglio, le nouveau boss, 53 ans, n’a jamais dirigé d’entreprises.

Un inconnu du grand public, une tête bien faite

Inconnu du grand public mais bien identifié dans la sphère industrielle, ce polytechnicien, fils d’un ingénieur et d’une psychiatre, et père de quatre enfants, a la tête bien faite. Il est surtout un bon connaisseur de l’appareil d’Etat: il est passé par la direction générale de l’armement puis celle du Trésor où il a même été le supérieur hiérarchique du tout-puissant secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler. Puis il a fait ses classes politiques en cabinets ministériels, auprès des ministres Francis Mer, Hervé Gaymard et Thierry Breton. Luc Rémont est aussi un expert des fusions acquisitions - il a dirigé pendant sept ans la filiale française de Merrill Lynch. Son passage au sein de Schneider lui a permis d’acquérir une expérience internationale. Un plus au moment où EDF peine à exporter ses EPR. L’électricien ne lui est pas étranger. Il fut conseiller industriel du ministre de l’Economie lors de l’ouverture du capital de l’entreprise en 2005.

Pieds du nez du destin

Aujourd’hui, Luc Rémont fait le grand écart puisque c’est un EDF 100 % public qu’il va bientôt piloter. Pragmatisme? Ses détracteurs dénoncent "une absence de conviction", "une trop grande plasticité". Ils lui reprochent également son rôle de conseiller d’Alstom lors de la vente controversée de sa division énergie à General Electric. Nouveau pied de nez du destin, cette entité est désormais de son ressort, EDF venant de finaliser son rachat à GE. Validée le 26 octobre par les députés et sénateurs avec 58 avis favorables sur 106 exprimés, la candidature de Luc Rémont ne fut pas une formalité. Le patron a subi les foudres des parlementaires LFI et RN et même celles de la rapporteure LR à l’Assemblée Anne-Laure Blin qui d’emblée a émis un avis défavorable. Durant l’audition parlementaire, le Polytechnicien a encaissé les critiques sans broncher. D’une voix posée, ce militaire de réserve a évoqué son parcours, celui d’ "un jeune Français élevé dans les valeurs du mérite et du travail" dont le rêve était de devenir ingénieur. "J’ai servi l’intérêt général dans le secteur public et privé", dit-il. Ajoutant qu’ "EDF, c’est autre chose, une fierté nationale. Je vois ce rôle moins comme une fonction que comme une mission".

Production nucléaire en berne

Très vite, Luc Rémont va devoir rassurer sur les capacités de production de l’établissement alors que l’hiver s’annonce plus rude que les précédents. D’après plusieurs organismes météo, la France pourrait connaître l’hiver le plus froid depuis cinq ans. Mais son premier défi sera économique: il lui faut rentabiliser les actifs existants afin de pouvoir financer les projets futurs. Maintenance du parc nucléaire, nouveaux réacteurs EPR 2, modernisation des réseaux, l’électricien fait face à un mur d’investissement de 200 milliards d’euros. Historiquement, l’atome était sa pompe à finances. Aujourd’hui c’est son boulet. Le parc accusant près de 35 ans de moyenne d’âge, les visites décennales indispensables à la sûreté s’éternisent en immobilisant les réacteurs parfois pendant plus de six mois.

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La crise sanitaire a allongé et décalé les programmes de maintenance. A cela s’est ajouté un phénomène inédit, des problèmes de corrosion sur certains réacteurs. Ces galères en série ont mis au tapis près de la moitié du parc de 56 réacteurs. Cette année, la production nucléaire tournera autour de 280 térawatt-heures, soit le plus bas niveau depuis 1990. Le manque d’électrons générera une perte d’Ebitda de 32 milliards d’euros. Quinze réacteurs devraient être reconnectés au réseau d’ici à la fin de l’année. Mais le nouveau PDG devra aller plus loin.

Achever l’interminable EPR de Flamanville et s’attaquer aux problèmes structurels du nucléaire: la perte de compétence des opérateurs et le manque d’attractivité de la filière. Il s’attellera aussi au chantier des six EPR 2. Pas question de traîner. Le pays a besoin de nouveaux moyens de production car la décarbonation va générer un boom des usages électriques (chauffage domestique, véhicules, bornes de recharge...). Pour les deux premiers EPR à Penly (Seine-Maritime) "on vise des travaux préparatoires pour mi-2024, indique Gabriel Oblin, directeur de projet EPR 2. Pour une mise en service à l’horizon 2035-2037". .En attendant, Luc Rémont devra tirer les enseignements du fiasco de Flamanville. "Il faudra mettre en place une gouvernance plus professionnelle capable de gérer correctement les prestataires", indique Nicolas Goldberg, expert au cabinet Colombus Consulting. Le PDG devra aussi trouver des financements pour le nouveau parc. Un point crucial car le nucléaire est une industrie très capitalistique. Les retards sur les chantiers font bondir les frais fi nanciers qui s’élèvent parfois jusqu’au tiers du coût de construction.

Les réseaux, une priorité

Les réseaux seront aussi une des priorités de Luc Rémont. Il l’a dit lors de son audition au Sénat: "La flexibilité accrue de l’offre et la demande d’électricité locale (...) exigent des investissements en raccordements et en systèmes numériques." Il y a vingt ans, tout était simple. Les centrales qu’elles soient nucléaires, au charbon, au fuel ou hydrauliques produisaient en continu. Aujourd’hui, se sont ajoutés les renouvelables. Ces énergies intermittentes nécessitent de renforcer l’infrastructure et de développer de nouvelles interconnexions. Les fermes éoliennes et les parcs photovoltaïques étant souvent implantés dans des lieux inhabités, l’opérateur doit poser des câbles pour acheminer l’électricité.

Le service aux clients sera un des axes stratégiques de Luc Rémont. Mais son principal enjeu, celui qui engage tous les autres, c’est la réforme du marché de l’énergie sous l’égide de Bruxelles. Aujourd’hui, les prix spot de l’électricité sont déterminés en fonction de la dernière centrale appelée en Europe, souvent une centrale à gaz. Les hausses exponentielles de ces derniers mois ont montré les limites du système et la nécessité de découpler les prix de l’électricité de ceux du gaz. Secrétaire du Comité social et économique central d’EDF, Philippe Page Le Mérour propose que les prix de l’électricité soient calculés à partir du mix de production nationale. "L’Espagne et le Portugal ont obtenu cette mesure de Bruxelles. Pourquoi pas la France "L’autre réforme sera celle de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Ce dispositif qui oblige EDF à revendre à prix bradé à ses concurrents une partie de sa production est un "poison", disait l’ancien PDG Jean-Bernard Lévy. L’Arenh devra être renégocié ou abandonné.

Le spectre du plan Hercule

Le dernier chantier de Luc Rémont sera interne. Ces trois dernières années, les syndicats d’EDF ont combattu le plan Hercule qui visait à réorganiser l’électricien en plusieurs entités. Ils ont obtenu le retrait du projet. Ces derniers mois, ils ont applaudi à la nationalisation de leur entreprise. Pour eux, cette reprise en main grave dans le marbre l’idée du groupe EDF intégré. Mais cette lecture n’est peut-être pas celle de l’actionnaire. "L’Etat pourrait ressusciter Hercule, estime Benjamin Fremaux, président du groupe d’infrastructures énergétiques Idex et expert associé à l’Institut Montaigne. Et cela pourrait passer car, après les pertes abyssales qui vont être annoncées en février, la réorganisation apparaîtrait comme la seule solution pour sauver le groupe."

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Pas sûr que cette logique financière convainque les syndicats. Pour eux, le démantèlement est un casus belli. Et ils savent se faire entendre comme ils l’ont démontré en octobre avec des grèves assez suivies, pour défendre les salaires. L’agenda social est d’ailleurs chargé avec en ligne de mire le dossier brûlant des retraites alors que le gouvernement pourrait bien s’attaquer aux derniers régimes spéciaux de la RATP et d’EDF. Luc Rémont n’a pas l’expérience du dialogue social dans une grande entreprise publique, mais il quitte Schneider avec une solide réputation de chef d’équipe. "Je suis ultra-humaniste plus que ultra-libéral", s’est-il défendu devant les parlementaires. Une culture qu’il a sans doute forgée chez les Scouts et Guides de France. Il ne s’énerve jamais et quand la pression est trop forte il aime citer Les Tontons flingueurs pour détendre l’atmosphère. Ce passionné de voile, qui a participé à la course mythique Sydney-Hobart, aura besoin de toutes ses qualités de marin pour affronter ces tempêtes successives.

Ce qu'ils disent de lui

Sébastien Jumel, député PCF. "Vous avez un CV qui vous a conduit à faire l’inverse de ce qu’il nous semble nécessaire de faire pour EDF."
Emmanuel Babeau (ex-Schneider). "Dans sa dernière fonction au sein de Schneider, il a réalisé un travail d’orfèvre pour gérer la reprise de la division électrique du groupe indien Larsen & Toubro."
Marine Le Pen dans un tweet. "Le banquier d’affaires Luc Rémont avait supervisé la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric. Un hasard?"
Francis Mer, ancien ministre des Finances. "C’est un homme de qualité. Il est travailleur et se pose les bonnes questions. Je suis sûr qu’il va réussir à EDF."
Stéphane Courbon (Bank of America Merrill Lynch). "Luc ne manage pas de sa tour d’ivoire. Il partage les victoires et assume les défaites."

Des urgences en haut de la pile

Cordemais Crédit : LOIC VENANCE / AFP
La centrale de Cordemais, près de Nantes. (LOIC VENANCE / AFP)

A l’arrêt pour maintenance ou problèmes de corrosion, près de la moitié des 56 réacteurs français sont au tapis. L’atome, qui était la pompe à finances d’EDF, est devenu son boulet. L’électricien doit aussi investir en masse dans de nouvelles connexions avec les renouvelables (parc photovoltaïque de Marcoussis, ci-dessus) Autre chantier: renouer le dialogue social après les grèves de septembre-octobre (comme à la centrale de Cordemais, près de Nantes), dans la perspective de la réforme des retraites. 

Vers des coupures électriques en janvier?

production nucléaire Crédit : Challenges

Vent de panique chez les opérateurs d’électricité. Les dernières prévisions météorologiques saisonnières se révèlent moins bonnes que prévu avec un hiver qui pourrait être plus froid que ces cinq dernières années. Surtout la production d’électricité pourrait ne pas répondre à la demande. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE a averti vendredi 18 novembre qu’il existait désormais un risque "élevé" de tensions sur le réseau électrique en janvier, en raison du redémarrage plus lent que prévu de réacteurs nucléaires EDF. Le risque que RTE appelle les Français à réduire leur consommation électrique en janvier, sous peine de coupures, a augmenté. RTE comme Enedis travaillent sur des scénarios de délestage: des coupures de courant de 2 heures par jour maximum. Enedis a établi un zonage territorial qui permet d’alterner les quartiers concernés et d’éviter les bâtiments sensibles comme les établissements de soin. A date, "les autorités s’inquiètent de constater qu’opérateurs téléphoniques et hôpitaux sont encore faiblement équipés en groupes électrogènes", révèle un proche du dossier. La question de la répartition territoriale de l’effort est posée : les grandes métropoles, a fortiori, Paris et la petite couronne pourraient être moins impactées par les coupures en raison de la forte concentration de sites sensibles. Un sujet explosif. 

Par T.D.

Les chiffres fous d'EDF

50 milliards.
Le coût du grand carénage pour prolonger de dix à vingt ans le parc nucléaire historique.
50 milliards. Le coût des 6 EPR 2, soit trois paires à Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et dans la vallée du Rhône.
100 milliards. Investissements dans les infrastructures électriques. Les réseaux de transport d’électricité (RTE) et de distribution (Enedis) doivent être modernisés et renforcés pour accueillir les renouvelables.

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