Pologne : ce pays qui n'arrive pas à juguler l'inflation

Après le net rebond de l'économie suite à la crise sanitaire, la Pologne a vu sa croissance économique stagner l'an dernier, à 0,2%, en raison notamment d'un ralentissement de la demande intérieure. Mais le nouveau gouvernement de Donal Tusk table sur une remontada en 2024, malgré une inflation qui devrait encore rester à un niveau élevé.
Mathieu Viviani
En 2023, la croissance économique polonaise s'est propulsée à seulement 0,2%... après 5,3% en 2022. Un gap non négligeable.
En 2023, la croissance économique polonaise s'est propulsée à seulement 0,2%... après 5,3% en 2022. Un gap non négligeable. (Crédits : PATRYK OGORZALEK)

Le miracle économique polonais est-il menacé ? C'est la question que soulèvent les derniers indicateurs macro-économiques de cet ancien pays du « bloc de l'Est » Devenue membre de l'UE en 2004, la Pologne a pourtant un CV économique solide : selon une note de la Direction générale française du Trésor, « la Pologne constitue la principale économie parmi les Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECO) », avec des taux de croissance « systématiquement supérieurs à la moyenne européenne ». Elle peut même se targuer d'être passée en 20 ans du 9e au du classement des PIB de l'UE, juste derrière les Pays-Bas, et devant la Suède et la Belgique.

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Zone de turbulences

Mais, après la baisse de 2% du PIB enregistrée en 2020 liée à l'impact de la crise sanitaire, un  niveau néanmoins beaucoup moins prononcé que le plongeon européen, -5,6% en moyenne ), la croissance du pays a repris sa marche (+5,3% en 2022) mais le pas est aujourd'hui moins soutenu à cause cette fois de l'impact de la hausse des taux pour juguler l'inflation et de la guerre en Ukraine. En témoignent les derniers chiffres de l'Office national des statistiques polonais (GUS) : en 2023, la croissance économique polonaise a stagné, avec une légère hausse de 0,2% seulement. Un coup de frein d''autant plus important que la performance est très éloignée celle du précédent gouvernement du parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS)au pouvoir jusqu'à l'automne dernier, qui tablait sur une hausse 0,9%.

Celui-ci a depuis cédé la main au gouvernement pro-européen Donald Tusk, qui dans sa loi de finances, espère une croissance de 3% du PIB en 2024.

Inflation galopante et demande intérieure en chute

L'institut statistique polonais évoque plusieurs causes pour expliquer cette baisse de régime. La première est le ralentissement de la demande intérieure, en baisse de 4,1% par rapport à 2022. Un point d'autant plus crucial qu'en raison du poids de sa population (38 millions d'habitant), la consommation intérieure de la Pologne a toujours été un moteur clef de son PIB. Autre raison : l'inflation qui a atteint 6,2% sur un an en décembre 2023, et qui est l'une des plus élevées de l'UE. C'est, certes, beaucoup moins que les 14,4% d'inflation en 2022, mais celle-ci demeure encore élevée en comparaison de la moyenne de l'UE, aux alentours de 3,5% en ce moment.

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D'après l'analyse de la DG Trésor, « la baisse de l'inflation serait lente en Pologne, compte tenu de la hausse des salaires » décidée par le gouvernement PiS (avec une revalorisation du salaire minimum de 17,8% dès janvier 2024). Le maintien de certaines mesures anti-inflation pourrait aussi retarder le mouvement (réduction de la TVA sur certains produits énergétiques et alimentaires, distribution de « chèques anti-inflation » aux ménages les plus modestes, etc). Mais, malgré des prix qui restent élevés, la Banque centrale de Pologne a néanmoins commencé à lâcher un peu de lest sur son principal taux directeur en le ramenant, en septembre à 6%, contre 6,75% jusque-là.  Une première baisse depuis l'année 2020. Mais qui n'empêche pas la Pologne d'afficher des taux bien supérieurs à ceux en vigueur dans la zone euro (à laquelle elle n'appartient pas). Avec des taux qui ne baissent pas puisque l'inflation était de 6,2% en décembre (contre 4,5 dans la zone euro) et qu'elle devrait s'élever en moyenne en 2024 à 6,6%, selon les prévisions du gouvernement.

« Nous avons commencé l'année 2023 par une inflation record, accompagnée de taux directeurs record de la banque centrale. Ceci a nettement refroidi la consommation », souligne par ailleurs dans un communiqué récent Mariusz Zielonka, le chef des experts économiques de l'organisation patronale Lewiatan. Avant d'ajouter que l'industrie polonaise, « moteur de l'économie ces dernières années (...) a ralenti assez visiblement et cela va se poursuivre en 2024 ». Le secteur a en effet enregistré une baisse de 0,7% en 2023, après avoir connu une hausse de 5,5% en 2022.

La récession en Allemagne, menace indirecte

Autre cause indirecte de la faible croissance polonaise, mais tout aussi impactante : le pays pâtit de la faiblesse économique de ses grands partenaires économiques européens. A commencer par son voisin, l'Allemagne, tombée en récession en 2023, avec une baisse de son PIB de 0,3% (après une hausse de 1,8% en 2022). Pour rappel, l'Allemagne capte 29 % des exportations polonaises. Le poids de l'Allemagne est tel dans l'économie polonaise que l'Institut économique polonais (PIE) estime qu'en 2024 « une baisse de la demande étrangère et un ralentissement de la croissance des exportations en Pologne sont probables ».

Reste à déterminer l'impact réel du phénomène. « Cela peut différer en fonction des pays limitrophes à l'Allemagne. Par exemple, plus fragile au niveau de son économie, la République tchèque devrait à priori plus ressentir cet effet », précise Zuzana Smidova, économiste senior à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), en charge de la Pologne et de l'Estonie.

La solidité de l'économie polonaise comme remède ?

Si la Pologne, comme de nombreux pays d'Europe, n'a pas pu éviter les effets collatéraux provoqués par la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine, l'économie reste solide. « C'est vrai que le pays est impacté par le contexte économique compliqué de l'Union européenne. Mais le risque pour son économie reste mesuré, car la Pologne possède de nombreux atouts », abonde l'experte de l'OCDE.

Les prévisions du gouvernement Tusk en attestent. Ce dernier table sur une croissance de 3,6% en 2024.

Outre le poids de son marché intérieur, la Pologne peut compter sur une économie diversifiée (agroalimentaire, distribution, BTP, électroménager, services informatiques, transport routier, etc) et sur une bonne gestion des deniers publics. « Ces dernières années, les gouvernements successifs ont été des gestionnaires raisonnables des dépenses publiques. Cela crée de la stabilité pour la Pologne », ajoute l'économiste de l'OCDE.

Autre force, la bonne formation et le faible coût de la main d'oeuvre permettent d'être attractifs auprès des investisseurs étrangers. Les investissements directs étrangers sont en augmentation constante depuis son entrée dans l'UE, et contribuent à 30 %, voire 40 % du PIB polonais. En juin 2023 par exemple, le pays a accueilli le plus gros investissement international de son histoire, avec l'installation d'une usine de semi-conducteurs du géant américain Intel, à Wroclaw (ouest du pays). Montant de l'opération :  4,4 milliards de dollars. Deux gigafactories de batteries pour voitures électriques vont aussi ouvrir prochainement.

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Enfin, le volume considérable de fonds structurels de la part de l'Union européenne constitue un autre atout de poids. Ils pèsent pour environ 20% de son PIB. Avec le risque de créer notamment une forme de dépendance en cas de réduction des crédits.

Le vrai risque de la Pologne : l'instabilité politique

C'est d'ailleurs ce qui est arrivé à Varsovie il y a quelques mois. Depuis juin 2022, le pays est éligible à 35,4 milliards d'euros de fonds de relance post-Covid de l'UE. Mais cette somme est gelée par la Commission européenne en raison du manque de probité et d'indépendance du système judiciaire polonais, depuis que le gouvernement conservateur de Mateusz Morawiecki (PiS) l'a réformé il y a quelques années. Une autre aide est également gelée par Bruxelles : 76,5 milliards d'euros de fonds de cohésion, destinés à élever le niveau de vie dans les régions les plus pauvres d'Europe. Le nouvel exécutif polonais pro-européen travaille ardemment sur ce sujet afin de débloquer la situation.

« Cette situation montre que le vrai risque pour la Pologne est l'instabilité politique », prévient Lukáš Macek, chercheur spécialiste de l'Europe centrale, à l'Institut Jacques Delors. Nommé le 13 décembre dernier chef de l'exécutif, Donald Tusk doit gouverner avec le président de la République conservateur Andrzej Duda qui, de par les prérogatives de son statut, peut entraver, voire bloquer, un certain nombre de lois ou de réformes. Notamment le budget, crucial dans l'action d'un gouvernement. C'est ce qu'il se passe actuellement. Et cela pourrait provoquer de nouvelles élections législatives anticipées.

« Cette dualité politique présente un risque de paralysie du pays, donc un risque sur le climat des affaires et l'économie du pays. Un détricotage systématique de ce que fait le gouvernement de Tusk n'est pas viable », analyse l'expert de l'Institut Delors.

Un autre point de vigilance, plus difficile à mesurer, est la cohésion sociale dans le pays : pendant ses huit ans de pouvoir, le PiS s'est positionné sur un certain nombre de questions sociétales, notamment le droit à l'avortement, dont il a rendu l'accès plus difficile. La plupart de ses électeurs soutiennent cette réforme, tandis que ceux de la Plate-forme civique, le mouvement de centre-droit dirigé par Tusk, sont opposés. Les médias polonais font aussi l'objet d'affrontement entre les deux camps. Pendant ses huit ans au pouvoir, le parti conservateur a en effet noyauté un certain nombre de postes influents dans cette sphère. Il s'agit de la même méthode utilisée pour noyauter des postes clefs au sein du système judiciaire polonais.

« Sur ces points chauds, je pense qu'il faut rester attentif. La fragilité politique et la fragmentation sociale polarisent les polonais. Il y a un risque de divorce entre deux Polognes », conclut Lukáš Macek.

Mathieu Viviani
Commentaires 3
à écrit le 15/02/2024 à 8:41
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Plate forme de dumping social européen forcément quand on fait du fric sur la misère la marge de manœuvre est étroite.

à écrit le 14/02/2024 à 16:19
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Un peu comme en France,,, noyautage des médias et de la justice à des fins partisanes qui alimentent le risque d’affrontement entre 2 Frances. Tricher, manipuler et mentir n’est jamais bon pour l’intérêt général.

le 15/02/2024 à 14:52
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C'est le problème des économies avancées, entre s'élever socialement et rester honnête, l'individu lambda doit choisir... D'où en France la grande tolérance avec le non-travail et la création d'emplois de fonctionnaires car autrement, le pays serait ...

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