Un compteur Linky (illustration)

Un compteur Linky.

afp.com/DAMIEN MEYER

Un début d'année sous le signe noir de la flambée des prix de l'énergie. Pour Bruno Le Maire et Barbara Pompili, la rentrée est marquée par la situation toujours extrêmement tendue sur les marchés de l'électricité. Le Premier ministre s'y était engagé à l'automne : malgré la flambée des prix constatée au niveau européen depuis maintenant plusieurs mois, le gouvernement contiendra la hausse des prix de l'électricité à 4% sur l'année. La ministre de l'Ecologie l'a encore rappelé mardi matin sur l'antenne de BFMTV.

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Mais déjà, le moment de vérité approche. Le bouclier tarifaire prévu par l'exécutif entre en vigueur ce 1er février et sera maintenu jusqu'au 31 janvier 2023. Est-il assez robuste ? Depuis le 30 septembre et la déclaration du Premier ministre Jean Castex, les prix de gros sur les marchés de l'électricité ont en effet continué de flamber. Le tout, sur fond de reprise économique mondiale, de hausse continue des prix du gaz ainsi que pour le cas français, de la faible disponibilité historique du parc nucléaire.

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Comme chaque année à la même époque, la Commission de régulation de l'énergie (CRE), va proposer dans les tout prochains jours une augmentation des prix réglementés de vente d'électricité (TRVE), contrats proposés uniquement par EDF et auxquels souscrivent encore 22,2 millions de foyers (65% du total) et 1,56 million d'entreprises. "En réalité, ces tarifs concernent même ceux qui n'y souscrivent pas, car les fournisseurs alternatifs se basent sur les TRVE pour ajuster leurs offres", indique un courtier. L'an passé, la hausse proposée par la CRE avait été contenue à 1,6%, soit 15 euros par an en moyenne. Rien, par rapport à ce qui nous attend théoriquement cette année. Lundi sur LCI, Bruno Le Maire a indiqué que sans action du gouvernement, le fameux tarif bleu d'EDF menaçait de s'envoler de près de 40% toutes taxes comprises.

Le levier fiscal insuffisant

A l'automne, le gouvernement pensait avoir trouvé la parade en actionnant le levier fiscal. Il a abaissé la taxe sur la consommation d'électricité (CSPE) à son plus bas niveau. "La France a réduit cette taxe à 1 euro le mégawattheure contre 22,5 euros/MWh en temps normal. Il ne peut plus descendre plus bas en raison des règles européennes", indique Phuc-Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques de l'énergie européenne et française au sein du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors. Reste que cette mesure, qui a coûté la bagatelle de 8 milliards d'euros, ne suffira pas. La baisse ne couvre en effet que 16 à 17% de l'augmentation du prix de l'électricité, selon le ministre. Aussi et depuis plusieurs jours, l'exécutif cherche d'autres pistes. Bercy travaille "nuit et jour à une solution" a même déclaré le ministre lors de ses voeux à la presse vendredi dernier.

Barbara Pompili l'a rappelé mardi, la solution qui tient la corde aujourd'hui est de mettre à contribution EDF. Depuis 2011 et dans la perspective de l'ouverture des marchés de l'énergie à la concurrence dictée par l'Europe, le groupe public est obligé de vendre une partie de sa production nucléaire - plafonnée à 100 TWh par an - à ses concurrents. Le tout, au prix fixe et inchangé de 42 euros/MWh. C'est le fameux Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, ou Arenh. Grâce à ce mécanisme, les alternatifs sont en partie couverts contre la fluctuation des prix de marché. L'Arenh couvre généralement 70% à 80% de leur approvisionnement. Le reste est acheté sur les marchés de gros, généralement à l'avance.

Problème, l'Arenh est victime de son succès depuis 2019. Face à la forte volatilité des cours et la hausse des prix, les alternatifs se ruent sur le dispositif. En 2022 par exemple, 160 TWh ont été demandés. Or le plafond reste inchangé. Ce qui veut dire moins d'Arenh pour chacun des fournisseurs. C'est le mécanisme de l'écrêtement, par lequel la CRE répartit les 100 TWh au prorata des demandes faites en décembre. Pour cette année par exemple, un fournisseur qui avait demandé 10 TWh se verra accorder seulement 6,2 TWh. Dans l'urgence, chacun des fournisseurs doit s'approvisionner sur les marchés de gros pour boucler son portefeuille pour l'année d'après. Le tout au prix fort. "Au lieu de payer l'électron à 42 euros/MWh, vous le payez à 252 euros/MWh (le prix de gros ces derniers jours en France, NDLR)", explique Julien Teddé, patron du courtier Opéra Energie. Pour le client final, cette hausse n'est pas indolore. En effet cette "part marché" est prise en compte dans le calcul des tarifs réglementés de vente. L'exécutif, face à ce constat, envisageait ces derniers jours de demander à EDF de vendre 30 TWh de plus au prix de 42 euros/MWh, autrement dit d'augmenter le plafond de l'Arenh. Ce qui contiendrait largement la hausse prévue des TRV.

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Mais la mesure divise. Depuis sa création en 2011, de nombreuses voix s'élèvent contre le dispositif de l'Arenh. Beaucoup estiment en effet qu'EDF brade sa production nucléaire au profit de fournisseurs alternatifs qui n'ont déployé aucune capacité de production électrique, et in fine n'apportent pas de plus value au client final. Le PDG d'EDF lui-même, Jean-Bernard Lévy, indique régulièrement que l'Arenh est un "poison" qui entrave la capacité d'investissement du groupe. Un déplafonnement comme envisagé par le gouvernement, coûterait entre 4 et 5 milliards à l'électricien, estime Julien Teddé. "En partant du principe qu'EDF a déjà vendu la totalité de sa production, il devra acheter ces électrons sur les marchés de gros à plus de 250 euros/MWh pour les revendre à 42 euros/MWh", juge l'expert. Un ordre de grandeur validé par plusieurs sources. Quant à une éventuelle opposition de Bruxelles sur ce sujet, Phuc-Vinh Nguyen de l'Institut Jacques Delors estime que le sujet est "trop explosif" pour que la Commission n'oppose une quelconque véto.

Les élus du Comité social et économique central d'EDF estiment eux que cette mesure constituerait une "spoliation du service public". Pour rendre la pilule moins douloureuse pour l'électricien, une hausse du prix de l'Arenh serait également en débat. Mais selon cette même source, le fait "de porter le prix à 48 euros/MWh ou 50 euros/MWh, ça ne fait pas une énorme différence pour EDF". "EDF traîne des pieds, c'est pour cela que la solution n'est pas encore en vue à Bercy", pointe cette même personne.

La cagnotte d'EDF ?

Dans le camp d'en face, d'autres rappellent en effet que le groupe public était jusqu'ici le grand gagnant de la crise avec l'envolée des prix. Il doit donc être mis à contribution par solidarité. "L'écrêtement de l'Arenh est une aubaine pour EDF, car les fournisseurs vont devoir compléter leur portefeuille en lui achetant des volumes au prix fort", remarque Julien Teddé. Ce dernier a sorti la calculette, et estime que le gain pour l'électricien public pourrait approcher les 15 milliards. De sorte que même en déplafonnant l'Arenh - ce qui coûterait donc 5 milliards à EDF - , l'électricien serait encore largement dans le vert, d'environ 10 milliards. Un calcul qui laisse un expert dubitatif. "C'est quasiment l'intégralité du résultat d'exploitation d'EDF, ça me paraît très exagéré". EDF de son côté, nie gagner plus d'argent dans la période actuelle. S'il fait peu de doutes que l'électricien tire un bénéfice de la situation, il n'est certainement pas aussi important qu'évoqué par le camp adverse.

Quid du client final ? "Même avec le déplafonnement des 30 TWh, et la totalité du levier sur la fiscalité, ce n'est pas évident que l'exécutif arrive à maintenir les 4%", juge Julien Teddé. Le bouclage de l'équation est peut-être dans les mains de la CRE. Selon l'AFP, l'autorité envisage de modifier la manière dont elle calcule le tarif. Pour fixer la hausse des tarifs, cette dernière réalise une moyenne sur un certain nombre de jours de décembre. Or les prix ont été sensiblement revus à la hausse après l'annonce par EDF de l'arrêt inopiné des réacteurs de Chooz et la prolongation de l'arrêt à Civaux. La CRE envisage de ne pas tenir compte des journées postérieures à cette annonce. De quoi limiter la hausse des tarifs. En tout état de cause, le gouvernement a promis de dévoiler son Meccano d'ici à la fin de semaine.

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