Pas d'évolution en vue pour le plan d'aide américain, Bruxelles redoute une tempête sur l'industrie européenne

Les présidents américain et français Joe Biden et Emmanuel Macron ont cherché jeudi à minimiser les tensions commerciales entre l'Union européenne et les Etats-Unis en affirmant vouloir « synchroniser » leurs approches en termes d'industrie verte et éviter la concurrence sur les emplois. Pour autant, il y a peu de chance que Washington retouche l'Inflation Reduction Act, ce programme d'investissements de 430 milliards de dollars qui favorise la production sur le sol américain. Le texte affole l’Union européenne, qui craint un exode industriel massif outre-Atlantique. Et pour cause, le tissu économique du Vieux continent, qui pâtit déjà de la crise gazière, risque d'en souffrir un peu plus, à défaut de subventions équivalentes.
Marine Godelier
(Crédits : KEVIN LAMARQUE)

Après plusieurs semaines de tension entre les Etats-Unis et l'Europe autour des conséquences du grand plan climat des Etats-Unis qui pourrait, selon Emmanuel Macron, « fragmenter l'Occident », Joe Biden et le chef de l'Etat français ont cherché à apaiser les choses, affirmant vouloir « synchroniser » les approches des deux côtés de l'Atlantique.

« Nous nous sommes mis d'accord pour discuter de moyens pratiques afin de synchroniser nos approches pour renforcer la chaîne d'approvisionnement, la production et l'innovation des deux côtés de l'Atlantique », a déclaré le président américain lors d'une conférence de presse commune à la Maison Blanche. Une position à laquelle a fait écho le président français, qui a assuré que les deux partenaires allaient « synchroniser (leurs) approches et (leurs) agendas pour investir dans les industries émergentes critiques telles que les semi-conducteurs, l'hydrogène, les batteries ».

Washington ne modifiera pas son texte

Pour autant, il y a peu de chance de voir Washington toucher à son Inflation Reduction Act (IRA), un texte très populaire dans certains Etats américains considérés comme clés et qui se veut l'un des marqueurs du mandat du président démocrate. D'autant plus qu'il a été arraché de haute lutte. En outre, le démocrate de 80 ans ne disposera plus, à partir de janvier, de sa majorité à la Chambre des représentants, résultat des élections de début novembre qui rend d'autant plus hasardeux toute tentative de modification de la loi, alors que les républicains ont dénoncé le coût du plan et rejettent les objectifs climatiques qui y sont associés. Pour rappel, le plan climat de Joe Biden prévoit 420 milliards de dollars d'investissements (369 milliards pour des investissements environnementaux), dont une part importante sous forme de subventions et de réductions d'impôts, en particulier pour les véhicules électriques, les batteries et les projets d'énergies renouvelables qui favorisent le « made in USA ».

L'ambassadrice américaine au Commerce Katherine Tai ainsi que le secrétaire d'Etat Antony Blinken et la ministre américaine du Commerce Gina Raimondo doivent rencontrer lundi, dans la banlieue de Washington, les vice-présidents de la Commission européenne Valdis Dombrovskis et Margrethe Vestager, dans le cadre du conseil ministériel du commerce et des technologies (TCC) entre les Etats-Unis et l'UE. L'occasion peut-être d'apaiser les craintes européennes. Notamment en matière d'énergie. Alors que l'Europe est frappée par une crise gazière sans précédent qui menace son tissu industriel, l'UE redoute que « the winner takes it all ». Avec son paquet de mesures protectionnistes pour aider ses entreprises, les Etats-Unis pourraient bien en effet lui porter le coup de grâce en provoquant une hémorragie de capitaux. D'autant que le gaz de schiste américain continue de s'écouler à prix d'or sur le Vieux continent afin de remplacer les hydrocarbures russes, et que les cours s'envolent moins outre-Atlantique, offrant une place de grand gagnant à Washington.

En effet, le plan IRA (« inflation reduction act ») affole Bruxelles. « Nous prenons tout cela très au sérieux », a ainsi souligné jeudi devant la presse Margrethe Vestager. Au point d'avoir dépêché la veille une équipe à Washington, qui sera chargée de discuter des dispositions fiscales problématiques, et d'analyser leurs effets potentiels de l'IRA sur la santé économique des Vingt-Sept. Et ce, afin qu'ils puissent « mettre rapidement au point des réponse systémiques » pour éviter un exode industriel massif outre-Atlantique.

Allègements fiscaux VS régulation du marché

Il faut dire que le plan américain, lancé à l'initiative du président Joe Biden, avantagera très largement les investissements dans les produits nationaux. Avec 369 milliards de dollars consacrés au climat, il prévoit des allègements fiscaux conséquents pour les batteries électriques et les infrastructures d'énergies renouvelables, d'hydrogène ou encore de séquestration du CO2 fabriqués aux Etats-Unis. Il exclut ainsi les modèles de constructeurs automobiles non-américains des crédits d'impôt de 7.500 dollars accordés aux acheteurs de voitures électriques, ce qui favorisera par exemple Tesla ou Ford par rapport à BMW ou Renault. Le but : accélérer la transition énergétique en rapatriant au maximum les chaînes d'approvisionnement.

De quoi déstabiliser l'Union européenne, dont la vision s'avère différente. Et pour cause, les règles de l'UE en matière d'aides d'État empêchent a priori les pays membres d'offrir des allégements fiscaux aussi généreux aux entreprises qu'aux États-Unis. En effet, la démarche de Bruxelles consiste plutôt à réguler les marchés afin d'inciter les industries polluantes à se décarboner, plutôt que d'offrir des milliards d'euros de subventions aux entreprises vertueuses.

« La façon dont ils [les Américains] font les choses est très différente de la façon dont nous les faisons. Ils soutiennent l'industrie dès lors qu'elle est ''verte''. Dans l'UE, on soutient plutôt l'innovation par la régulation, via le marché d'échange de droits à polluer, par exemple. Nous dirions qu'il faut taxer ce qui est mal, quand eux diraient qu'il faut subventionner ce qui est bien », a fait valoir jeudi Margrethe Vestager.

Buy European Act

Face à la concurrence américaine, l'UE pourrait néanmoins revoir son approche. Depuis octobre, Emmanuel Macron pousse notamment pour que l'Europe se dote de son propre IRA, un « Buy European Act », de manière à rester dans la compétition mondiale. Déjà évoqué sous Nicolas Sarkozy, ce projet de loi voudrait graver dans le droit la préférence accordée aux entreprises et aux produits européens dans les marchés publics, voire un soutien aux industries installées dans le marché commun. Paris et Berlin sont en tout cas d'accord pour pousser plusieurs axes d'amélioration de leur compétitivité, par exemple en accélérant la délivrance des agréments pour les projets d'intérêt européens (PIIEC) qui sont subventionnés, et en étendant ces derniers à d'autres domaines (hydrogène, batteries, santé, intelligence artificielle...).

Néanmoins, ces derniers « sont conçus pour stimuler l'innovation de pointe », et « ne peuvent donc pas être comparé à ce que font les États-Unis », a clarifié jeudi Margrethe Vestager. Surtout, un plan massif de subventions européennes, à hauteur de celui de la Maison blanche, n'est de toute façon pas à l'ordre du jour. Trop coûteux, il nécessiterait de recourir à un emprunt commun des européens sur le modèle de celle levée pendant le Covid.

Lire aussi« Buy European » : l'impossible réponse européenne face au protectionnisme américain

Accorder des exemptions à l'UE

Dans ces conditions, l'Union européenne pourrait aussi attaquer les mesures américaines auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cependant, déposer formellement un différend risquerait de fragiliser l'unité occidentale en pleine guerre russe en Ukraine. En outre, le processus est extrêmement long comme en témoigne la quinzaine d'années de traitement du conflit entre Bruxelles et Washington sur les aides publiques à l'aéronautique.

« Cette procédure, qui est longue, risque de ne pas suffire pour rassurer les entreprises européennes, et risquerait de provoquer une spirale de guerre commerciale. Or, les Européens ne veulent pas s'engager dans une voie protectionniste », soulignait il y a quelques jours à La Tribune Elvire Fabry de l'Institut Jacques Delors.

Pour l'heure, l'exécutif bruxellois espère surtout convaincre Joe Biden d'accorder des exemptions aux entreprises du Vieux continent, comme il en existe déjà pour les Mexicains et les Canadiens. Emmanuel Macron s'est d'ailleurs rendu cette semaine aux Etats-Unis pour bomber le torse face à Joe Biden, soulignant le risque de destruction de « nombreux emplois » et de relégation de l'Europe comme simple variable d'ajustement entre Washington et Pékin. De fait, l'IRA pourrait « faire perdre [à la France] 10 milliards d'euros d'investissements en France et 10.000 créations potentielles d'emplois », a récemment affirmé la Première ministre, Elisabeth Borne, aux Echos.

Une chose est sûre, le temps presse : dès le 1er janvier 2023, les voitures électriques assemblées aux Etats-Unis, au Canada ou au Mexique bénéficieront d'un premier crédit d'impôt de 3.750 dollars. Afin d'éviter l'hémorragie économique, Bruxelles a donc dans le viseur la date 5 décembre pour obtenir des avancées, jour où se réunit le Conseil commerce et technologie (CCT) UE-Etats-Unis, une instance censée coordonner les politiques commerciales et industrielles des deux espaces économiques.

Lire aussiLa distorsion de concurrence du plan Biden pour le climat peut « fragmenter l'Occident », prévient Emmanuel Macron

Marine Godelier
Commentaires 20
à écrit le 04/12/2022 à 11:44
Signaler
J'adhère one hundred per cent avec vos remarques. En effet si les gens travaillaient plus dur, avec une durée d'au moins 42 heures par semaine et jusqu'à 65 ans au grand minimum, il n'y aurait pas de pensions inférieures à 1200€ ce qui serait Byzance

à écrit le 03/12/2022 à 22:44
Signaler
Quelle lucidité ! en effet si les taux d'intérêt de la Fed étaient liés à la fluctuation du yuan chinois ce ne serait plus la banque fédérale américaine. Comme vous l'avez compris, seule une valorisation de la plus-value de la croissance inversée des...

à écrit le 03/12/2022 à 22:42
Signaler
Quelle lucidité ! en effet si les taux d'intérêt de la Fed étaient liés à la fluctuation du yuan chinois ce ne serait plus la banque fédérale américaine. Comme vous l'avez compris, seule une valorisation de la plus-value de la croissance inversée des...

à écrit le 03/12/2022 à 22:42
Signaler
Quelle lucidité ! en effet si les taux d'intérêt de la Fed étaient liés à la fluctuation du yuan chinois ce ne serait plus la banque fédérale américaine. Comme vous l'avez compris, seule une valorisation de la plus-value de la croissance inversée des...

à écrit le 03/12/2022 à 22:42
Signaler
Quelle lucidité ! en effet si les taux d'intérêt de la Fed étaient liés à la fluctuation du yuan chinois ce ne serait plus la banque fédérale américaine. Comme vous l'avez compris, seule une valorisation de la plus-value de la croissance inversée des...

à écrit le 02/12/2022 à 21:35
Signaler
Macron à fait flèchir Biden entre le gigot et le baba au rhum. Biden est un homme raisonnable De 430 milliards, il est passé à 429,9 milliards !

à écrit le 02/12/2022 à 18:42
Signaler
Bonjour, Bon ils faut dire que pour l'Amérique se sera toujours l'Amérique d'abord.... Donc pour l'Europe, nous devons être droit dans nos bottes, pour les voitures électriques ils faut que les composants soit assemblée en Europe, et que les batter...

à écrit le 02/12/2022 à 12:57
Signaler
Sans blague? Les Etats Unis sont en passe de finir de torpiller l'industrie européenne. Qui pouvait croire qu'une simple visite de Macron 1er allait changer leurs objectifs?

le 02/12/2022 à 17:42
Signaler
A part pour satisfaire son égo surdimensionné MACRON ne pouvait en rien modifier les textes votés par le Sénat et la Chambre des Représentants et non décidés par JO BIDEN seul et seul interlocuteur de MACRON. Donc oui le titre est parfaitement celui ...

à écrit le 02/12/2022 à 12:47
Signaler
Quand on parle de l'Inflaction Reduction Act on cite tjrs le crédit d'impôt sur les voitures électriques. Mais la France n'exporte pas de voitures électriques aux USA et elle on peut imaginer qu'elle ne les exportera jamais. Il faudrait donc nous ...

à écrit le 02/12/2022 à 12:23
Signaler
Un fabricant de batteries nordique hésite, les USA lui offrent 6 fois plus que l'Allemagne pour s'installer, que choisir ? Ben, les USA quitte à exporter des batteries (en cas de surplus) vers l'UE. L'énergie électrique peu chère (nucléaire, réacteur...

à écrit le 02/12/2022 à 10:44
Signaler
En parlant d'industrie ,on peut rappeler qu'il va y avoir une nouvelle conventions collectives de la Métallurgie. Environ 1,5 million de salariés et 42 000 entreprises, 78 conventions collectives dont 76 conventions territoriales, une convention rela...

à écrit le 02/12/2022 à 10:01
Signaler
Donc les USA ont torpillé notre marché des sous-marins avec l'Australie, nous féodalisent en nous empêchant d'acheter du gaz russe pour nous vendre le leur, nous plongent dans la récession avec leurs sanctions contre la Russie, ne disent pas ce qu'...

le 03/12/2022 à 10:25
Signaler
Vous oubliez que la France a un grand gestionnaire : Macron. ( je précise c'est de l'ironie). Et il y a encore des français qui ont confiance en lui, on ne doit pas être assez en bas.

à écrit le 02/12/2022 à 9:51
Signaler
les événements à venir projettent déjà leur ombre mais ne dissimuleront pas les affaires passées de l équipe hélas sans projet à long terme ni cap

à écrit le 02/12/2022 à 9:43
Signaler
Oui, oui, oui comme vous avez raison ! y'a pas que le fric dans la vie... quand les prolos que vous évoquez l'auront compris , ils se plaindront moins. Ils n'ont qu'à allé voir en Corée du Nord comme vous le dites souvent. Ils comprendront la chance ...

à écrit le 02/12/2022 à 9:43
Signaler
Il n'y a aucun partenariat possible avec les USA. Ils décident indépendamment des autres qui sont mis devant le fait accompli. Ils ont réussi a asphyxier les trois puissances qui leur faisaient de l'ombre : la Russie, la Chine et l'Europe. Quand Bide...

à écrit le 02/12/2022 à 9:42
Signaler
L'Europe, soumise aux US à qui elle achete pour des centaines de milliards de dollars d'armes militaire, se met a pleurer parce que les États Unis se foutent de son industrie? America First que se soit les républicains ou les démocrates, les américa...

à écrit le 02/12/2022 à 9:41
Signaler
J'adhère one hundred per cent avec vos remarques. En effet si les gens travaillaient plus dur, avec une durée d'au moins 42 heures par semaine et jusqu'à 65 ans au grand minimum, il n'y aurait pas de pensions inférieures à 1200€ ce qui serait Byzance

à écrit le 02/12/2022 à 9:32
Signaler
Si l'Europe n'est pas contente, elle n'a qu'à faire pareil

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.