Transition

Pacte vert européen : un bilan positif, un avenir menacé par les droites

13 min

Avec son Green Deal, l’UE s’est dotée d’un arsenal législatif solide pour faire face au changement climatique, malgré plusieurs faiblesses. Mais l’hostilité montante des droites européennes le met en péril.

Alors que la fin de législature européenne se profile, le Pacte vert (ou Green Deal) fait l’objet d’attaques de plus en plus vives venues d’une droite qui monte en puissance dans les pays de l’Union.

Dernier épisode en date, le mouvement des agriculteurs qui, de Paris à Berlin en passant par Bruxelles, dénoncent « l’empilement des normes », et particulièrement celles qui cherchent à limiter les pratiques agricoles nuisibles pour l’environnement, mais plus rémunératrices… 

Alors que la fin de législature européenne se profile, le Pacte vert (ou Green Deal) fait l’objet d’attaques de plus en plus vives, alimentées et amplifiées par une droite qui monte en puissance dans les pays de l’Union. Dernier épisode en date, le mouvement des agriculteurs qui, de Paris à Berlin en passant par Bruxelles, dénoncent « l’empilement des normes », et particulièrement celles qui cherchent à limiter les pratiques agricoles nuisibles pour l’environnement, mais plus rémunératrices.

Annoncé fin 2019 par Ursula Von Der Leyen, fraîchement arrivée à la tête de la Commission européenne, le Pacte vert est la feuille de route des Vingt-Sept pour mettre en œuvre l’Accord de Paris sur le climat signé en 2015. L’objectif de l’Union est à la fois conforme à ce texte international et ambitieux : atteindre la neutralité climatique en 2050.

Un contexte initialement favorable

Pour la première fois, l’UE décidait de faire de cet engagement climatique l’objectif structurant de toutes ses politiques sectorielles. Le Pacte vert se voulait innovant et transversal, touchant à l’énergie, aux transports, aux bâtiments, aux déchets, à l’alimentation, à la préservation de la nature et à la politique commerciale.

« Le Green Deal, c’est un projet d’envergure, reconnaît Faustine Bas-Defossez, du Bureau environnemental européen, une organisation de la société civile. La Commission adoptait enfin une approche systémique, touchant quasiment tous les domaines. »

Le contexte état alors favorable. En 2019, les marches pour le climat, les rapports du Giec et la poussée verte aux élections européennes avaient permis de construire un « vaste soutien des grands groupes politiques au Pacte vert, y compris du Parti populaire européen [PPE, droite], dont fait partie la présidente de la Commission », ajoute Faustine Bas-Defossez.

Ce quasi-consensus semble aujourd’hui bien lointain. Il n’empêche que durant les cinq dernières années, les législations estampillées « Green Deal » se sont empilées à un rythme soutenu, malgré des résistances qui n’ont cessé de croître au fil de la législature.

L’acte fondateur du Green deal est la loi climat votée par le Parlement européen et le Conseil des ministres de l’UE en juin 2021. Elle inscrit la neutralité climatique comme horizon en 2050 et relève fortement à cette fin l’objectif climatique de l’UE pour 2030 : les émissions de gaz à effet de serre devront avoir été réduites d’au moins 55 % par rapport à l’année 1990. Jusque là, il s’agissait d’atteindre -40 %.

Pour atteindre ce nouvel objectif de -55 %, la Commission a alors présenté un vaste programme (« Fit for 55 » en anglais) renforçant et complétant la législation existante. Deux paquets législatifs, composés de plus d’une vingtaine de stratégies, propositions de directives et règlements sont présentés en juillet puis en décembre 2021 par l’exécutif européen. Trois ans plus tard, tous ces textes ont été adoptés à l’issue de négociations, parfois houleuses, entre Parlement et Etats membres.

Une baisse conséquente des émissions, mais l’oubli du social

Clef de voûte de l’architecture européenne de réductions des émissions de CO2, le marché carbone, ou plus exactement, le « système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre » (SEQE), a été sérieusement amendé à l’occasion du Green Deal. L’Union européenne visait auparavant une baisse de 43 % des émissions en 2030, par rapport à 2005, dans les secteurs couverts par le SEQE, qui représentent 36 % des émissions de l’UE – énergie, aviation au sein de l’UE, industries à forte intensité énergétique. L’objectif est désormais de 62 %.

Pour y parvenir, le plafond d’émissions de CO2 imposé à l’ensemble des entreprises assujetties à ce système va diminuer annuellement à un rythme plus soutenu qu’initialement prévu. Alors que le nombre de quotas devait reculer de 2,2 % par an de 2024 à 2030, la baisse est désormais fixée à 4,3 % par an jusqu’en 2027, puis à 4,4 % sur la période 2027-2030. Par conséquent, moins de quotas d’émissions seront attribués, ce qui va renchérir le prix du carbone et pousser les entreprises à réduire davantage leurs rejets de CO2.

« Le processus législatif n’a pas été à la hauteur du défi social de l’action climatique », déplore Chiara Martinelli, directrice de Can Europe

Par ailleurs, la fin des allocations gratuites de quotas a été actée, malgré les fortes pressions des secteurs bénéficiant de cette mesure – l’aviation, l’industrie manufacturière, la chimie, le verre, le ciment, etc. Cet avantage leur avait été octroyé pour éviter les délocalisations mais, bénéficiant de fait à la quasi-totalité des secteurs industriels, y compris peu exposés à la concurrence internationale, il constituait un frein à la transition.

La suppression des quotas gratuits ne sera toutefois effective qu’en 2034, alors que le Parlement préférait une sortie dès 2032. Le nombre de quotas alloués gratuitement chaque année diminuera à mesure que le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » montera en puissance, à partir de 2026.

Avec ce dispositif conçu pour égaliser les conditions de la concurrence internationale et éviter un « dumping écologique », les entreprises étrangères qui souhaiteront exporter dans l’UE de l’aluminium, des engrais, de l’énergie, du ciment, du fer ou de l’acier devront acheter des certificats intégrant le prix du carbone européen.

L’autre changement majeur est l’extension du SEQE aux secteurs du bâtiment et des transports, autrement dit une forme de taxe carbone sur les carburants fossiles pour se chauffer et se déplacer. Un sujet explosif, malgré le projet de création d’un « fonds pour une transition juste », destiné à compenser l’effet de cette mesure pour les populations aux bas revenus et qui seront les plus impactées. On touche là à l’une des faiblesses du pacte vert.

« Le processus législatif n’a pas été à la hauteur du défi social de l’action climatique », déplore Chiara Martinelli, directrice de l’ONG Can Europe (Réseau action climat).

Elle dénonce une politique du « deux poids, deux mesures », en comparant les 86 milliards prévus pour le futur fonds de transition juste » et les 416 milliards de quotas gratuits qui continueront à être offerts aux industries jusqu’en 2030. « Dans le pacte vert, le social n’a jamais vraiment fait partie de la réflexion », abonde Faustine Bas-Defossez. Pourtant, « C’est la condition de l’acceptabilité sociale du Green Deal », abonde Camille Defard, cheffe du centre Energie de l’Institut Jacques Delors.

Objectifs rehaussés

Les textes du « Fit for 55 » ont tous été adoptés sous forme de directive ou de règlement, à l’issue de compromis entre institutions forcément imparfaits, mais qui ont pour la plupart contribué à rehausser les objectifs. La directive relative à l’efficacité énergétique, visant à réduire la consommation finale d’énergie, est un exemple notable. Alors que l’ancien texte visait une diminution de la consommation finale de 32,5 % en 2030 par rapport à 2007, la cible est désormais de 38 %.

De même, le texte sur la performance énergétique des bâtiments, qui programme entre autres la fin des chaudières à combustibles fossiles en 2040. Les bâtiments représentant 36 % des gaz à effet de serre émis dans l’UE, la directive acte aussi l’obligation d’installer des panneaux solaires sur les bâtiments neufs et non-résidentiels, ainsi que la réduction de la consommation d’énergie de 16 % d’ici à 2030 dans les bâtiments résidentiels, par rapport à la consommation de 2020.

La précédente directive ne contenait qu’un objectif chiffré pour 2050. Les Etats membres devront rénover les 16 % des bâtiments les moins performants, ce qui déçoit les contempteurs de l’accord, qui estiment que ce rythme est trop lent.

Le Green Deal s’est déployé dans de nombreux autres domaines, avec un règlement sur l’écoconception de produits durables, une stratégie pour les forêts, une ambition « zéro pollution », la fin des voitures thermiques en 2035, la plantation de trois milliards d’arbres d’ici 2030, etc.

« Malgré les crises successives traversées par l’Union européenne, le Covid, la guerre en Ukraine, le choc des prix de l’énergie, la Commission a su garder le cap, commente Camille Defard. On peut même dire que le Green Deal a servi de boussole. »

Ainsi, les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé de consacrer à des mesures écologiques 37 % des 723 milliards d’euros de la « facilité pour la reprise et la résilience », instrument du plan de relance européen après la crise sanitaire. L’application concrète de cette disposition est à géométrie variable, mais le plan de relance a permis d’injecter de l’argent frais pour la transition.

Pour une fois, l’UE se mêle de politique industrielle. Des technologies « stratégiques » seront soutenues par l’octroi accéléré des permis de construire

De même, alors que l’agression de l’Ukraine faisait éclater au grand jour la vulnérabilité énergétique de l’UE, la Commission présentait dès le 18 mai 2022 son plan « Repower » : une feuille de route pour se désintoxiquer au plus vite du gaz russe. L’Union européenne a notamment relevé sa proposition de directive sur les énergies renouvelables, avec un objectif de 42,5 % de la consommation énergétique en 2030, au lieu des 40 % initialement proposés dans le Fit for 55.

Moyens limités

La politique industrielle du Green Deal avance en revanche à pas comptés, illustrant les limites de l’exercice vert européen. Aux Etats-Unis, la loi américaine sur la « réduction de l’inflation » proposée en 2022 par l’administration Biden va « booster » l’industrie verte avec un appui conséquent de 360 milliards de dollars. En Chine, de même, les subventions publiques affluent dans l’industrie de la « clean tech ».

Désorientée face à ce qu’elle considère comme des distorsions de concurrence, l’Union européenne a lancé elle aussi, en 2023, son « plan industriel du Pacte vert », composé d’un règlement pour une industrie à « zéro émission nette » et d’un autre portant sur les matières premières critiques.

Pour une fois, l’UE se mêle de politique industrielle. Des technologies « stratégiques » seront soutenues par l’octroi accéléré des permis de construire : solaire, éolien, pompes à chaleur, mais aussi nucléaire et capture de carbone, ce qui crispe du côté écologiste. Le règlement liste des critères de durabilité et de résilience, qui devront être pris en compte lors de procédures d’achat publics ou d’enchères, et favorise pour la première fois l’industrie européenne dans ces procédures, en tout cas pour au moins 30 % de ces enchères.

Mais quid des financements ? Pas grand-chose, à la différence de la Chine et des Etats-Unis. Alors que la Commission européenne plaidait pour la création d’un « fonds de souveraineté » qui aurait notamment soutenu l’industrie des technologies vertes, les divisions entre Etats en ont fait abandonner l’idée, en tout cas à ce stade.

Des dirigeants ont commencé à tirer sur le frein, comme en ont témoigné les appels aux « pauses » réglementaires

A la place, une proposition de « plateforme de technologies stratégiques » sans ambition, qui consiste en un agrégat de fonds déjà existants destinés à soutenir des projets industriels dans des domaines variés (technologies vertes, mais aussi espace et défense). La Commission européenne proposait d’abonder cette plateforme avec 10 milliards d’argent frais. Mais les Etats membres ont opposé une fin de non-recevoir. Seuls 1,5 milliard seront disponibles… pour le secteur de la défense uniquement.

Effritement du soutien politique

D’une façon générale, le manque de financements est le point faible du Pacte vert. Alors que l’argent du plan de relance sera épuisé en 2026, de nombreuses voix s’élèvent pour que la transition soit dotée de moyens à la hauteur de l’enjeu.

Plusieurs auteurs du think tank Bruegel, dont l’économiste Jean-Pisany Ferry, appellent à un grand plan européen d’investissement vert de 180 à 400 milliards d’euros. Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, s’est prononcée en faveur de l’émission d’obligations vertes. Le Conseil de l’UE, divisé, est soumis dans ces domaines à la règle de l’unanimité.

L’époque n’est plus vraiment à l’émission d’une nouvelle dette commune, plutôt aux économies. Le financement du Pacte s’effectue surtout au niveau national. Les aides d’Etat, dont le régime est assoupli, sont dégainées par les gouvernements qui peuvent se le permettre, fragmentant un peu plus le marché intérieur.

Plus grave encore : au fil de la législature, le soutien politique au Pacte s’est effrité. Manfred Weber, président du PPE, suivi par l’essentiel de son groupe, a manifesté ses réticences de plus en plus clairement sur tous les textes qui touchaient au monde agricole. Le doute a gagné aussi une partie du groupe centriste « Renew ». En haut lieu, des dirigeants ont commencé à tirer sur le frein, comme en ont témoigné les appels aux « pauses » réglementaires, lancés par Emmanuel Macron puis Alexander De Croo, le Premier ministre belge.

Premier texte tombé sur le champ de bataille du Green Deal : la révision du règlement sur l’évaluation, l’enregistrement et l’autorisation des substances chimiques, « Reach ». Le lobby de l’industrie chimique a su faire entendre sa voix au sommet de la Commission. On sait que Thierry Breton, le commissaire au Marché intérieur, a contribué aux nombreux reports du texte, aujourd’hui bien rangé au placard.

La révision de Reach était la pièce maîtresse de la stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques, qui visait à faire de l’UE un espace « exempt de substances toxiques ». Elle aurait permis de davantage réguler les substances les plus dangereuses.

Echec sur les pesticides

Si l’escamotage de la réforme de Reach n’a pas beaucoup ému au-delà des cercles d’initiés, les débats ont été autrement plus médiatiques au sujet de la biodiversité, qui constitue aussi un enjeu climatique : la protection de la nature, des forêts, de zones humides permet d’absorber davantage de CO2.

La proposition de règlement sur l’utilisation des pesticides, dont la cible était une baisse de 50 % de leur usage en 2030, vient d’être enterré par la Commission

La stratégie « biodiversité » a été présentée conjointement à un autre texte décrié, intitulé « De la ferme à la table ». Ce dernier visait à embarquer l’agriculture sur le chemin de la transition. Très vite, les syndicats agricoles majoritaires, plutôt représentants de l’agriculture intensive, ont œuvré, avec l’appui du PPE, contre deux textes emblématiques inclus dans ces stratégies : la loi de restauration de la nature et la directive sur l’utilisation durable des pesticides. Ils craignaient que l’on empiète sur la production agricole.

Malgré des passes d’armes virulentes au Parlement, le texte sur la restauration de la nature, bien qu’affaibli, a été adopté in extremis. L’Union européenne devra donc restaurer au moins 20 % des zones terrestres et maritimes d’ici à 2030.

Le véritable échec pour les défenseurs de l’environnement concerne l’utilisation des pesticides. La proposition de règlement sur leur utilisation, dont la cible était une baisse de 50 % de leur usage en 2030, a été enterrée par la Commission européenne, mardi 6 février.

Après des mois de fronde de députés européens, qui avaient voté contre le texte en novembre, le coup de grâce a été donné par les manifestations d’agriculteurs. Pour Brooke Moore, du think-tank « European Policy Centre », les manifestations agricoles ont montré, si besoin en était, que les « politique de luttes contre le changement climatique doivent trouver le bon équilibre entre les besoins économiques, sociaux et environnementaux ».

Les élections européennes approchent. Une poussée de l’extrême droite est annoncée dans les sondages, obscurcissant l’avenir du Pacte vert, sa mise en œuvre concrète, son financement. Et ses suites. Le 6 février, la Commission européenne a annoncé un nouvel objectif : réduire les émissions de CO2 de 90 % en 2040.

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Commentaires (1)
Elegehesse 14/02/2024
Quels gains pour les européens de réduire leurs émissions alors que le reste du monde les augmente ? Une obligation morale de donner l'exemple ne nourrit pas les classes populaires. Faire fuir les industries lourdes et importer du matériel chinois fabriqué avec de l'électricité charbon ???
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