Pascal Lamy : « L'OMC doit pouvoir exister sans Donald Trump »

Le président américain menace de faire sortir les États-Unis de l'OMC. Entretien avec l'ancien directeur général de l'Organisation mondiale du commerce.

Propos recueillis par

Pascal Lamy, ancien directeur général de l'OMC, lors d'un forum en Chine en avril.

Pascal Lamy, ancien directeur général de l'OMC, lors d'un forum en Chine en avril.

© Bao fan / Imaginechina

Temps de lecture : 5 min

Le Point : Le président Trump a déclaré, jeudi 30 août, que les États-Unis pourraient quitter l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il a très exactement dit : « S'ils ne mettent pas d'ordre là-dedans, je me retirerai de l'OMC. » Que vous inspirent ces propos ?

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Pascal Lamy : Il existe deux interprétations possibles de la déclaration de Trump. Il faut donc se préparer à deux cas de figure. Peut-être veut-il retirer son pays de l'OMC, comme il l'a fait pour l'Accord de Paris sur le climat. Plus généralement, il aurait entrepris de faire une croix sur toute discipline internationale qui limite la souveraineté des États-Unis pour revenir à des rapports bilatéraux. En matière de commerce international, ça s'appelle le mercantilisme. Vive les exportations, à bas les importations ! Le commerce est une affaire de rapports de force entre souverains et pas d'optimisation des systèmes de production en fonction des avantages comparatifs des uns et des autres. Une doctrine qui a progressivement disparu au cours des trois derniers siècles.

Quelle est l'autre option ?

C'est peut-être une tactique de négociation. Il dit au reste du monde : j'exige que vous transformiez certaines règles de l'OMC dont j'estime qu'elles ne sont pas favorables aux États-Unis. Sinon, je me casse. On peut appeler cela une forme de chantage. Curieux, d'ailleurs, car quand Trump désigne l'OMC, il dit : « S'ils ne mettent pas d'ordre là-dedans. » Il en parle comme si les États-Unis étaient extérieurs à l'OMC, alors que Washington en a été l'un des fondateurs.

Quelles règles de l'OMC Trump désigne-t-il ? Que veut-il changer ?

Il considère que les règles actuelles de l'OMC disciplinent plus les Américains que les Chinois (qui sont entrés dans l'organisation en 2001, NDLR), ce qui n'est pas faux dans certains cas. Il y a des domaines, c'est vrai, où les mailles du filet de l'OMC sont plus lâches. C'est le cas notamment en matière de subventions. Le gouvernement chinois continue, en effet, malgré son adhésion à l'OMC, à subventionner ou à conserver sous contrôle étatique une partie de l'économie. Ce problème a été identifié depuis longtemps, mais n'a pas été sérieusement traité faute de réelle volonté, de part et d'autre, de négocier un renforcement des règles de l'OMC.

Arme de négociation ou menace réelle de départ de l'OMC, quelle doit être l'attitude de l'OMC face à Trump ?

Mon sentiment est que, dans l'incertitude, il faut se préparer aux deux options. En ce qui concerne la réforme des règles du commerce international, l'Union européenne a déjà pris les choses en main. Aidée par le Japon, elle discute avec d'un côté les Américains, et de l'autre les Chinois. Le travail est en cours pour trouver une porte de sortie, même si l'issue de cette initiative demeure incertaine. Mais il faut aussi être prêt pour l'autre hypothèse. Trump peut se retirer de l'OMC parce que la négociation n'aura pas abouti ou parce qu'il décide de se débarrasser du système purement et simplement. L'OMC doit pouvoir exister sans les Américains. Évidemment, cela demande beaucoup d'imagination parce que depuis 1947, les Américains sont les copilotes du système... Mais il faut défendre le multilatéralisme et éviter le retour à la loi de la jungle, là comme ailleurs, et ce sont les Européens qui sont en première ligne dans ce combat.

Qu'impliquerait un départ de l'OMC pour les Américains ?

Si les Américains sortent de l'OMC, ils perdent leur assurance antiprotectionnisme. En clair, cela signifie que n'importe qui peut faire n'importe quoi avec les produits américains. Chaque pays pourrait taxer les produits américains comme il le souhaite. Pour les États-Unis, ce serait le signal d'une déglobalisation totale, presque un retour à l'autarcie ! Cela aurait des conséquences considérables : imaginez par exemple l'effet sur la propriété intellectuelle. Si les Américains n'étaient plus couverts par les règles de l'OMC sur la propriété intellectuelle, tout le monde pourrait copier une idée originale, un logiciel, une invention américaine. Les créateurs américains n'auraient d'autres recours que leurs propres tribunaux, ils pourraient se défendre uniquement sur leur territoire.

Pour les États-Unis, ce départ serait une catastrophe économique ?

Je le crois. Mais essayons de comprendre la pensée de Trump, partons du principe qu'il existe une théorie derrière les foucades de Trump : il veut la déglobalisation, il est persuadé qu'elle sera favorable aux États-Unis. Il pense profiter de son rapport de force. Sans l'OMC, c'est la loi du plus fort qui s'appliquera, et Trump pense être le plus fort ! Je pense qu'il a tort, que les États-Unis souffriront forcément économiquement. Plus généralement, je suis persuadé qu'un monde régulé par le droit est moins dangereux que s'il est gouverné par la loi du plus fort.

Donald Trump s'oppose au renouvellement d'un juge de la cour d'appel de l'organe de règlement des différends de l'OMC. En bloquant ainsi une nomination, Trump peut-il compromettre le fonctionnement de l'OMC ?

Dans les statuts de l'OMC, rien ne dit que les nominations des juges doivent être obligatoirement décidées à l'unanimité. La règle du consensus s'est appliquée jusqu'à aujourd'hui, mais on pourrait aussi considérer que c'est une décision procédurale à la majorité. Avec Trump, tout est toujours un peu contradictoire... D'un côté, il bloque la nomination de juges et, de l'autre, il intente des tas de procès devant cette juridiction contre des pays membres de l'OMC qui, selon lui, n'en appliquent pas les règles !

Trump dénonce également le fait que les États-Unis gagneraient peu de recours auprès des organes de règlements des différends de l'OMC…

« Fake news ! » comme dirait Trump. C'est totalement faux. Les Américains gagnent la plupart des procès qu'ils intentent et perdent bon nombre de ceux qui sont intentés contre eux, comme les Européens ou les Chinois ou d'autres. Cette idée qu'ils sont maltraités dans le règlement des différends est totalement fausse.

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Commentaires (22)

  • Râleur & fainéant

    Quand il aura mis tout le monde à genoux, il sera trop tard... La (les) non-réaction(s) à sa folie des taxes sur les produits librement importés par son pays, avec en retour une demande de ne pas taxer ses propres produits est inadmissible.
    Mais voilà comme en Europe, dans le reste du monde on joue le chacun pour soi !
    Et M PICSOU en profite...
    ne vaudrait-il pas mieux lui renvoyer ses taxes dans la figure, voir ses produits ?
    Cdt.

  • justinien10

    J'ai par ailleurs comparé l'évolution du prix du pétrole et celle du PIB russe : les deux courbes sont parfaitement corrélées !
    Poutine a donc bénéficié, de 1999 à 2012, de la hausse du pétrole (sauf la crise de 2008-9), mais dès 2013, la croissance russe a marqué le pas, à seulement 1, 3%…
    Seules les personnes âgées regrettent l'URSS... De leur jeunesse ! C'est humain.

  • guy bernard

    C'est terrible : nous vivons l'échec de l'OMC et chacun reprend ses billes : le sujet est pourquoi ?
    Trump veut simplement rapatrier des emplois et se plaint du pillage des brevets et des savoir-faire.
    faut pas ?