Réforme du marché de l’électricité : les 27 s’écharpent sur le soutien au nucléaire… et au charbon !

Les Européens peinent à s'entendre sur la réforme cruciale du marché de l'électricité. Sans surprise, Paris et Berlin s'affrontent sur la question du soutien au nucléaire. Mais un autre point d'achoppement s'est invité dans les discussions : le soutien aux centrales à charbon, demandé par la Pologne. Une faveur à laquelle ne s'oppose pas directement la France, malgré les risques potentiels pour le climat. Explications.
Juliette Raynal
(Crédits : Reuters)

Les ministres européens de l'Energie ne sont pas parvenus à un accord hier soir sur la réforme du marché de l'électricité. Après que le conseil se soit prolongé bien au-delà de l'horaire prévu, les discussions ont été renvoyées aux diplomates. « La présidente a très bien géré un conseil qui aurait pu être tendu », rapporte l'entourage de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. Son cabinet explique également vouloir continuer à travailler « de manière constructive, sans polémique, à l'écoute des uns et des autres ». Autant de formules qui soulignent justement la tension palpable entre les 27 sur ce sujet éminemment sensible.

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Pour rappel, la Commission européenne entend mener à bien une réforme du marché de l'électricité d'ici la fin de l'année. L'enjeu n'est pas de faire évoluer le marché de court terme, mais celui de long terme afin de protéger les consommateurs (particuliers et entreprises) de la volatilité des prix et de donner une visibilité suffisante aux producteurs pour les encourager à développer de nouvelles capacités électriques décarbonées. Une réforme clé pour la compétitivité des industries européennes, qui sont amenées à consommer beaucoup plus d'électricité dans les années à venir pour tenir leurs objectifs de décarbonation.

Blocage sur le soutien au nucléaire existant

Pour y répondre, un consensus s'est formé autour du développement des contrats pour différence. Concrètement, il s'agit de fixer un prix cible garanti par l'Etat. Lorsque les prix de marché sont plus élevés que ce prix, les producteurs d'électricité versent la différence aux pouvoirs publics. À l'inverse, lorsque le prix de marché est inférieur au prix de référence, les producteurs sont compensés par l'Etat.

La Commission européenne propose que tout soutien public à de nouveaux investissements dans la production d'électricité décarbonée s'effectue exclusivement via ces contrats, y compris pour le nucléaire existant lorsqu'il s'agit de prolonger la durée de vie des centrales ou leur capacité.

Un point crucial pour la France alors qu'EDF, désormais détenu à 100% par l'Etat, doit engager des sommes colossales pour mener à bien le grand carénage des réacteurs nucléaires du parc actuel. « L'enjeu est de traiter de la même manière un actif nouveau et un actif qui peut être prolongé de dix ans », souligne-t-on au cabinet d'Agnès Pannier-Runacher. « S'il n'y a pas de réinvestissements dans ces actifs existants, ces actifs ne pourront plus continuer à exister », ajoute-t-on.

Mais l'Allemagne, l'Autriche et le Luxembourg s'y opposent catégoriquement. « Nous sommes d'accord avec les contrats pour différence, en général, bien sûr, mais pour la production existante, nous pensons que cela pourrait conduire à des distorsions du marché », a déclaré Robert Habeck, vice-chancelier et ministre de l'économie et du climat de l'Allemagne, s'appuyant sur le fait que le parc nucléaire existant est déjà en grande partie amorti. De son côté, le ministre luxembourgeois de l'Energie Claude Turmes a dénoncé un « chèque en blanc à EDF ».

La tension grimpe d'un cran

« Il serait dangereux pour la sécurité d'approvisionnement des Européens de se priver de cette électricité », argue-t-on du côté français. « Nous sommes prêts à fixer des mécanismes de fixation de plancher et de plafond de manière à limiter toute éventuelle surcompensation soit des consommateurs, soit des producteurs pour éviter toute distorsion du marché », défend encore le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher.

Cette fracture autour du nucléaire est loin d'être une surprise. « Les Allemands, les Luxembourgeois et les Autrichiens s'opposent traditionnellement à tout ce qui peut apparaître comme un soutien au nucléaire. Ils estiment qu'il doit faire ses preuves seul sur le marché. Du côté allemand, cette opposition est toutefois paradoxale car on sait qu'ils s'intéressent de près aux SMR [les petits réacteurs nucléaires modulaires, ndlr] et qu'ils poursuivent leurs recherches sur la fusion nucléaire », pointe Jacques Percebois, spécialiste du marché de l'électricité.

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Si les crispations entre les deux blocs autour de l'atome civil sont monnaie courante, elles semblent toutefois avoir monté d'un cran. En témoigne l'exclusion de la France à une réunion organisée par le club des « Amis des énergies renouvelables », juste avant le conseil européen de l'énergie. Selon le média spécialisé Euractiv, ce rassemblement visait notamment à coordonner les positions des membres de cette coalition sur la réforme du marché de l'électricité. La France en aurait été bannie car il lui est reprochée d'avoir retardé le processus d'adoption d'un autre texte clé pour la transition énergétique du Vieux Continent (la directive énergies renouvelables RED 3), afin d'obtenir davantage de garanties sur... le nucléaire.

La Pologne réclame une subvention pour ses centrales à charbon

Une autre grande zone de friction s'est invitée tout récemment dans les débats. Elle concerne un mécanisme dit « de capacité », qui consiste à rémunérer une installation pour son existence et non pour sa production réelle d'électricité. « Autrement dit, on rémunère des mégawatts et non des mégawattheures », explique Jacques Percebois. Concrètement, il s'agit de rétribuer une infrastructure parce qu'elle a le mérite d'exister et pour le service qu'elle peut apporter ponctuellement au réseau (en l'occurrence : assurer l'équilibre entre l'offre et la demande lors des périodes de grand froid) et non pour sa production effective.

Or, à la demande de la Pologne, dont le mix électrique repose à 70% sur le charbon, la présidence suédoise de l'Union européenne a intégré au texte en discussion une dérogation qui permettrait aux centrales à charbon de bénéficier d'un tel mécanisme jusqu'en 2028.

Ironie du sort, la Pologne utilise le même argumentaire que la France pour défendre sa position. Sans une telle dérogation, sa sécurité d'approvisionnement pourrait être mise en danger, ce qui pourrait avoir des répercussions sur le reste des Etats membres, explique-t-elle. « Si un pays est en danger (énergétique), tous le sont », fait ainsi valoir Anna Moskwa, sa ministre du Climat et de l'Environnement. La ministre suédoise de l'Industrie et de l'Energie Ebba Busch défend cette demande. Selon elle, le fait que la Pologne puisse disposer d'une production d'électricité stable permettrait d'aider davantage le système électrique ukrainien.

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Une position« climaticide », dénoncent les ONG

Alors que plusieurs ONG, dont Greenpeace et Réseau Action climat, dénoncent une position « climaticide », la France ne s'y montre pas frontalement opposée, contrairement à d'autres pays comme le Luxembourg, l'Allemagne et l'Autriche. « Les discussions sur le mécanisme de capacité ne visent pas à revenir sur nos engagements climatiques », veut rassurer le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher. « Il ne s'agit pas de relancer le charbon mais d'amener des mégawatts supplémentaires, quelques heures par an en maintenant les actifs existants », précise-t-on.

« Les ONG et les écologistes craignent que si les centrales à charbon sont maintenues grâce à ce mécanisme de capacité, les Etats seront incités à les utiliser dès lors que les prix du gaz seront trop élevés. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé en 2022 », pointe néanmoins Jacques Percebois.

Pour Phuc Vin Nguyen, chercheur sur les politiques de l'énergie européenne et française au sein du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors, le risque est bien plus marqué. « Cela constituerait une subvention aux énergies fossiles et cela peut conduire la Pologne à ouvrir plus de centrales à charbon », prévient-il.

Malgré ces grandes divergences, la France espère parvenir à un accord dans les tout prochains jours. Le temps est compté. La présidence suédoise prend fin le 30 juin prochain pour laisser sa place à l'Espagne, qui, elle, n'est pas favorable au nucléaire.

Juliette Raynal

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Commentaires 7
à écrit le 20/06/2023 à 22:54
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L'heure n'est plus à la transitions énergétique, car nous sommes déjà passés à l'heure de la résilience face à la catastrophe inévitable du réchauffement. Nos "élites" ont encore une guerre de retard, comme d'habitude. Ces débats sur qui pollue plus ...

à écrit le 20/06/2023 à 18:01
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Les pays de l' UE ne s' est jamais mis d' accord sur rien parce qu' ils ont des intérêts divergents ce qui illustre parfaitement la théorie des chaines de F Asselineau, ou comment l' UE produit des évènements autobloquants...

le 20/06/2023 à 18:45
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les pays de l ' UE ne se sont, I ' m sorry..

à écrit le 20/06/2023 à 17:53
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Les ministres européens de l'Energie ne sont pas parvenus à un accord hier soir sur, qui après le repas allez payer les callgirls de la société DSK (Dames Sexy Kényanes) . Après une foire d'empoigne d'alcoolique, trop defoncés à la poudre de sucre, ...

le 20/06/2023 à 21:39
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vous avez entendu cette information à Moscou

à écrit le 20/06/2023 à 17:29
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Que c'est beau l'union du chacun pour soi et de la non coopération, mais avec des directives et de la soumission à une administration européenne ! ,-)

à écrit le 20/06/2023 à 16:24
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Vivement 2024 pour en finir avec cette UE Germanique qui ne voit bien comme beaucoup d'autres pays de l'Est que par le Charbon (Pologne, Hongrie, Roumanie etc...) sans oublier BERLIN. Maintenant que MERKEL avec SES GRUNNEN ont fermé stupidement leu...

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