Ukraine

Politique énergétique européenne : le grand chamboulement

8 min

Confrontée à la dépendance aux hydrocarbures russes, l’UE s’est mobilisée dans l’urgence et les objectifs climatiques du Green Deal sortent renforcés d’une année de crise sans précédent. Reste à les mettre en pratique.

Commission européenne à Bruxelles. Les Vingt-Sept ont dégainé en mai dernier le plan « RePower EU », dont l’objectif est de réduire la dépendance aux énergies fossiles en réhaussant les objectifs climatiques. PHOTO : Valeria Mongelli / Hans Lucas via AFP

L’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février, est venue frapper la politique européenne de l’énergie comme la boule blanche sur une table de billard, éparpillant le jeu en de multiples directions. La guerre a jeté une lumière crue sur la dépendance énergétique européenne aux hydrocarbures russes.

Alors que cette vulnérabilité était bien documentée, l’idée que le gaz était une « énergie de transition » dominait largement dans les cénacles bruxellois. L’Union européenne (UE) a dû changer son fusil d’épaule en un temps record, contrainte à une opération de sevrage express – en passant de 45 % d’importations de gaz russe à moins de 10 % en quelques mois, l’Allemagne faisant partie des pays les plus touchés.

Repli national

Le défi était gigantesque et les réflexes nationaux ont parfois pris le dessus. Les gouvernements des Vingt-Sept sont entrés en concurrence pour trouver à la va-vite de nouvelles sources d’approvisionnement en gaz, soit en augmentant les livraisons par gazoducs lorsque c’était possible, soit en multipliant les contrats d’importations de gaz naturel liquéfié (GNL) auprès des Etats-Unis, du Qatar ou du Nigeria, ce qui a probablement contribué à la hausse des prix de l’énergie.

La crainte d’un black-out a poussé l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Autriche et l’Italie à marquer leur accord pour la réouverture de centrales à charbon

L’idée d’une plate-forme de coordination des achats de gaz, proposée par la Commission européenne, est pour l’essentiel restée lettre morte. En 2023, les Etats membres devront agréger leurs demandes de gaz pour 15 % de leur stock, un saut très timide. La crainte d’un black-out a poussé l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Autriche et l’Italie à marquer leur accord pour la réouverture de centrales à charbon, au grand dam des défenseurs de l’environnement.

Les sanctions à l’encontre de la Russie ont parfois entraîné des discussions houleuses, surtout lorsqu’elles touchaient à l’énergie, comme l’a montré l’embargo européen sur le pétrole russe importé par voie maritime. L’accord en demi-teinte a été arraché au forceps après plus d’un mois de négociations pour convaincre la Hongrie, le pays le moins enclin à sanctionner Vladimir Poutine et ses proches, mais aussi la Bulgarie et la Slovaquie. Dans ce contexte, la question d’un embargo sur le gaz russe n’a même pas été abordée par les Vingt-Sept.

Face aux augmentations spectaculaires des prix de l’énergie, la plupart des Etats membres ont dépensé sans compter pour limiter la casse pour les consommateurs – 700 milliards d’euros selon le think tank européen Bruegel. Et le plan de soutien allemand à l’industrie et aux consommateurs, estimé à 200 milliards d’euros, décidé sans concertation, a crispé ses partenaires européens aux moindres capacités d’intervention.

L’ambition climatique monte d’un cran

Mais la guerre en Ukraine n’a pas fait qu’accroître les divisions européennes dans le domaine de l’énergie, comme l’aurait souhaité la Russie. Au contraire, l’UE a vite réagi et a légiféré à tour de bras, parfois dans des registres audacieux, comme avec le prélèvement sur les superprofits des producteurs d’électricité ou la « contribution de solidarité » des entreprises du secteur des combustibles fossiles. Les Etats membres ont par ailleurs décidé ensemble, dès juillet, de réduire de 15 % leur consommation de gaz et de 10 % celle d’électricité, dont une baisse obligatoire de 5 % lors des heures de pointe.

Quant aux objectifs climatiques européens, ils ont été amplifiés. Pour Marco Giuli, conseiller auprès de l’Institut des affaires internationales de Rome, spécialiste des questions de climat et d’énergie, « la guerre en Ukraine a favorisé une forte convergence des positions des Etats membres quant à la nécessité de réduire la vulnérabilité énergétique. Des pays de l’Europe de l’Est ont compris que la transition climatique aide à la sécurité d’approvisionnement »

« RePower (...) marque une volonté d’accélérer les politiques visant le déploiement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique » – Phuc-Vinh Nguyen, de l’Institut Jacques Delors


Le 22 mai 2022, la Commission européenne a dégainé son plan « RePower EU », dont l’objectif est de réduire la dépendance aux énergies fossiles en réhaussant les objectifs climatiques de l’Union. Pour ce faire, l’exécutif bruxellois pouvait s’appuyer sur son Green Deal et les propositions législatives « Fit for 55 », qui visent une réduction des gaz à effet de serre de 55 % en 2030.

« RePower, c’est une réponse à la hauteur des enjeux qui marque une volonté d’accélérer les politiques visant le déploiement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique afin qu’elles se substituent aux énergies fossiles, en particulier russes », commente Phuc-Vinh Nguyen, de l’Institut Jacques Delors.

Parmi les mesures phares du plan Reower, on notera deux objectifs : faire passer de 40 à 45 % la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen en 2030 et la réduction de 13 % de la consommation d’énergie.

« Mais l’heure n’est plus seulement à l’énumération d’objectifs ambitieux, il est surtout nécessaire de focaliser les efforts sur l’application concrète de ces politiques », tempère Diana-Paula Gherasim, de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Les ministres de l’Energie ont à cet égard trouvé un accord, le 22 novembre dernier, pour accélérer et simplifier l’octroi de permis pour les projets dans le domaine des énergies renouvelables, considérant ces dernières comme relevant d’un « intérêt public supérieur ». Cela suffira-t-il ? Pour nombre d’observateurs, le chaînon manquant de RePower, c’est le soutien financier. Selon la Commission, RePower nécessiterait 210 milliards d’euros en investissements supplémentaires. Mais seuls 20 milliards d’argent frais seront déboursés par l’Union européenne, à partir de ressources puisées dans la vente de quotas d’émissions de CO2. Le reste, les Etats membres pourront l’extraire des ressources encore inutilisées du plan de relance post-Covid.

Malgré les ambitions affichées, des points plus discrets de RePower suscitent l’ire des défenseurs de l’environnement. Une partie de ces ressources pourra être consacrée, au nom de la « diversification de l’approvisionnement », au développement de nouvelles infrastructures gazières, comme les terminaux flottants de regazéification du GNL, ou l’accroissement des capacités de gazoducs existantes, comme le Trans Adriatic Pipeline qui achemine du gaz depuis l’Azerbaïdjan.

« Vu les objectifs du paquet Fit for 55 et l’urgence climatique, la priorité doit être de canaliser les ressources disponibles au niveau européen vers la décarbonation, surtout quand ces ressources viennent de la mise aux enchères des quotas du marché carbone », estime Diana-Paula Gherasim.

Outre RePower, Ursula von der Leyen a présenté, le 17 janvier 2023, les grandes lignes d’un vaste plan européen de soutien aux industries vertes européennes, qui pourrait aboutir à la création d’un « fonds de souveraineté européen ».

Quant aux efforts budgétaires nationaux consacrés à la transition énergétique, ils ne sont pas toujours suffisants. Selon Nicolas Berghmans, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), « les boucliers tarifaires se justifient sur le plan social mais ils coûtent cher et ne sont pas toujours ciblés sur les consommateurs les plus fragiles. Une partie de ces ressources pourrait servir à financer la transition énergétique. En 2023, le bouclier tarifaire en France coûtera 45 milliards à l’Etat alors que les crédits alloués à la rénovation thermique des bâtiments ne s’élèveront qu’à 2,5 milliards ».

Baisse des prix de l’énergie : le faux plafond

Les milliards dépensés dans la protection des consommateurs et le poids des factures d’énergie sur les industries ont fait progresser, au fil des mois, l’idée d’un plafonnement des prix du gaz. Mais son instauration a été l’objet de vives dissensions entre ses promoteurs – Italie, Espagne, France – et des pays plus réticents, Allemagne en tête, qui craignaient qu’un tel plafond ne fasse fuir les fournisseurs potentiels de GNL et ne menace la sécurité d’approvisionnement.

Après des mois de débats parfois obscurs, les ministres de l’Energie ont trouvé le 19 décembre un accord sur un plafonnement des prix lorsque le prix du gaz sur le TTF – la Bourse d’échange de gaz située au Pays-Bas – dépassera les 180 euros par mégawattheure pendant plus de trois jours ouvrables.

« Cette crise marque un retour significatif de la puissance publique » – Marco Giuli, spécialiste des questions de climat et d’énergie

« Même si le niveau de ce plafond est assez haut et que les conditions pour le déclencher rendent complexe son application, ce type d’interventions marque un tournant par rapport à la libéralisation du marché de l’énergie, décrypte Marco Giuli. Cette crise marque un retour significatif de la puissance publique. » 

Ce mécanisme, qui est entré en vigueur le 15 février pour une durée d’un an, n’a pas éteint la soif de plusieurs Etats européens de réformer en profondeur le marché de l’énergie. L’objectif de la France, du Portugal, de la Grèce et de l’Espagne, notamment, est de découpler le prix du gaz de celui de l’électricité. Une réforme très sensible au sujet de laquelle la Commission européenne marche sur des œufs, ouvrant notamment une consultation publique sur le sujet ces derniers jours .

Phuc-Vinh Nguyen estime qu’il « faut encadrer les hausses de prix mais malgré tout le marché a envoyé un signal prix très simple à comprendre : il faut réduire la consommation et développer les énergies renouvelables, les moins chères à produire ».

Et sur ce sujet, les Européens devront, encore une fois, dépasser leurs différences.

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Commentaires (2)
VERSON THIERRY 21/02/2023
Gouverner c'est prévoir. Il apparait clairement que nos technocrates toujours aussi aveuglés par l'idéologie libérale n'ont rien vu venir ni rien prévu.... à moins de considérer qu'à l'inverse tout ce merdier est prévu dans l'intérêt de ceux qui tirent les ficelles et que tout le monde n'est pas perdant... En tout état de cause, la preuve que nous devons sortir de ce système ploutocrate et imposer la démocratie.
FRANCOIS BONGAS 20/02/2023
La consultation de l'UE n'a duré que 3 semaines et est fermée depuis le 13 février. On ne peut donc plus se manifester. Merci qui ?
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