Réforme du marché de l’électricité : l’exécutif français menace de faire cavalier seul

Le président français Emmanuel Macron et le chancelier fédéral allemand Olaf Scholz (à droite) lors du deuxième jour d'un Conseil européen à Bruxelles, en Belgique, le 30 juin 2023. [EPA-EFE/OLIVIER HOSLET]

La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a déclaré mardi (29 août) à Paris que la France pourrait avancer des solutions nationales, plutôt qu’européennes, pour réduire les prix de l’électricité si les discussions sur la réforme du marché européen n’avançaient pas dans le sens de ses propositions. 

La rentrée politique à peine consommée, le président de la République, Emmanuel Macron, a taclé lundi (28 août) l’Allemagne, qu’il accuse de complexifier à dessein la réglementation européenne, notamment pour contrer l’acceptation grandissante du nucléaire en Europe.

« Ce serait une faute historique de […] ralentir les investissements en matière de nucléaire […] en Europe », surtout pour « plus de charbon », assène le président. 

En toile de fond, il n’a pas échappé à M. Macron que d’ici à l’hiver, les discussions énergétiques devraient se concentrer autour d’une conclusion, même partielle, de la réforme du marché européen de l’électricité initiée par la Commission européenne en mars dernier pour tenter de juguler les effets de la crise énergétique sur les prix.

Sans surprise, Berlin et Paris n’ont pas les mêmes positions sur la réforme à mener.

La France demande que les subventions au développement de nouveaux actifs nucléaires par le biais de contrats publics-privés, dits « pour différence » (CfD), puissent également prévaloir pour les actifs nucléaires existants.

L’Allemagne s’y oppose, soutenue par l’Autriche, le Luxembourg, la Belgique ou encore l’Italie. La plupart des autres États membres n’ont pas pris part aux escarmouches, pas même ceux parties prenantes de la nouvelle « alliance du nucléaire », échafaudée à Paris.

Conséquence : les dernières négociations de juin dernier se sont soldées par un échec, ralentissant le calendrier d’approbation de la réforme.

Réforme du marché de l’électricité : un nouveau front sur le nucléaire s'ouvre à Bruxelles

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L’exécutif français sort les crocs

Isolé, l’exécutif français tape donc du poing.

Après M. Macron, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a déclaré mardi (29 août), lors de la grand-messe annuelle des représentants des entreprises et industriels français (université d’été du MEDEF), que si les exigences de la France restaient lettre morte « nous n’hésiterons pas à sécuriser, dans nos législations nationales, ce que nous proposons de faire en Européens ».

Une remarque qui a laissé perplexes les observateurs. Qu’est-ce que la ministre insinue exactement ?

Son cabinet précise : « En cas de blocage des négociations [sur la réforme du marché européen de l’électricité], nous n’aurons pas d’autre choix que de mettre en œuvre des pistes qui permettent d’atteindre le même objectif [rapprocher les prix de l’électricité du coût de production] par des instruments relevant de la compétence exclusive des autorités françaises ».

Selon Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique énergétique auprès du think tank européen Institut Jacques Delors, le ministère pourrait signifier qu’il est en mesure de passer par une « contractualisation accrue », notamment par le biais de contrats de vente directe d’électricité de gré à gré entre producteurs et consommateurs (PPA), adaptés aux professionnels et, dans certaines conditions, aux particuliers.

En cette matière, les États membres disposent en effet de compétences exclusives, notamment pour « favoriser le cadre légal des PPA », précise M. Nguyen à EURACTIV France.

La France pourrait donc massivement y recourir si la réforme du marché en cours de négociation n’ouvre pas la possibilité de CfD sur le nucléaire existant.

C’est, d’ailleurs, ce que préconise le président d’EDF, Luc Rémont, préférant des PPA aux CfD.

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Réelles menaces ou coup de pression ?

Selon lui, EDF doit pouvoir financer son programme de maintenance et de prolongation de la durée de vie de ses réacteurs existants grâce aux produits de ses ventes, plutôt que de passer par des subventions publiques, avait-il précisé lors de la présentation des résultats du premier semestre de l’entreprise, fin juillet.

Quoiqu’il en soit, l’allocution de la ministre de la Transition énergétique mardi « demande à être précisée », convient M. Nguyen pour EURACTIV France. Une analyse partagée au sein de l’industrie énergétique française.

Il pourrait aussi, tout simplement, s’agir d’un « coup de pression [sur l’Allemagne] pour que les négociations avancent, plutôt que d’une véritable menace, nous confie un représentant du secteur. Ils tâtent le terrain ». 

D’autant que le tandem franco-allemand n’était déjà pas d’accord, à l’origine, sur le calendrier de la réforme.

Calendrier de la réforme ?

En février dernier, l’Allemagne déclarait qu’elle préférait une réforme après les élections européennes de juin 2024, ce à quoi la France rétorquait qu’une réforme devrait aboutir, au moins partiellement, avant la fin de l’année 2023.

Paris a obtenu gain de cause, mais depuis, les négociations se sont enlisées. Mardi, Mme Pannier-Runacher a dit s’ « inquiète[r] que les discussions aient pris du retard par rapport au calendrier initialement prévu ».

Selon nos informations, peu de progrès ont en effet été réalisés durant l’été sous l’égide de la présidence espagnole du Conseil de l’UE. Néanmoins, les dés ne sont pas encore jetés et des avancements devraient intervenir d’ici la fin de l’année, voire au début de l’hiver.

Suite à l’échec des négociations en juin, les discussions ont en effet été renvoyées vers les ambassadeurs des États membres qui préparent les réunions entre les 27. Pour l’heure, aucune réunion réunissant les 27 ministres en charge des questions énergétiques n’est prévue à l’agenda du Conseil de l’UE avant le 5 décembre prochain.

Aucune visibilité, dès lors, sur la conclusion des négociations, même si l’Espagne dit vouloir parvenir à un accord sous sa présidence qui s’achève le 31 décembre à minuit.

La France, elle, n’attend pas et frappe déjà du poing. De son côté, le gouvernement allemand est réuni à huis clos depuis mardi pour deux jours de discussions durant lesquelles les questions énergétiques sont à l’ordre du jour.

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