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Pourquoi une Ecosse indépendante de retour dans l’UE n’est pas pour demain

Forte de sa victoire aux élections législatives écossaises du 6 mai, la Première ministre nationaliste Nicola Sturgeon espère un nouveau référendum sur l’indépendance de sa nation au plus tôt… et rejoindre l’Union européenne en cas de vote favorable. Une perspective néanmoins très hypothétique et lointaine.

En signe de protestation face à un Brexit auquel il était opposé, le gouvernement écossais a décidé que l'ensemble de ses bâtiments arboreront tous les jours le drapeau européen en 2021 - Crédits : Christopher Ames / iStock
En signe de protestation face à un Brexit auquel il était opposé, le gouvernement écossais a décidé de faire flotter le drapeau européen devant ses bâtiments tous les jours en 2021 - Crédits : Christopher Ames / iStock

Après le départ des Britanniques de l’Union européenne en 2020, une partie d’entre eux pourrait-elle y revenir ? C’est en tout cas le souhait formulé par le Scottish National Party (SNP), auréolé d’une large victoire aux élections pour renouveler Holyrood, le Parlement écossais, avec 64 sièges sur 129 acquis le 6 mai. Avec les huit sièges remportés par les Verts écossais, également favorables à l’indépendance et proches du SNP, le camp indépendantiste détient la majorité absolue au sein de l’assemblée.

Ce succès électoral de la Première ministre écossaise sortante Nicola Sturgeon, reconduite dans ses fonctions, lui permet d’espérer la tenue d’un référendum d’indépendance en 2023. Durant toute la campagne pour le dernier scrutin, celle qui dirige le SNP depuis 2014 n’a cessé de répéter qu’une victoire aux élections législatives signifierait que les Ecossais se prononcent en faveur d’un vote référendaire.

Dans l’hypothèse où les électeurs seraient effectivement consultés et voteraient pour l’indépendance, le souhait de la cheffe du gouvernement est aussi que sa nation rejoigne à nouveau l’UE aussi tôt que possible. Contrairement au Royaume-Uni dans son ensemble, l’Ecosse avait voté à 62 % contre le Brexit en 2016. La sortie effective du pays a été un événement traumatique pour nombre de ses habitants, qui estiment que leur volonté n’a pas été respectée et qui pourraient ainsi changer le cours de l’histoire.

D’autant que l’attachement des nationalistes à la construction européenne s’est solidement ancré dans leur mouvement depuis plus de trois décennies, comme l’explique dans une publication Aziliz Gouez, chercheuse associée à l’Institut Jacques Delors et spécialiste de l’identité européenne et du symbolisme politique. Auparavant eurosceptique, “à partir de la fin des années 1980, le SNP a fait de ‘L’indépendance en Europe’ l’un de ses mots d’ordre, repris année après année dans ses manifestes électoraux”, écrit-elle. Les indépendantistes estiment que pour l’Ecosse, Etat de taille modeste, l’adhésion à l’Europe serait une opportunité de s’assurer une voix au sein du concert des nations européennes. Et donc de bénéficier de plus d’avantages et d’être plus entendue qu’au sein du Royaume-Uni, où Londres est perçue comme trop puissante malgré la dévolution.

Le principal parti nationaliste écossais, au pouvoir depuis maintenant 14 ans, peut-il croire à la réalisation de ses desseins indépendantiste et européen ?

Une accession à l’indépendance incertaine

Le poids politique du SNP est encore loin de lui garantir une Ecosse indépendante. En 2014, après un accord avec le Premier ministre britannique David Cameron à la suite de la victoire à la majorité absolue du SNP aux élections parlementaires écossaises de 2011, un référendum sur la question avait déjà eu lieu. Les Ecossais avaient alors rejeté l’indépendance à 55 %.

Aujourd’hui, les sondages sur la question témoignent d’un électorat très divisé. Ceux-ci alternent entre une courte victoire du “oui” et du “non”, l’écart entre les deux camps correspondant le plus souvent à la marge d’erreur inhérente aux études d’opinion. Les dernières en date, que l’on peut consulter sur le site de l’hebdomadaire New Statesman, penchent plutôt pour le maintien de l’Ecosse au sein du Royaume-Uni. Pour l’heure, ces indicateurs ne permettent donc pas à Nicola Sturgeon d’organiser un vote avec la certitude de l’emporter.

Surtout, outre l’incertitude entourant l’issue d’un éventuel référendum, l’organisation de ce scrutin se trouve confrontée à un obstacle de taille… Boris Johnson. Le chef du gouvernement britannique est en effet totalement opposé à cette idée. Selon lui, les Ecossais ne peuvent être consultés sur l’indépendance qu’une seule fois par génération. Autre argument avancé par le camp conservateur : le SNP n’a remporté qu’une victoire en demi-teinte aux dernières législatives car il manque à la formation indépendantiste un siège au Parlement écossais pour y détenir la majorité absolue à elle seule. Le SNP n’aurait donc pas la légitimité politique et électorale suffisante pour justifier la tenue de ce référendum.

Le différend opposant les deux Premiers ministres pourrait être tranché par la Cour suprême du Royaume-Uni, la plus haute instance judiciaire du pays. Si elle lui donnait tort, la cheffe du SNP se conformerait probablement à sa décision. Les nationalistes écossais ont en mémoire le référendum organisé unilatéralement par la Catalogne en 2017, qui avait abouti à une déclaration d’indépendance illégale. Une expérience qu’ils veulent absolument éviter de reproduire. 

Pour l’heure, le gouvernement écossais souhaite en premier lieu tourner la page de la pandémie avant de songer à ce scrutin référendaire, qu’il espère tenir d’ici la fin 2023. Si cela se révélait irréalisable, la Première ministre pourrait proposer un vote consultatif des Ecossais, qui n’aurait pas la force juridique du référendum de 2014. Un plan B pour Mme Sturgeon, lequel l’autoriserait, en cas de triomphe du vote pour l’indépendance, à exercer une pression politique encore plus forte sur l’exécutif londonien.

Rejoindre l’UE ne sera pas une formalité

Si l’Ecosse réalisait finalement ce référendum, que le “oui” l’emportait et que la nation accédait, après négociations entre Edimbourg et Londres, à l’indépendance – le SNP envisage d’y accéder en 2026 –, le pays pourrait ensuite se projeter vers le deuxième grand objectif du parti nationaliste : revenir dans l’UE.

Pour que ce retour puisse avoir lieu, il faudrait tout d’abord que l’ensemble des pays de l’UE y consentent. Pas sûr que l’Espagne, confrontée à la crise liée au séparatisme catalan, voit d’un très bon œil la venue d’un nouveau membre né d’une sécession récente. “Les indépendantistes écossais pourraient déchanter un peu, parce qu’ils risqueraient de ne pas obtenir un soutien des États européens, comme cela s’est passé avec la Catalogne”, estime Christian Lequesne, politologue professeur à Sciences Po interrogé par TV5 Monde. “Aucun État européen n’aime que chez un voisin, il y ait un grand mouvement sécessionniste. Il y a un conservatisme sur l’intégrité de l’État — de ce point de vue là — qui existe partout dans l’Union européenne”, analyse l’universitaire.

Pour Kirsty Hughes, politiste et directrice du Centre écossais des relations européennes interviewée par Euronews, l’avenir européen de l’Ecosse pourrait cependant se révéler moins sombre. Selon elle, “l’Espagne approuverait une demande d’adhésion si le processus d’indépendance est légal et constitutionnel. Pour l’Espagne et pour les Etats membres de l’UE, cela signifierait que Londres et Edimbourg se seraient entendus”.

En revanche, comme le note Ignacio Molina, chercheur au think tank Real Instituto Elcano à Madrid, cité par Politico, “ce que la diplomatie espagnole a toujours souligné, c’est que l’Écosse devrait se porter candidate comme n’importe quel autre candidat, sans raccourcis ni privilèges, comme une option de retrait pour l’euro ou l’espace Schengen”. Dans cette configuration, le fait qu’Edimbourg ait appartenu à l’UE ne lui accorderait donc aucun passe-droit et elle n’aurait pas d’autre choix que de suivre le processus d’adhésion classique à l’UE. 

Pour l’Ecosse, la route vers l’adhésion semble donc semée de nombreuses embûches et soumises à beaucoup de conditions. Pour adhérer à l’Union, le pays devrait au préalable se conformer aux critères de Copenhague, qui conditionnent la venue d’un nouvel Etat membre. Pour ce faire, le jeune pays devrait en effet créer toute une série d’institutions et d’organes de régulation jusqu’ici basés à Londres. Les mettre sur pied demanderait inévitablement du temps, et retarderait d’autant une adhésion à l’UE.

Autre difficulté : l’économie, et tout particulièrement les règles relatives au déficit public. La situation économique de l’Ecosse, affectée par le Brexit et la crise du coronavirus, pourrait conduire la nation fraîchement indépendante à connaître un déficit de l’ordre de 10 % du produit intérieur brut, selon une analyse du Financial Times parue en avril 2021. Un taux bien au-dessus de la “règle des 3 %” définie au niveau européen. 

D’autres questions devront aussi être résolues, comme celle de la frontière avec le Royaume-Uni. Un vrai casse-tête, avec la séparation entre l’Ecosse et l’Angleterre qui deviendrait une frontière de l’UE. Comment assurer la continuité des échanges avec Londres d’une part et avec l’Union d’autre part ? Les tensions actuelles autour de la frontière entre les deux Irlande illustrent à quel point cet aspect est sensible. 

Etant donné toutes ces considérations, en combien de temps une Ecosse indépendante pourrait-elle espérer devenir un Etat membre ? 4 à 5 ans, répond la politologue Kirsty Hughes dans un article rédigé pour le quotidien écossais The Herald. Au mieux, l’Ecosse peut donc espérer s’affranchir de Londres et réintégrer l’UE d’ici le début de la prochaine décennie.

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1 commentaire

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    Christophe DEVRAIGNE

    Si la libre circulation est effective et que l’irlande du Nord applique les régles de l’UE, peux t-on considérer que des produits venant d’irlande du Nord concernvent l’origine communautaire et les avantages qui vont avec à l’export ou bien sont ils désormais d’origine britannique et ne bénéficient plus des accords préférentiels négociés par l’UE avec ses partenaires à l’exportation ( ex ACP) ?