Pascal Lamy vient de publier "Quand la France s'éveillera" chez Odile Jacob, 176 p., 17,90 euros. Pascal Lamy, qui a quitté la direction de l'Organisation mondiale du commerce en août 2013, invite les Françzid à voir le monde tel qu'il est. Et L'Europe a devenir un acteur de la mondialisation.

Pour Pascal Lamy, ancien commissaire européen et ex-directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, "le CETA est un bon accord".

Eric Garault / Pascoandco pour L'Express

"On ne peut pas nous forcer à céder sous la pression", affirmait cette semaine le chef du gouvernement wallon qui pose toujours son veto au paraphe de son pays en bas du CETA, le traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada. Après des années de négociations, les deux parties sont tombées d'accord. Mais une poignée d'irréductibles belges fait bloc pour empêcher la signature, notamment au nom de la défense de l'agriculture européenne. Au point de faire capoter le sommet UE-Canada qui était prévu ce jeudi à Bruxelles pour la signature officielle, en présence du Premier ministre Justin Trudeau, qui a finalement annulé sa visite.

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L'Express a passé au crible le CETA avec l'ancien commissaire européen chargé du Commerce (1999-2004) et ex-directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (2005-2013), Pascal Lamy. Et sur le sujet, les positions de ce fin observateur de la vie politique européenne sont pour le moins tranchées.

Comprenez-vous cette lecture médiatique: le "Non" de la Wallonie au CETA, c'est un "Non" à une mondialisation libérale?

Pascal Lamy: Il y a un peu de ça. Certaines dispositions du traité ne plaisent pas à tout le monde. Il y a notamment la partie qui tient au mécanisme de règlement des différends entre entreprises et États [aussi appelé "investor-state dispute settlement"]. Certains estiment qu'il s'agit d'une menace pour la capacité des États à réguler et craignent qu'ils ne tombent sous la coupe de multinationales qui, comme chacun sait, sont des vampires occupés à sucer le sang d'autrui.

Mais quand on lit le texte du CETA et qu'on le compare aux autres traités bilatéraux qui n'avaient pas soulevé de difficultés, il est de loin, de très loin même, le plus protecteur de la capacité des États à réguler.

Quel est justement votre point de vue sur les arbitrages. Est-ce une bonne solution?

Il est nécessaire d'avoir un organisme de règlement des différends spécifiques entre firmes et autorités publiques si vous ne voulez pas aller devant les tribunaux ordinaires. Si j'investis au Canada, si j'ai des problèmes avec le Canada, il faut bien avoir un recours quelque part. Donc soit c'est le système judiciaire normal, et apparemment les diplomates n'en veulent pas, pour des raisons qu'ils n'expliquent pas d'ailleurs, soit c'est un mécanisme spécial que l'on trouve dans des milliers de traités bilatéraux d'investissement.

Sur la forme, on reproche à la Belgique de bloquer le traité. Mais comment en est-on arrivé à cet impératif d'unanimité pour ratifier?

Parce que la Commission a accepté la demande des États-membres. C'est un problème constitutionnel européen. Normalement, des traités de ce type sont de la compétence européenne et sont approuvés à la majorité au Parlement européen démocratiquement élu et au Conseil des ministres. On ne devrait donc pas avoir besoin de la ratification des parlements nationaux et encore moins des parlements régionaux. La précédente Commission a cédé par faiblesse institutionnelle aux demandes des États-membres qui préfèrent l'unanimité sous des prétextes divers. Elle a eu tort. Et le Parlement européen n'aurait pas dû la suivre sur cette voie de régression institutionnelle.

Même s'il y a des recours et des délais, allons-nous finir par signer cet accord de libre-échange?

C'est l'hypothèse la plus probable, mais je ne suis pas dans le secret de la politique belge. A partir du moment où la Commission a accepté que ce soit un accord mixte par la ratification des parlements nationaux, elle est coincée.

Est-ce que le CETA est instrumentalisé dans le contexte du Brexit?

La baisse de confiance des peuples dans l'Europe, ce n'est pas nouveau. Nous avons publié dernièrement, à l'Institut Jacques Delors, une étude qui reprend dix ans de sondages. On voit très bien que dans ces dix ans, la confiance dans la capacité de l'Union à traiter les problèmes a diminué de moitié, même si le sentiment d'appartenance européen reste fortement majoritaire. C'est une réalité. L'Europe a perdu du soutien dans les opinons depuis 10 ans. Et la crise y est pour beaucoup.

Quelle conséquence peut avoir le CETA sur le TAFTA? Est-ce juste de présenter le premier comme le "petit-frère" ou l'avant-garde du second?

Ce sont deux négociations très différentes. Le CETA porte surtout sur des obstacles tarifaires et d'accès au marché. Le TAFTA, c'est plutôt de la convergence en matière de normes et de standards de précaution. Donc ce ne sont pas du tout les mêmes animaux (sic), les mêmes échéances et les mêmes problèmes. Même si l'affaire "investor to state" est commune aux deux.

Au final qu'est-ce qui pose le plus de problèmes dans cette négociation?

Rien de bien nouveau. L'ouverture des échanges impacte les systèmes de production avec des gagnants et des perdants. L'ouverture, ça marche parce que c'est pénible et c'est pénible parce que ça marche. On le sait depuis Monsieur Ricardo et Monsieur Schumpeter.

Simplement, il y a des pays qui traitent correctement ce problème, notamment dans le nord de l'Europe où on est pour l'ouverture des échanges. Et puis il y a des pays où c'est mal fait, généralement par déficience des systèmes sociaux, y compris la formation. Il se trouve aussi que la globalisation et la multi-localisation des chaines de production dans les temps récents a été très rapide. Avec la digitalisation de l'économie, les gagnants gagnent plus et les perdants perdent plus. Du coup, il y a une espèce de polarisation d'où ce fameux malaise d'une partie de la classe moyenne, qui fait la fortune du discours populiste qui monte un peu partout dans le monde occidental.

N'y a-t-il aucune erreur de fond à déplorer dans ce dossier?

Non, je ne vois pas ce que l'on peut reprocher au CETA, ni à la manière dont il a été négocié. La première version avec le gouvernement Harper [février 2006-novembre 2015] n'était, sur la question du "investor to state", pas de très bonne qualité. Heureusement Trudeau est arrivé et ça a permis aux européens de remodeler le projet qui avait soulevé des objections au parlement européen. Donc au contraire, c'est un bon accord, bien meilleur que les accords existants, même si c'est un accord classique qui n'a rien à voir avec le TAFTA.

Dans le CETA, on est dans le problème de la protection des producteurs. Avec le TAFTA, on est dans la protection des consommateurs. Et là, c'est une autre affaire...

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