Le ministre polonais de la Justice Zbigniew Ziobro le 15 novembre 2017

Le ministre polonais de la Justice Zbigniew Ziobro le 15 novembre 2017

Mateusz Wlodarczyk / NurPhoto via AFP

En pleine épreuve de force avec l'Union européenne, Zbigniew Ziobro n'en finit plus de montrer ses muscles. Bruxelles a beau sommer Varsovie de tirer un trait sur sa réforme controversée du système judiciaire, l'intransigeant ministre polonais de la Justice n'en démord pas : hors de question de revenir sur sa loi, fût-elle accusée de saper l'indépendance des juges. D'autant, a-t-il prétendu mercredi, que la requête des Européens est "illégale". Rien de moins que la remise en cause de la primauté du droit européen sur le droit national - une ligne rouge pour Bruxelles. Résultat : le bras de fer se poursuit. La Commission européenne a donné à la Pologne jusqu'au 16 août pour faire marche arrière, date à l'issue de laquelle elle la menace de requérir des sanctions financières.

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Pour Zbigniew Ziobro, eurosceptique de longue date, la querelle présente au moins l'avantage de conforter son image de poil à gratter de Bruxelles auprès de la droite nationaliste polonaise. Lors des négociations entre les 27 autour du plan de relance anti-Covid à l'automne dernier, il s'était déjà opposé à la clause conditionnant le versement des aides au respect de l'Etat de droit. Son parti, Pologne solidaire, avait même refusé de la voter en accord avec la coalition de droite populiste au pouvoir, dont il fait pourtant partie, poussant le PiS (Parti droit et justice) à s'allier à l'opposition de gauche pour ratifier le texte. Pour illustrer son combat d'alors, Zbigniew Ziobro avait même trouvé un slogan : "Le veto ou la mort". Le ton était donné.

Ambition

Déjà, l'influent ministre prépare déjà le coup d'après. "Il ambitionne de devenir un jour la figure de proue de la droite polonaise et de s'emparer du poste de Premier ministre", estime Konstanty Gebert, chroniqueur au quotidien polonais Gazeta Wyborcza. Le chemin s'annonce toutefois semé d'embûches. Se dresse notamment sur sa route, l'actuel Premier ministre Mateusz Morawiecki, un ancien banquier ayant le soutien du puissant Jaroslaw Kaczynski, le chef du PiS âgé de 72 ans.

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"Ziobro est engagé dans une lutte de pouvoir, dont l'objectif principal est de s'imposer comme le successeur de Kaczynski quand celui-ci prendra sa retraite. Dans la mesure où son principal rival à droite sera Morawiecki, qui a un profil plus lisse et technocratique, Ziobro joue la surenchère pour se poser en défenseur des valeurs conservatrices", estime Lukás Macek, chercheur associé à l'Institut Jacques Delors et spécialiste de l'Europe centrale.

Au-delà de son souverainisme à toute épreuve, cette stratégie n'est sans doute pas étrangère à ses prises de position tranchées sur certains sujets de société, comme son soutien aux "zones anti-LGBT" ou son hostilité à la Convention d'Istanbul, destinée à lutter contre les violences faites aux femmes, qu'il qualifie "de création féministe servant à justifier l'idéologie gay"...

Mise au pas de l'appareil judiciaire

Nommé ministre de la Justice et procureur général en 2015, Zbigniew Ziobro a durablement laissé sa trace sur l'institution. Parmi ses faits d'armes, un remaniement sans précédent de l'appareil judiciaire. "L'opposition estime qu'il a été un désastre complet, parce qu'il a poussé des réformes judiciaires qui ont sapé l'Etat de droit en Pologne et la séparation des pouvoirs", glisse Aleks Szczerbiak, professeur de sciences politiques à l'université de Sussex. Il faut dire que l'ultraconservateur avait déjà eu l'occasion de se faire les dents. Après ses études de droit dans les années 1990, il avait effectué une ascension éclair en politique, se faisant élire député dès 2001, avant d'être propulsé ministre de la Justice une première fois entre 2005 et 2007.

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Pour faire passer ses idées, Zbigniew Ziobro dispose d'un atout non négligeable. Son petit parti de droite radical - composé de 18 députés - est essentiel au PiS pour parvenir à la majorité parlementaire : le plaçant du même coup dans la position du faiseur de rois. Mais son appétit grandissant pourrait finir par lui jouer des tours : Pologne solidaire ne doit son entrée au Parlement qu'aux listes communes conduites avec le PiS lors des dernières élections. "Jaroslaw Kaczynski a accepté de faire alliance avec lui en 2015 pour des raisons pragmatiques, mais il ne l'apprécie pas. Et Ziobro craint de se faire exclure de la coalition avant les prochaines législatives de 2023", abonde Aleks Szczerbiak.

Une perspective inquiétante pour le ministre de la Justice, alors que les sondages ne lui garantissent pas d'atteindre le minimum de 5% des voix requis pour conserver des sièges au Parlement. À moins de se trouver une nouvelle planche de salut. "Il serait de loin le candidat le plus à même d'unir toutes les forces d'extrême droite qui se présentent en ordre dispersé, mais représentent autour de 15% des voix", présage Konstanty Gebert. De quoi rendre Ziobro encore plus incontournable lors de la prochaine législature.

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