Qu’ont commandé les Hongrois ?

C’est l’électron libre de l’Europe. La Hongrie a un train d’avance sur nous. Outre les vaccins Pfizer/BioNTech et Moderna - et bientôt AstraZeneca - distribués dans toute l’Union européenne, Budapest doit recevoir prochainement 2 millions de doses du vaccin russe Spoutnik V. Une semaine après avoir signé le contrat avec les Russes, le gouvernement hongrois récidive. Vendredi 29 janvier, il a autorisé le vaccin chinois Sinopharm et commandé dans la foulée 5 millions de doses livrées « en quatre étapes, sur une durée de quatre mois ».

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Alors que l’Union européenne connaît des retards de livraison des trois vaccins autorisés, la Hongrie entend prendre les devants pour vacciner le plus vite possible ses 9,8 millions d’habitants. Quitte à froisser sa population, déjà peu enthousiaste à la perspective de la vaccination. Seuls 15 % des Hongrois déclaraient mi janvier vouloir se faire vacciner. À la veille de l’homologation du Spoutnik V, ils n’étaient que 7 % à se dire prêts à l’essayer.

Pourront-ils choisir le vaccin qu’ils veulent se faire administrer ? Rien n’est sûr. Mais le gouvernement hongrois entend bien poursuivre sa conquête vaccinale. Un décret est en cours de préparation qui devrait permettre d’homologuer tous les vaccins qui auraient été reçus par plus d’un million de personnes.

La Hongrie a-t-elle le droit de faire cavalier seul ?

Le premier ministre hongrois Viktor Orban s’en est pris à la « lenteur » du processus européen d’homologation des vaccins. « Nous recevons (des vaccins) des Russes, Chinois, Américains, nous parlons avec les Israéliens (…) pendant que nous attendons que Bruxelles tente de gérer tant bien que mal la situation », a-t-il lancé.

Aucun des deux vaccins russes et chinois n’a passé l’épreuve de l’Agence européenne du médicament (AEM). Dans le cas d’un contrat groupé, les États membres doivent attendre son feu vert pour obtenir les vaccins. Une fois donné, la mise sur le marché est contraignante pour tous.

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S’agissant de deux vaccins qui n’ont pas fait l’objet d’un contrat groupé, « un État membre peut décider de délivrer une autorisation de mise sur le marché au niveau national. Mais le produit autorisé ne peut être distribué dans le reste de l’Europe », explique Isabelle Marchais, en charge des questions de santé à l’Institut Jacques Delors.

Que valent les vaccins russes et chinois ?

D’un côté comme de l’autre, Russes et Chinois ont déjà commencé à inoculer le vaccin issu de leurs laboratoires sur leur population. Pour ce qui est du russe Spoutnik V, les autorités sanitaires affirment qu’il est efficace à 91,4 %. À l’instar du vaccin d’AstraZeneca, il se fonde sur une technologie à base virale à deux doses. Moscou a d’ailleurs déposé une demande d’homologation de son vaccin à l’AEM le 20 janvier. Mais il faudra encore de longs mois pour que le vaccin, dont les essais cliniques de phase 3 ne sont pas encore terminés, passe cette ultime étape.

Le vaccin chinois Sinopharm est largement déployé en Chine et dans les pays en développement. Mais il n’a - pour l’instant tout du moins - pas prévu de débarquer sur le marché de l’UE, Hongrie exceptée. Selon le laboratoire, il est efficace à 79 %. Il est dit « inactivé » car il utilise des virus morts pour stimuler les défenses immunitaires. « Pas très innovant », commente l’épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, Antoine Flahault : « L’intérêt, c’est qu’on a l’ensemble des antigènes du virus et pas simplement une protéine. Mais souvent, ce sont des vaccins un peu moins efficaces que les vaccins à virus vivant atténué comme celui d’AstraZeneca ou du Spoutnik V. »

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Viktor Orban mise pourtant gros dessus: « J’attendrai mon tour et le moment venu, je choisirai le vaccin chinois, celui en lequel j’ai le plus confiance. » Reste que pour de nombreux observateurs, la valeur scientifique des tests chinois est douteuse en raison de son manque de transparence. « S’il y avait des effets indésirables avec ce vaccin, la stratégie hongroise serait remise en question », estime Antoine Flahault. Et de s’interroger : « Est-ce que les Hongrois vont être aussi confiants de se faire vacciner avec un vaccin Sinopharm qu’avec un vaccin Moderna [examiné et validé par l’AEM, NDLR] ? »