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Paris et Berlin divergent toujours sur leur vision de l'Europe

Alors qu'Emmanuel Macron va se rendre à Berlin pour y rencontrer le chancelier Olaf Scholz après avoir prononcé un discours sur l'Europe devant le Parlement de Strasbourg, une certaine incompréhension continue de peser sur la relation franco-allemande. Paris a du mal à entraîner Berlin dans la mise en place d'un nouveau fonds de relance économique et le financement en commun de l'effort de défense européenne. Le logiciel européen d'Olaf Scholz reste à construire.

Timide, hésitant, plombé par l'héritage d'Angela Merkel, Olaf Scholz a du mal à trouver sa place sur la scène européenne
Timide, hésitant, plombé par l'héritage d'Angela Merkel, Olaf Scholz a du mal à trouver sa place sur la scène européenne (Thibault Camus/AP/SIPA)

Par Ninon Renaud, Catherine Chatignoux

Publié le 6 mai 2022 à 08:00

Lorsqu'en novembre dernier, ils s'étaient penchés sur l e copieux programme de coalition allemand , tous ceux qui s'intéressent aux questions européennes en France avaient jubilé. Après une ère Merkel décevante , le futur gouvernement d'Olaf Scholz composé des sociaux-démocrates, des Verts et des libéraux affichait clairement l'intégration européenne comme une priorité.

Tous les concepts martelés par Emmanuel Macron depuis son discours de la Sorbonne y figuraient, de la nécessaire autonomie stratégique de l'Europe jusqu'à une politique industrielle commune. Le programme allemand avait même affolé la boussole du Quai d'Orsay en affichant son ambition d'aller vers un « Etat fédéral européen ».

Quatre mois après l'arrivée du timide Olaf Scholz, et alors que le président français vient d'être réélu, l'horizon franco-allemand reste bouché. La relation est bonne et la chancellerie allemande accompagne avec bienveillance, comme elle l'avait promis, la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Elle a facilité l'adoption des textes sur la régulation des géants du numérique , le vote au Conseil de la taxe carbone aux frontières que Berlin désapprouvait il y a encore 4 mois, le salaire minimum, la réciprocité des marchés publics et la boussole stratégique qui offre un cadre nouveau à la politique de sécurité européenne.

Grande discrétion

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« La Commission européenne est installée, les gouvernements allemand et français sont désormais en place, c'est une belle opportunité d'avancer sur nos chantiers d'intérêts communs », promet Jörg Kukies, le sherpa d'Olaf Scholz. Selon lui, l'intégration énergétique de l'UE et la concrétisation politique du programme climatique européen « Fit for 55 » seront la priorité des prochaines années.

Il n'empêche, la grande discrétion du chancelier Scholz sur la scène européenne depuis l'attaque russe en Ukraine laisse perplexe à Paris. « On pouvait espérer des projets de relance de l'Europe y compris avec le Premier ministre italien, Mario Draghi. Or on a l'impression qu'Olaf Scholz a du mal à trouver sa place sur la scène européenne et qu'il est incapable d'y porter quelque chose de fort » explique Eric Maurice, de la Fondation Schuman.

Thierry Chopin, politologue et expert des questions européennes, est plus sévère. « Il y a un hiatus entre, d'un côté, l'affichage d'une ambition européenne très claire et, de l'autre, une hésitation à marquer la solidarité européenne envers l'Ukraine avec ce blocage de l'embargo sur le gaz russe . Or, les revenus du gaz et du pétrole, c'est le nerf de la guerre que mène la Russie en Ukraine. Scholz a du mal à être à la hauteur de l'histoire. »

Il est vrai que le chancelier n'a rien de moins à mener à domicile qu'un aggiornamento du modèle allemand provoqué par l'agression russe en Ukraine : « Revoir sa dépendance énergétique à la Russie, son rapport à la guerre et plus généralement à la mondialisation, explique Eric Maurice, c'est un bouleversement compliqué à gérer d'autant qu'il se double d'un pilotage délicat d'une coalition à trois où les intérêts de chaque parti sont différents. Il a un problème d'autorité politique qui se répercute à l'échelle européenne. »

L'héritage de Merkel

Pour Alexandre Robinet-Borgomano, de l'Institut Montaigne, « Olaf Scholz est plombé par l'héritage de Merkel et il va devoir le purger avant de permettre à l'Allemagne de changer d'ère ». Les deux erreurs majeures de l'ex-chancelière ? Avoir confié l'approvisionnement énergétique de l'Allemagne exclusivement à la Russie et avoir organisé une dépendance excessive de l'économie allemande au marché chinois.

Eric Maurice abonde : « Les Allemands ont voulu voir dans le gazoduc NordStream 2 un simple projet commercial alors qu'il s'agissait d'un sujet géopolitique qui mettait l'Allemagne à la merci de la Russie. » De la même façon, « le plan de 100 milliards d'euros d'achat d'équipements militaires annoncé récemment par Scholz, c'est un aveu de fausse route pendant des années. L'Allemagne a trop investi dans l'énergie russe. Pas assez dans la défense ni dans l'autonomie stratégique ».

Sa religion n'est par ailleurs pas encore faite sur la façon dont elle doit utiliser ces 100 milliards. Au grand dam de la CDU qui menace de ne pas apporter son soutien nécessaire, la coalition refuse d'armer exclusivement la Bundeswehr. Elle veut inclure des dépenses de sécurisation de l'approvisionnement énergétique, d'aide humanitaire et au développement.

Résultat : « On constate une absence de leadership du chancelier qui est dans l'hésitation et le refus de l'action comme l'était Merkel, obligé d'agir quand il est coincé dans ses retranchements. Son discours du 27 février annonçait un changement d'époque et cette vision lui a fait gagner en crédibilité, en capacité de leadership, souligne Alexandre Robinet-Borgomano. Mais ce discours ne s'est pas assez traduit dans les faits ou trop lentement. Ce principe de réalité s'oppose à l'audace de l'ambition », personnifiée par Emmanuel Macron.

Attentes déçues

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Dans ces conditions, les attentes de la France ne peuvent être que déçues. D'autant que même si chacun a mis de l'eau dans son vin dans le débat sur la réforme du Pacte de stabilité, l'Allemagne reste circonspecte sur la capacité de la France à tenir durablement ses finances publiques. « Nous avons un engagement européen du gouvernement allemand qui est clair mais une phase d'apprentissage du travail commun qui prendra quelques mois encore », reconnaît le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Clément Beaune.

Il retrouve un peu dans le comportement d'Olaf Scholz ce qui fut celui d'Angela Merkel : une méthode prudente des petits pas et la construction rationnelle de compromis. Le saut quantique qu'Angela Merkel a fait sur la fin de son dernier mandat, son successeur n'y est pas encore prêt. Ni sur la mise en place d'un nouveau fonds de relance économique ni sur le financement en commun de l'effort de défense européenne. Le logiciel européen d'Olaf Scholz reste à construire.

Catherine Chatignoux et Ninon Renaud, à Berlin

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