Prix du carbone, voitures thermiques, renouvelables... Les 10 enjeux du grand plan climat européen

La Commission européenne doit détailler mercredi 14 juillet son plan de route opérationnel pour parvenir à baisser de 55% ses émissions de CO2 d’ici à 2030. Douze textes sont sur la table. Tous les secteurs industriels seront concernés.

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Prix du carbone, voitures thermiques, renouvelables... Les 10 enjeux du grand plan climat européen
La Commission européenne détaille le 14 juillet son plan d'action pour atteindre une baisse de 55 % de ses émissions de C02 en 2030.

C’est un chantier colossal qui s’ouvre mercredi 14 juillet à Bruxelles. La Commission européenne doit détailler son paquet climat "Fit for 55", un ensemble de douze propositions de règlements et de directives pour détailler comment l’Union européenne compte atteindre son objectif de baisse de ses émissions carbone en 2030. "Il s’agit du plan grand paquet législatif de l’histoire de l’Union européenne", remarque Thomas Pellerin-Carlin, expert énergie pour l’institut Jacques Delors. Fin 2020, l’Union européenne s’est fixée comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, avec un objectif intermédiaire à 2030 de baisser de 55% de ses émissions.

Désormais, il s’agit de passer aux travaux pratiques et de traduire de façon opérationnelle la voie à suivre. La marche est haute. Pour être dans les clous, des actions vont devoir être enclenchées dans tous les secteurs économiques. D’où l’aspect tentaculaire et touffu de la proposition de la Commission, qui compte plusieurs milliers de pages. Normes d’émissions des voitures, extension du marché carbone au transport et au bâtiment, taxation de l’énergie… "Le paquet législatif doit permettre d’atteindre de façon crédible la cible de baisse des émissions", prévient Lucie Mattera, la responsable Europe du think-tank E3G. Deux autres textes, sur la performance énergétique des bâtiments et le paquet gaz, doivent encore compléter l’arsenal fin 2021. 

Les négociations avec le Parlement et les Etats-membres ne vont commencer véritablement qu’en septembre. La Commission espère les achever d’ici 2023. Mais les discussions s’annoncent âpres. "L’Europe rentre maintenant dans le dur, les désaccords vont être plus intenses. Des coalitions de pays se constituent, à géographie variable selon les sujets", pointe Thomas Pellerin-Carlin. La France et les Européens de l’Est s’inquiètent des répercussions sociales de l’extension du marché carbone au bâtiment. L’Allemagne et les pays nordiques soutiennent du bout des lèvres le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Le débat sur la fin du véhicule thermique s’annonce aussi musclé. Tout l’enjeu sera de trouver un point d’équilibre, sans mettre en péril l’ambition climatique européenne.

1. Transport, bâtiment, maritime et aérien intégrés au marché carbone

40% des émissions de carbone de l’UE sont couvertes actuellement par le système ETS de quotas carbone. Soit 12 000 sites industriels de production d’électricité et de réseaux de chaleur. La Commission propose d’étendre le marché carbone à deux nouveaux secteurs du transport routier et du bâtiment, via la création d’un marché carbone propre. Poussée par l’Allemagne, l’extension du marché carbone inquiète la majorité des Etats-membres, dont la France, échaudée par le mouvement des gilets jaunes. Ils pointent le risque d’explosion sociale, alors que les ménages européens les plus modestes seront les plus affectés en proportion par une hausse du prix de l’essence ou du fuel domestique. Le transport maritime devrait aussi être rattrapé par le marché carbone. Dans l’aérien, les vols intérieurs sont déjà soumis au système ETS, mais bénéficient très largement de quotas d’émissions gratuits. Ce ne serait plus forcément le cas.

2. Un fonds pour éviter l'explosion sociale

C’est la contrepartie directe de l’inclusion du transport routier et du bâtiment dans le marché carbone: un nouveau fonds de solidarité devrait être créé, afin de compenser les conséquences sociales pour les plus modestes de la politique climatique. Il serait alimenté par une partie, vraisemblablement la moitié, des revenus futurs du nouveau marché carbone. De quoi permettre aux Etats-membres de financer des politiques de péréquations ou de subventions à l’équipement et éviter de cristalliser la grogne sociale. Il ne serait mis en place que lorsque l’extension du marché carbone pour le bâtiment et le transport sera effective, a priori pas avant 2025 au mieux. Le principe en tout cas n’est pas nouveau. Deux fonds sont déjà adossés au marché carbone actuel: l’un pour aider les investissements des pays européens les moins riches, l’autre pour soutenir les innovations des entreprises dans des procédés plus verts.

3. De nouvelles règles de fonctionnement pour le marché carbone

Au-delà de son extension à de nouveaux secteurs, le marché carbone européen (ETS) va être réformé en profondeur. La Commission prévoit de baisser le plafond de quotas disponibles pour les industriels et de retirer davantage de quotas excédentaires par l’intermédiaire de la réserve de stabilité du marché. L’objectif est clair: faire grimper le prix de la tonne de carbone. Les recettes liées au marché carbone devraient aussi être utilisées différemment. Une partie alimente déjà un fonds pour l’innovation, qui sert à financer des démonstrateurs de technologies vertes. Le système devrait être modifié pour inciter les investissements des industriels en réduisant le surcoût des technologies bas carbone. "Il devrait fonctionner sur le modèle du tarif de rachat pour les renouvelables actuellement existant", explique Oliver Sartor, consultant pour le think tank Agora Energiewende.

4. Limiter les fuites de carbone avec le mécanisme d'ajustement aux frontières

Pour éviter les fuites de carbone, la Commission va se doter d’un nouveau dispositif: le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Les importateurs d’électricité d’acier, de ciment, d’engrais et d’aluminium devront acheter des quotas de CO2, au prix du marché carbone européen, en fonction de l’intensité carbone de leurs produits. Par défaut, celle-ci devrait être fixée au niveau des 10% des entreprises européennes les plus polluantes. "Sinon, les importateurs pourront déterminer l’impact carbone de leurs produits, validé par une autorité certifiante", explique Ruth Guerra avocate chez KPMG avocats.

Le mécanisme implique la fin des quotas gratuits, pour éviter une double protection des industriels européens incompatible avec les règles de l’OMC. Tout l’enjeu des discussions et du lobbying des industriels va se concentrer sur le rythme auquel ces quotas seront retirés. La Commission pourrait opter pour une transition lente pour laisser le temps aux industriels de s’adapter, avec une mise en œuvre graduelle du mécanisme d’ajustement aux frontières à partir de 2026, étalée sur dix ans. Un délai que la Commission devra aussi utiliser pour convaincre ses partenaires internationaux que le dispositif n’est pas un arsenal protectionniste. 

5. De nouvelles cibles de baisse des émissions pour chaque pays 

Le marché carbone n’est pas le seul instrument. Chaque pays européen est soumis à des objectifs contraignants de baisse de ses émissions d’ici 2030, différents selon leur PIB. Il revient ensuite à chaque Etat de le traduire en actions concrètes. L’Europe va devoir les réviser à la hausse afin de les aligner sur la nouvelle cible de baisse de -55% des émissions européennes. Fixés en 2018, avant le Pacte vert, les objectifs pour 2030 prévoyaient une baisse de 40% des émissions de la Suède par rapport à 2005, de -37% pour la France. L’effort exigé était moindre pour le Portugal (-17%), la Pologne (-7%), ou la Bulgarie (0%) par exemple. Les Européens de l'Est, qui défendent une transition plus progressive, pourraient être davantage mis à contribution. 

6. Une date butoir pour l'interdiction des moteurs thermiques

C’est une révolution qui se prépare pour le secteur automobile: la Commission va mettre sur la table de nouvelles normes d’émissions de CO2 pour les véhicules thermiques en 2030. Jusqu’à présent, Bruxelles avait fixé la barre à 37,5% de baisse des émissions de CO2 pour 2030, mais l’effort exigé pourrait monter jusque 60%, selon des avant-projets qui circulent. Ce qui supposerait une hausse drastique de la part des véhicules électriques à cette date. Ce faisant, Bruxelles fixerait une date d'arrêt des nouveaux véhicules thermiques. L’échéance est là aussi encore très discutée, mais les dates de 2035 ou de 2040 sont avancées. Elle pourrait obliger les constructeurs qui ont misé sur l'hybride comme technologie de transition, à rapidement changer de pied. 

7. Fixer de nouveaux objectifs de renouvelables dans le mix énergétique européen

Pour atteindre les objectifs de réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre (GES), le rôle des énergies renouvelables est prépondérant. L’UE envisage de s’attaquer à la fiscalité sur les énergies en favorisant les renouvelables, au détriment des énergies fossiles. Et surtout d’augmenter l’objectif de capacités de production des renouvelables en Europe. Cela passe par une révision de la directive sur les énergies renouvelables. Elle fixe notamment les objectifs contraignants pour les énergies renouvelables dans le bouquet énergétique européen.

En 2018, l’UE avait défini un objectif de 32% d’EnR dans le mix énergétique européen pour 2030, alors qu’il atteint aujourd’hui péniblement 20%. Mais pour tenir les nouveaux engagements, il faudrait que le niveau se rapproche de 40%. Pour la France, ce sera un sacré défi, sachant qu’elle est déjà très en retard dans le développement des renouvelables. L’objectif fixé par l’Europe de 23% de production avec des énergies renouvelables en 2020 n’a déjà pas été atteint par la France, qui n'affiche qu'un niveau de 19,1%. 

8. Réduire la consommation avec l’efficacité énergétique

Dans le domaine de l’énergie, la baisse de la consommation est essentielle. La directive sur l’efficacité énergétique avait fixé en 2018, une réduction de la consommation de 32,5% d’ici 2030, sans objectif contraignant. L’idée est aujourd’hui de le rendre contraignant. La rénovation des bâtiments est un chantier immense. Aujourd’hui, l’objectif est de 3% de bâtiments publics et occupés, ce qui est extrêmement limité au regard de l’immensité du parc en Europe. Est-ce que l’Europe aura le courage d’imposer une rénovation thermique à tous les bâtiments publics? Réseau action climat, qui fédère les ONG en lutte contre le dérèglement climatique, demande le triplement du taux annuel de rénovation énergétique, l’introduction de normes minimales de performance énergétique ambitieuse et l’introduction de standards. Pas sûr qu’il soit entendu.

9. Accélérer le déploiement des bornes de recharge

L’UE souhaite faciliter le déploiement des infrastructures pour les énergies alternatives. Elle a déjà annoncé qu’elle porterait le nombre de points de recharge électrique à un million d’ici 2025, et 3 millions en 2030. Elle va également réviser la directive AFID de 2014 pour faciliter la transparence sur les prix et faciliter les paiements transfrontaliers lorsqu’un automobiliste recharge sa voiture électrique.

10. Fixer des objectifs de biocarburant pour l’aérien

L’aérien est aussi dans le viseur. En dehors d’une taxation du kérosène, la Commission européenne envisage d’imposer un pourcentage de biocarburant de 2% en 2025, puis de 5% en 2030 pour arriver à 63% en 2050. Le secteur prévoit déjà l'arrivée de l’avion à hydrogène dans une quinzaine d’années. "La volonté est de faire payer le secteur aérien pour amorcer un rééquilibrage en faveur du ferroviaire, mais nous aurons plus de détails sur les mesures prises en faveur du ferroviaire dans les prochains mois", prévient Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre Energie de l’Institut Jacques Delors. Le transport maritime, qui représente environ 3 à 4% des émissions de GES de l’UE (comme l’aérien) semble un peu plus épargné. Il devrait intégrer le marché européen du carbone (ETS).

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