« Père de l’Europe », Robert Schuman en voie de béatification

TRIBUNE. Le pape François a reconnu à Schuman ses « vertus héroïques » qui lui permettent désormais d’être un « vénérable ».

Par Sébastien Maillard*

Robert Schuman en 1949.
Robert Schuman en 1949. © - / AFP

Temps de lecture : 4 min

La fête-anniversaire de la construction européenne, le 9 mai, n'a jamais tant mérité son surnom à Bruxelles de « Saint-Schuman ». Le Vatican devrait, en juin, reconnaître comme « vénérable » l'ancien ministre français des Affaires étrangères, qui contribua au lancement de la première Communauté européenne, celle du charbon et de l'acier, créée il y a 70 ans. En conférant ce statut à Robert Schuman, le pape François marque une étape décisive dans la longue voie vers sa sanctification potentielle.

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La sainteté est suffisamment rare en politique pour que le geste pontifical mérite attention. Il souligne les « vertus héroïques » de l'élu de Moselle manifestées durant tout l'exercice de ses mandats. Les témoignages concordent pour décrire cette sorte de moine séculier, proche des franciscains, d'une humilité, d'une douceur et d'une abnégation à toute épreuve. Ceux qui l'ont connu y vont de leur anecdote au sujet de ce ministre qui empruntait les transports en commun, quitte à voyager debout. Sur ce « Gandhi chrétien », autre surnom, qui commençait sa journée par la messe avant de gagner le ministère et qui, le soir en partant, prenait le temps d'éteindre les lumières. Un député respectueux de ses adversaires à l'Assemblée. Y compris face aux gaullistes et communistes, jamais tendres envers ce « Boche » qui était né allemand.

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Ce qui auréole avant tout cet oiseau rare en politique est, on le sait, son geste le plus inouï, ce 9 mai 1950 : sa main tendue vers le chancelier Konrad Adenauer pour asseoir l'ancien pays ennemi à la même table quand d'autres, à Paris, revendiquaient le démantèlement des usines allemandes et louchaient sur la Sarre. Cet esprit de revanche surmonté au profit d'une réconciliation franco-allemande jamais démentie depuis vaut déjà à Robert Schuman de compter parmi les plus illustres « pères de l'Europe », avec notamment Jean Monnet – rentré, lui, au Panthéon – et Alcide De Gasperi, dont le procès en béatification est aussi ouvert.

Si Schuman se trouve en odeur en sainteté, celle-ci peut naturellement inspirer, mais elle ne saurait pour autant se transférer ailleurs comme par extension. Ni à sa famille politique ni à l'Europe, qui ne devient pas de la sorte un nouveau « Saint Empire ». L'Église catholique baptise et reconnaît saintes des personnes, pas des institutions ou des pays. « Il n'existe pas de politique chrétienne, pas plus qu'il n'existe de mathématique chrétienne », expliquait feu le cardinal Jean-Louis Tauran à propos de la sainteté en politique, prévenant que « le message chrétien ne nous fournit pas un modèle d'organisation des sociétés humaines ». Robert Schuman a toujours considéré la construction européenne comme « profane », tout en étant un devoir pour le croyant. Cette entreprise collective l'a amené à agir, raconte-t-il, « en accord avec des incroyants notoires, socialistes et autres, des protestants antipapistes, des israélites ». Sa foi imprègne sans conteste sa pensée et son action, mais sans donner un droit de confiscation chrétienne à une œuvre politique, qui n'est pas que la sienne.

Autre mise au point : sainteté ne signifie pas innocence. La Communauté, selon le beau terme avancé dans la déclaration du 9 mai, visait pas moins que « la paix mondiale » à partir d'une « solidarité de fait » au moyen de « réalisations concrètes » entre pays auparavant opposés. Mais Robert Schuman n'est pas le père d'une Europe naïve. Avec lui, éthique de conviction et éthique de responsabilité, selon la distinction de Max Weber, se rejoignent. Il fut le promoteur – en vain – de l'Europe de la défense (la CED). Et même, dans une clairvoyance maintenant manifeste, d'une Europe de la santé. Ce doux n'était pas un rêveur, ce centriste n'était pas un tiède, mais un lucide mesurant quel pas le plus hardi il pouvait faire accomplir à son pays. Qui sait aussi ruser en taisant son projet pour mieux le voir aboutir. Sa fameuse déclaration du 9 mai, il la cacha à son chef de gouvernement jusqu'au matin même.

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Enfin, sainteté n'est pas à confondre avec perfection. Robert Schuman s'est efforcé, sa vie durant, à conformer sa vie à l'Évangile. Mais ceci ne lui donne pas un brevet d'exemplarité a posteriori dans tous ses choix politiques. Il accepta les accords de Munich et vota les pleins pouvoirs à Pétain. Après-guerre, il fut un président de la commission des Finances peu créatif malgré la crise et sera un ministre des Finances très classique.

Mais en ouvrant vers la sainteté ce pieux ministre de la très laïque République française, le pape François cherche aussi à réhabiliter la politique. À faire de l'engagement désintéressé pour la res publica un acte suprême de charité. Et à entraîner des catholiques à s'y salir les mains. Dans son adresse pour eux, en 2018 aux Bernardins, le président Macron les y pressait aussi à sa façon : « La politique, si décevante qu'elle ait pu être aux yeux de certains, si desséchante parfois aux yeux d'autres, a besoin de l'énergie des engagés, de votre énergie », s'exclamait-il. Puisse Schuman le « Vénérable » susciter de nouvelles vocations. Et inspirer les dirigeants européens à retrouver l'audace des commencements.

*Sébastien Maillard est directeur de l'Institut Jacques-Delors.

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Commentaires (8)

  • Djill59

    Il faut être dans le "camp du bien".
    En France aussi d'ailleurs...

  • Dameblanche

    En avril 1951, six pays se retrouvaient à Paris pour signer le traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. Un traité précurseur, qui posait les bases de l’intégration européenne.

    Et c'est en cela que cet homme est grand, car il a eu le mérite de déclencher le processus européen...

    Et c'est en cela qu'il a été un piètre visionnaire, car son projet portait en germe l'Europe d'aujourd'hui : un "machin" ultra procédurier et normatif qui interdit l'idée même d'un développement heureux !

  • clja23

    Eh bien pour etre né en Allemagne et y avoir vécu les plus belles années de ma vie, ce n'est pas cette Europe basée uniquement et l'effacement de ses cultures sur la finance qui me fait réver. Bien au contraire.