Verif'

Que sait-on des années géorgiennes de Raphaël Glucksmann ?

Publié le 24 avril 2024 à 14h58

Source : Bonjour !

Jean-Luc Mélenchon ou encore Jordan Bardella attaquent régulièrement l'eurodéputé Raphaël Glucksmann sur ses années passées en Géorgie.
Le leader LFI qualifiant l'ancien président Saakachvili, que Raphaël Glucksmann a conseillé, de "dictateur".
Les Vérificateurs reviennent sur cette période allant de 2009 à 2012.

Tête de liste PS-Place Publique aux élections européennes, Raphaël Glucksmann fait l'objet de critiques de plus en plus nombreuses depuis plusieurs semaines. Au cours d'un récent débat sur France Inter, Jordan Bardella lui a notamment reproché d'avoir "travaillé pour le compte d'intérêts étrangers", au service d'un "président géorgien aujourd'hui en prison".

Le patron du RN n'est pas le seul à cibler Raphaël Glucksmann, puisque Jean-Luc Mélenchon lui impute une "haine des Russes qui l'a conduit à travailler pour le dictateur géorgien Saakachvili, aujourd'hui en prison pour corruption". Les années passées dans le Caucase par l'élu Place Publique lui sont enfin reprochées par les communistes : "Ne lui demandez pas ce qu'il faisait en Géorgie entre 2009 et 2012", peut-on notamment lire sur une récente affiche

Un rôle de conseiller tout sauf "officieux"

Contrairement à ce que suggèrent certains, Raphaël Glucksmann ne dissimule pas ses années géorgiennes – d'ailleurs évoquées dans plusieurs de ses ouvrages. Il assume ainsi son rôle de conseiller auprès du président de l'époque, Mikheil Saakachvili (au pouvoir entre 2004 et 2013) qu'il a occupé trois ans durant. Si un reportage de France 24 diffusé en mai 2009 lui attribuait cette fonction à titre "officieux", il s'agissait en pratique d'un poste officiel, comme le confirme à TF1info Thorniké Gordadzé, enseignant à SciencesPo et chercheur associé à l’Institut Jacques Delors.

Franco-géorgien, il connaît bien Raphaël Glucksmann et fut durant plus de deux ans vice-ministre des Affaires étrangères de la Géorgie, à l'époque où l'eurodéputé a fait le choix de s'installer à Tbilissi. Ce poste ? "Il n’avait rien de secret", tranche-t-il. "Il avait un bureau, un badge et un ordinateur !" Dans les archives, on constate aussi que l'ancien documentariste cosignait en 2010 une tribune dans Le Figaro. Il se présentait alors comme "conseiller spécial du président géorgien".

Le militant d'un rapprochement avec l'UE

Thorniké Gordadzé se souvient d'un homme pour qui le francophile ex-président Saakachvili éprouvait "une forme d’affection" ainsi qu'une "amitié". Pourquoi le chef d'État a-t-il intégré Raphaël Glucksmann à son équipe ? "C'est une personne qui écrit très bien", souligne à TF1info l'entourage de l'eurodéputé, "ce qui était alors l’essentiel de son activité puisqu'il rédigeait notamment des discours". À cela, il porte en lui un "engagement anti-Poutine", nourri de plusieurs expériences dans des pays de l'ex-bloc soviétique. 

La rencontre entre Raphaël Glucksmann et Mikheil Saakachvili remonte à 2004, alors que le premier réalise un documentaire sur les révolutionnaires pro-européens en Ukraine.  Au cours de ces années passées à Tbilissi, il y épouse Eka Zgouladze, future ministre de l'Intérieur de Saakachvili, avec laquelle il aura un fils et dont il a depuis désormais divorcé. 

Le profil du jeune homme se révélait "très utile à la Géorgie de l’époque", estime aujourd'hui Thorniké Gordadzé, tant par ses "liens avec les médias en France", qu'avec "des députés européens de différents pays". En 2022 sur X, Raphaël Glucksmann résumait pour sa part son action en Géorgie à la conduite d'une mission centrale : coordonner "les politiques d’intégration à l’Union européenne sous l’autorité du président Saakashvili"

Le magazine Marianne, qui s'est penché sur son travail auprès de l'ex-président, rapporte pour sa part qu'entre Paris et Tbilissi, il côtoyait "les réseaux franco-géorgiens", multipliant "les rendez-vous dans les palaces, parfois au Plaza Athénée, pour faire avancer les dossiers d'armement de la Géorgie"

Mikheil Saakachvili, un dictateur ?

Peut-on par ailleurs affirmer, comme le fait Jean-Luc Mélenchon, que Raphaël Glucksmann a travaillé pour un "dictateur" en la personne de Mikheil Saakachvili ? Pour le savoir, TF1info s'est tourné vers Human Rights Watch (HRW). "Au cours de ses mandats", l'ancien chef d'État "a été à l'origine d'un certain nombre de violations des droits de l'homme très préoccupantes", indique l'ONG en préambule. Néanmoins, "certains observateurs recourent trop facilement aux caricatures pour décrire son action". En matière de respect des libertés fondamentales, le bilan de ses années au pouvoir est décrit par HRW comme "très mitigé", marqué notamment par "des cas de recours excessif à la force policière contre des manifestations pacifiques"

Devant la justice de son pays en 2021, Mikheil Saakachvili a "regretté plusieurs fautes" commises lorsqu'il était au pouvoir, en particulier l'échec à "construire un système judiciaire indépendant". Il s'agit d'un élément majeur à lui imputer, selon Human Rights Watch, qui épingle aussi les conditions carcérales en Géorgie sous sa présidence. Si la situation héritée de son prédécesseur était "épouvantable", les améliorations ont été jugées faibles, avec "des cas de torture" rapportés dans certaines prisons. Des "abus de ressources administratives à l'occasion d'élections" sont enfin évoqués, au même titre qu'un "démantèlement de l'inspection du travail", sous couvert d'ouverture du pays aux investissements étrangers. 

Dans l'entourage de Raphaël Glucksmann, on vante des progrès majeurs réalisés en matière de liberté de la presse. Ils se révèlent pourtant peu probants : 94ᵉ du classement mondial de Reporters sans frontières en 2004 (sur 167), la Géorgie ne figurait qu'à la 102ᵉ place (sur 179) en 2013, avec un score à peine meilleur que dix ans plus tôt. Notons qu'un pic à la 66ᵉ place fut enregistré en 2007.

L'omniprésente ombre russe et soviétique

En 2011, Le Figaro rapportait que la Géorgie avait réformé en profondeur sa police, faisant passer ses effectifs de 85.000 à 23.000. Dans l'entourage de Raphaël Glucksmann, on rappelle aussi que Mikheil Saakachvili a quitté le pouvoir après une élection, reconnaissant "le soir-même" sa défaite. Une réaction "qui n'est définitivement pas celle d'un dictateur", lance-t-on à TF1info. Ceux qui soutiennent dorénavant son bilan soulignent dans le même temps qu'il est arrivé en 2004 à la tête d'un pays ayant quitté le bloc soviétique moins de 15 ans auparavant, miné par la corruption, le népotisme, des fraudes électorales et la misère de sa population. 

Exilé aux États-Unis puis en Ukraine après 2013, l'ancien président a été condamné en 2018 par contumace à une peine de six ans de prison ferme. Non pas pour corruption, mais dans le cadre d'affaires portant sur des abus de pouvoir. Revenu dans son pays en 2021, Mikheil Saakachvili a été arrêté immédiatement et mis en détention.

Gravement malade, Mikheil Saakachvili bénéficie aujourd'hui du soutien d'ONG telles que Human Rights Watch et Amnesty International, qui réclament sa libération pour raison de santé et dénoncent les soins qui lui sont refusés par les autorités géorgiennes. La condamnation par contumace qui a conduit à son emprisonnement fait également l'objet de vives critiques : elle est présentée comme "contraire aux normes internationales en matière de procès équitable". La libération de l'ancien chef d'État a aussi été réclamée par le Parlement européen, à travers une résolution datant de février 2023.

Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur X : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.


Thomas DESZPOT

Sur le
même thème

Tout
TF1 Info