Comment traiter les maux de l’Europe : des pistes inédites émergent d’un concours de projets

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Pascal Lamy et Eric Labaye

L’UE manque d’un objectif clair, considèrent Eric Labaye et Pascal Lamy. Une nouvelle vision des choses et quelques projets concrets pourraient l’aider à se remettre sur les rails.

Eric Labaye est Président du McKinsey Global Institute et directeur associé senior chez McKinsey&Company Paris. Pascal Lamy est Président d’Honneur, Notre Europe Institut Jacques Delors, ancien directeur général de l’OMC et ancien commissaire Européen.

Il y a un peu plus de sept mois, le McKinsey Global Institute (MGI) lançait un appel à contributions sous la forme d’un concours mondial pour faire émerger des propositions visant à redynamiser le projet européen. Après des années d’une croissance atone, s’ouvrait alors une fenêtre d’opportunité pour bâtir un chemin de croissance durable de l’ordre de 2 à 3 % par an grâce à la conjonction exceptionnelle de facteurs économiques tels la baisse des cours des hydrocarbures, un taux de change de l’euro favorable et l’assouplissement quantitatif de la BCE.

Le nombre des réponses que nous avons reçues montre à quel point le sujet passionne et mobilise les meilleurs esprits de toutes les générations, et ce partout dans le monde : à la date butoir du 31 juillet, nous avions en effet reçu 400 contributions répondant à la question : « comment, d’ici 2020, faire à nouveau de l’Europe un espace de croissance de dynamisme et de stabilité, et le creuset d’une identité commune forte pour les citoyens ? ». Faits marquants : seule la moitié des auteurs sont européens, et beaucoup ont moins de 30 ans.

La lecture de ces contributions est à la fois fascinante, et préoccupante. Si les solutions proposées par les auteurs sont en effet souvent novatrices et offrent une riche matière à réflexion, les essais traduisent dans leur ensemble une perception plutôt sombre de l’Europe par le public. Parmi les principaux reproches qui lui sont adressés, il ressort que l’Union européenne ne parvient pas à articuler un projet riche de sens, que ses dirigeants semblent détachés des préoccupations quotidiennes de la population et que, dans un monde en mutations, l’idée même de l’Europe n’est plus source d’inspiration ni de réconfort pour ses citoyens.

L’Union européenne « n’est pas à court d’idées à mettre en œuvre, mais manque de souffle pour les porter, et c’est là que se joue le décalage entre décideurs et populations », écrit l’un des auteurs. « Négliger les moteurs de croissance de l’Europe revient à laisser prospérer un discours très négatif qui gagne en intensité selon lequel l’UE serait une « spoliatrice » de souveraineté, de surcroît inefficace, n’ayant pour objet que de générer de la richesse pour le compte d’une élite privilégiée au détriment de la population. L’UE est donc tenue pour responsable des déséquilibres et tensions résultant d’une mondialisation qui accélère », écrit un autre.

Pour combler ce décalage, les propositions font apparaître trois types de solutions. D’abord, l’Europe a besoin d’une vision renouvelée, que ses dirigeants et institutions doivent aider à définir en rétablissant le contact avec les peuples. À cette fin, il est crucial d’améliorer la transparence et la communication, mais certains essais vont plus loin en proposant des solutions concrètes pour impliquer la population européenne dans la définition d’une destinée commune. Un essai propose par exemple « la plus grande consultation publique de l’histoire de l’UE », soit un grand débat d’un an ou plus sur « un engagement commun pour la croissance » afin de nourrir une vision future de l’UE comme un « empire social » au service de sa population. D’autres proposent d’utiliser des plateformes numériques afin de générer des solutions ou d’organiser d’autres concours à l’échelle européenne pour faire émerger des idées nouvelles et stimuler le débat public.

Le deuxième type de propositions vise à faire en sorte que l’Europe ne soit plus perçue comme une abstraction, parfois vilipendée, mais comme un ensemble de réalisations concrètes et positives dont les citoyens européens puissent percevoir de manière tangible les effets dans leur vie quotidienne. Certaines suggestions visent à rapprocher plus largement les populations, en étendant par exemple le programme Erasmus (aujourd’hui réservé aux seuls étudiants) aux jeunes en apprentissage ou aux jeunes travailleurs. Parmi les autres idées figure la mise en place d’un service de diffusion numérique de toutes les chaînes publiques européennes, afin d’offrir aux Européens un accès plus large aux médias des autres pays, ou la création de plateformes numériques permettant par exemple l’accès aux open data issues de toute l’Europe ou la publication de documents scientifiques dans n’importe quelle langue.

La troisième approche regroupe des mesures plus iconoclastes visant à débloquer la croissance européenne et à restaurer la vitalité du continent, tout en répondant à certains de ses problèmes les plus brûlants, et que les dirigeants européens ont jusqu’à présent peiné à résoudre. Certains essais proposent ainsi des solutions plus efficaces pour gérer l’afflux de migrants et les intégrer à la population active. Parmi les autres suggestions non conventionnelles figurent l’émission de monnaie supplémentaire par la Banque centrale européenne en vue de racheter les excès de dette souveraine, la création « d’emprunts obligataires de lutte contre les changements climatiques » pour stimuler l’investissement tout en répondant aux problèmes environnementaux, ou encore l’octroi d’exonérations fiscales sur les investissements directs étrangers dans les États membres dont la balance courante est déficitaire, afin de combler le fossé entre Nord et Sud de l’Europe.

Dans son essai, un auteur de moins de 30 ans, explique que les réformes feront toujours l’objet d’une opposition féroce, sauf si les personnes qui se sentent perdantes sont indemnisées. Parmi ses idées de « réformes rémunérées », celui-ci propose notamment d’offrir aux travailleurs des secteurs qui subissent fortement les effets de la concurrence étrangère, des titres financiers indexés sur la croissance du PIB, de façon à ce qu’ils puissent eux aussi toucher les dividendes du changement.

Ces pistes et beaucoup d’autres nous paraissent une source d’inspiration riche afin de raviver le projet européen. Si les contributions laissent apparaître en creux la déconnexion entre les institutions européennes et les citoyens, elles contiennent un second message nettement plus positif : l’enthousiasme à l’égard d’une Europe dynamique est bel et bien présent et les idées disruptives et novatrices ne manquent pas pour restaurer la confiance. Il importe aujourd’hui de mettre cet enthousiasme au service de réformes volontaristes afin que ces idées prennent corps et puissent se traduire en bénéfices tangibles pour tous les citoyens.

Les contributions des Lauréats ainsi qu’une synthèse des thèmes majeurs des autres contributions sont disponibles sur le site du McKinsey Global Institute.

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