Pour ou contre : faut-il encore durcir les sanctions contre la Russie ? (Sylvie Matelly face à Cyrille Bret)

Malgré les sanctions occidentales, l'économie russe souffre mais ne coule pas. Sur le front ukrainien, le complexe militaro-industriel alimente de violents combats avec du matériel militaire lourd. Alors que les pays membres de l'Union européenne discutent d'un dixième paquet de sanctions contre la Russie, la question du durcissement des mesures contre Moscou divise les économistes. « Faut-il encore durcir les sanctions contre l'économie russe ? », c'est le débat de la semaine de La Tribune entre Sylvie Matelly, économiste à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et Cyrille Bret, chercheur à l'Institut Jacques Delors.
(Crédits : DR)

Sous le coup des sanctions, l'économie russe était censée « s'effondrer »dixit au printemps dernier Bruno Le Maire. Un an plus tard, il n'en est rien. L'hémorragie pour la Russie des capitaux occidentaux, le gel des actifs des oligarques et la chute des exportations d'hydrocarbures vers l'Europe ne sont pas indolores, certes. Mais les perspectives économiques de la Russie ne sont pas désespérantes non plus. En 2022, le PIB a subi un recul de 2,2% selon le FMI et l'Agence russe des statistiques Rosstat, une baisse modeste, sans commune mesure avec les -8% évoqués initialement par l'institution de Washington. Si, ces chiffres ont été contestés mardi par Emmanuel Macron qui estime que la chute du PIB russe est « beaucoup plus » forte, ils ont permis le même jour à Vladimir Poutine, dans son discours annuel adressé à la nation, de se féliciter de la résistance de l'économie russe et de mettre en avant les « opportunités » à saisir pour les entreprises de son pays.

Cette année, la croissance russe devrait même s'offrir, toujours selon le FMI, une petite progression de 0,3% avant une hausse de 2,3% en 2024, mieux que les pronostics de la zone euro. Sur le terrain militaire, les mesures de rétorsion de l'UE et des Etats-Unis n'empêchent pas l'armée russe de mener de féroces combats, ravitaillée par un complexe militaro-industriel qui tourne à plein régime dans une guerre partie pour s'éterniser.

A la veille du premier anniversaire de l'invasion de l'Ukraine, les pays de l'Union européenne tentent de trouver un terrain d'entente sur un dixième paquet de sanctions contre la Russie qui pourrait être annoncé d'ici à demain selon l'agence Reuters. Avec de nouvelles restrictions commerciales sur plus de 10 milliards d'euros de produits, ces nouvelles sanctions pourraient être les plus fortes jamais prises depuis le début de l'offensive. Elles pourraient inclure des restrictions bancaires destinées à rendre plus compliqué pour Moscou le financement de la guerre. Pour autant, ces nouvelles mesures font débat.

Alors, faut-il encore durcir les sanctions contre la Russie ?

POUR

Oui, il peut être nécessaire d'augmenter certaines sanctions mais en fixant des objectifs précis et des conditions à un assouplissement. A la veille d'une possible offensive russe, les partenaires de l'Ukraine ne doivent pas faiblir dans leur engagement alors que la guerre se poursuit. Pour autant, les sanctions pèsent moins qu'attendues sur une économie russe bien préparée et bien gérée, en particulier par la Banque centrale.

Peu soutenues par le reste du monde, les sanctions occidentales sont facilement contournées et elles semblent peu affecter l'effort de guerre alors qu'elles touchent probablement déjà, et toucheront durablement, une population russe qui, paradoxalement, se sentant en danger se fédère derrière ses décideurs politiques. De ce point de vue, les sanctions sont contre-productives et doivent donc être améliorées.

Les objectifs de nouvelles sanctions doivent donc être mieux définis. De nouvelles sanctions devront prendre en compte trois types d'objectifs. Elles devront être mieux ciblées, viser d'abord les oligarques pour fragiliser la décision politique russe et tenter d'en limiter les conséquences sur la population. Mais aussi chercher à fédérer autour de ces mesures afin d'éviter que la Russie n'intensifie ses relations avec d'autres pays dont certains pourraient être tentés de lui livrer des armes. La sanction est aussi un signal envoyé au reste du monde qui, pour être dissuasif, doit convaincre.

Enfin, elles devront intégrer les conséquences des sanctions sur l'économie mondiale et sur certains pays pourtant très éloignés de la guerre. Il s'agit bien évidemment de la question agricole et alimentaire mais aussi de l'accès à des tarifs abordables de l'énergie.

Sur ce point, les Occidentaux manquent d'imagination ou de volonté politique. Au moment de la crise de 2008, un groupe de travail avait été instauré au sein du G20 pour réfléchir à la spéculation sur les marchés des matières premières. Pourquoi une telle initiative a-t-elle échoué ? Pourquoi n'a-t-on pas relancé ce défi, alors que l'on sait que la spéculation a significativement participé aux difficultés rencontrées en 2022 ?

Les deux derniers objectifs doivent, au-delà des sanctions, pousser à relancer la coopération internationale et la recherche de compromis entre les Etats pour accompagner toute nouvelle sanction et faire cesser cette guerre. Il s'agit de construire les bases d'un monde d'après plus inclusif et plus stable, par exemple en remettant l'ONU au centre du jeu. Tout cela semble utopique mais a-t-on d'autres alternatives ?

CONTRE

Alors que la guerre fait rage depuis un an en Ukraine, alors que le nombre des morts civils et militaires atteint des niveaux terrifiants et alors que l'état-major russe prépare une nouvelle offensive, l'Union européenne s'interroge : doit-elle adopter une dixième vague de sanctions contre la Fédération de Russie ? Doit-elle allonger la liste des 1386 personnalités et des 171 entités (entreprises et institutions) déjà sanctionnées par elle, y compris au plus haut niveau de l'Etat ?

Moralement et juridiquement, les Européens ont toute légitimité pour frapper plus durement les décideurs russes et les entreprises de Russie : ils ont bafoué le droit international dont l'Europe se veut la gardienne. De plus, les sanctions sont, avec les exportations de défense vers l'Ukraine et le soutien financier à Kiev, un des trois piliers du soutien européen à l'État ukrainien, auquel l'Union a conféré le statut de candidat à l'adhésion.

Toutefois, sur le plan stratégique, aggraver les sanctions maintenant ne serait ni adapté au but recherché (changer la politique étrangère russe) ni opportun au vu du calendrier (anticiper une offensive nouvelle). Tout dépend des buts recherchés.

S'agit-il de sanctionner encore la Russie pour marquer la condamnation de l'invasion à l'occasion de sa commémoration ? Sanctionner pour commémorer, ce serait se méprendre sur la teneur de la stratégie des sanctions. Celles-ci ne produisent d'effets qu'à moyen et long terme, parfois après des décennies comme en Afrique du Sud ou en Iran. Ce dont a besoin l'Ukraine cette semaine, c'est d'un soutien d'urgence, sur le plan médiatique et symbolique. Pour condamner l'opération du 24 février 2022 et soutenir la révolution de Maïdan de 2013, le temps court de la commémoration et le temps long des sanctions sont irrémédiablement en décalage. Un déplacement à Kiev ou un discours commun des 27 seraient plus adaptés.

S'agit-il de paralyser l'effort de guerre russe et de dissuader la Russie de continuer son opération ? Dans ce cas, de nouvelles sanctions sont prématurées. Après neuf vagues de sanctions en onze mois, l'Union ne peut pas encore apprécier si elle a bel et bien réussi à désorganiser les approvisionnements du complexe militaro-industriel russe. Coûteuses pour les Européens, les sanctions doivent être adoptées de la façon la plus ciblée et la plus pertinente possible. Un peu de recul est nécessaire pour en choisir de nouvelles.

Enfin, la stratégie des sanctions est régie par un « effet cliquet ». Autrement dit, c'est une échelle de mesures qu'il est aisé de gravir mais qu'il est difficile de redescendre. Pour soutenir l'Ukraine sur le long terme, l'Union européenne doit, en matière de sanctions, se ménager des marges de progression pour l'avenir. Adopter de nouvelles sanctions maintenant priverait l'Union européenne de cette possibilité. Si, dans les premières semaines de l'invasion, l'Union devait démontrer sa réactivité et sa cohésion, elle doit désormais démontrer sa capacité à durer.

La stratégie des sanctions est aujourd'hui le principal levier de puissance de l'Europe pour assurer le soutien de l'Ukraine et sa propre sécurité. Ajouter une vague de sanctions aujourd'hui serait symboliquement fort mais ne renforcerait pas la réalité du soutien européen à l'Ukraine.

Commentaires 21
à écrit le 24/02/2023 à 1:04
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Les sanctions occidentales (en fait surtout américaines, l'UE n'a que peu de volets stratégiques hormis l'Europe du Nord dans une certaine mesure) ne marcheront plus pour une raison simple qui n'a pas existé durant le siècle dernier : -La Chine ...

à écrit le 23/02/2023 à 17:38
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On peut continuer à se tirer une balle dans le pied comme c'est ce qui ressort de toutes les études économiques sur ce sujet depuis un an. La Baisse de l'activité Russe a peu baissé en rapport à l'écroulement attendu et proclamé par l'UE de Ven Der L...

à écrit le 23/02/2023 à 14:34
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Bonjour, Il y a des années que je critique l'usage du diesel qui rapporte moins à l'état, pollue bien plus et enrichit un dictateur sans morale Et dans les forum tout ces gens qui défendent encore ce carburant maudit alors que sa vente aurait due ê...

à écrit le 23/02/2023 à 13:09
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Il est drôle de voir que certains pleurent que c’est l’UE qui subit des conséquences tandis que la crise énergétique est déjà derrière nous (au moins, dans la phase aigüe). Un peu bizarre de crier « on a perdu » après une bataille gagnée.

à écrit le 23/02/2023 à 13:06
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A). Il est surtout important de lutter contre les voies d’évitement de sanctions, surtout technologiques. Ensuite attendre. Les gens ne prennent pas en compte le facteur de temps, tandis que l’économie, surtout d’un grand pays, est une chose avec bea...

à écrit le 23/02/2023 à 9:53
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L'UE sous l'égide des EU ne parlent que sanctions .. tous ces bureaucrates qui pensent que cela suffira à changer la position Russe ne font au contraire que renforcer l'inflation que nous subissons et qui va finir par nous mettre un genou à terr...

à écrit le 23/02/2023 à 9:50
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Ils sont où les diplomates, il est urgent de faire taire les armes et d'aller non vers le souhaitable mais vers le possible.

le 23/02/2023 à 17:10
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Avril 2022 : Annoncée il y a plusieurs mois, la suppression du corps diplomatique a été publiée au Journal officiel et est donc actée. Mais cette petite révolution dans le monde des ambassadeurs passe mal auprès de ces derniers. Certains dénonçant m...

à écrit le 23/02/2023 à 9:37
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Considérer la Russie comme un partenaire commercial acceptable, c'est légitimer l'agression en Ukraine en donnant des moyens à Poutine. Peut-être que ça ne change pas grand chose et que ça nous penalise, mais ne rien faire serait renier nos valeurs q...

le 23/02/2023 à 12:36
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C'est certain. Il n'est pas question de renier nos valeurs. Ainsi avons soutenu depuis 2015 un régime d'extrême droite à Kiev issu d'un coup d'Etat qui, de 2015 à 2022, a massacré consciencieusement et méthodiquement, à l'arme lourde, sa propre popul...

le 23/02/2023 à 14:34
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@Ando : Le régime « extrême-droit » ukrainien après le coup d’Etat (le parlement qui a repris le pouvoir après la fuite d’Ianoukovich, a resté légitime pourtant) a passé entre temps par deux élections présidentielles libres dont les résultats ont été...

le 23/02/2023 à 17:25
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@ Ex-Moscovite C'est vrai que Zelensky a obtenu 73% lors de la présidentielle mais faut reconnaitre aussi que son rôle de président dans une série TV et ce pendant des années la aidé un peu , d'autant que la vieille de son élection ,la chaine N°2...

le 23/02/2023 à 19:00
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@lachose: Oui, ça aide, mais il n'y a aucun rapport avec l’extrême droite dont parle @Ando. A propos, chez un patriote russe, mais qui ne manque pas d'objectivité, j'ai lu une blague que j'ai bien aimé: "Nous (l'Ukraine et la Russie) sommes dirigés p...

le 27/11/2023 à 10:58
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depuis notre entrée dans cette dictature europeenne, notre liberté nous la perdons par petits morceaux et pour rien.

à écrit le 23/02/2023 à 9:02
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Les sanctions nous reviennent comme des boomerangs et l'on accuse La Russie de les avoir lancé ! Ce qui peut durer longtemps avec nos "niveaux d'intelligences" au pouvoir ! ;-)

le 23/02/2023 à 9:18
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ne croyez vous pas qu'il faudrait avant faire le menage chez nous par exemple rendre coupables ceux qui ont délocaliser la production de poudre a canon et autre emploi de munition et d'armes

à écrit le 23/02/2023 à 8:56
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Pendant que l'Oncle Sam ramasse la mise , l'UE se tire une balle dans le pied. On en arrive à acheter du gas oïl russe via l'Inde et les émirats qui prennent leur commission au passage. Quelle naïveté !!!

à écrit le 23/02/2023 à 8:46
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Faire plier un pays excédentaire en alimentation (céréales), énergies, eau,.. est complètement illusoire: une évidence. C’est nous en UE qui sommes les premiers punis, sans compter les répercussions de long terme (l’Afrique se détourne de l’UE, ainsi...

à écrit le 23/02/2023 à 8:01
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Tous ces causeurs de salon, ne semblent pas se rendre compte des alliances qui se nouent contre le monde dit occidental. Au bas mot deux tiers de la population mondiale ! La Russie aidee de la Chine va faire plier l'europe. Les populations pourront ...

le 23/02/2023 à 19:37
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Erreur d'analyse: la Chine va faire plier... la Russie. Cette (fausse) énorme entité avait déjà démondtré ses (in)capacités. Il ne lui restait que son armée pour pouvoir se glorifier Mais ça, c'était l'année dernière... A terme (pas long) toute la pa...

le 06/05/2023 à 10:23
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L’empire romain, l’Égypte, l’Europe Chrétienne, Les grecs, l’empire inca ont dominé le monde tout en étant entouré d.une multitude. Pendant ce temps des pays ne sortaient pas de leurs frontières. L.étrangeté réside dans un constat : Faire société...

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