Publicité

Repenser la mondialisation face à l'orage populiste

LES RENCONTRES ECONOMIQUES D'AIX - L'intensification des échanges internationaux est menacée comme jamais. A la rationalité de l'économie de marché s'oppose désormais la puissance des émotions et des pulsions incarnées par Trump et les populistes. Pour survivre, la globalisation doit adapter ses règles.

L'orage actuel va-t-il engendrer une phase de déglobalisation comme le monde en connut dans le passé ?
L'orage actuel va-t-il engendrer une phase de déglobalisation comme le monde en connut dans le passé ? (Shutterstock)

Par Pascal Lamy (vice-président d’Europe Jacques Delors)

Publié le 6 juil. 2018 à 07:03Mis à jour le 6 juil. 2018 à 08:38

S'il est une constante des dernières décennies dont on peut se demander si elle se prolongera dans les temps à venir, c'est bien la globalisation. Entendue au sens de l'intensification des échanges internationaux, et se traduisant par une localisation de plus en plus multiple de la production de biens et de services, elle est le produit de la technologie (qui réduit les frottements liés à la distance) et de l'idéologie (qui donne une prime à l'ouverture en raison des gains d'efficience qu'apporte une division internationale du travail plus poussée).

Or, nous le voyons depuis quelque temps, le système des échanges internationaux est entré dans une zone de turbulence. Rien de bien surprenant pour la circulation de la finance ou des personnes qui ont toujours connu des cycles rythmés par des crises. C'est plus nouveau, en revanche, pour les échanges de biens ou de services, qui ont suivi une tendance d'expansion quasi permanente, et dont on peut se demander s'ils sortiront indemnes des perturbations actuelles.

Front chaud, front froid

Ces perturbations tiennent à l'interaction de deux fronts, l'un chaud, l'autre froid, qui se sont rapprochés récemment. Le front chaud, c'est celui de la politique, des émotions, des pulsions, désormais incarné au plan mondial par un Donald Trump imprécateur, et au plan local par des acteurs de moindre envergure.

Publicité

C'est l'exploitation électorale, mal anticipée, des malheurs que l'on peut imputer à la globalisation, des coûts qu'elle engendre selon un modèle ricardo-schumpeterien bien connu : la réallocation des facteurs de production provoquée par le changement des conditions de la concurrence fait des gagnants (nombreux et silencieux) et des perdants (moins nombreux mais qui expriment légitimement, et fortement, leur douleur). Là où les systèmes de réduction de l'insécurité sociale sont médiocres, et d'abord aux Etats Unis, la colère prend le dessus. C'est une grande part du filon populiste, classiquement associé à la xénophobie et au protectionnisme.

Le front froid, c'est celui de l'économie, de la production, aujourd'hui dominé par le capitalisme de marché, et qui agit, lui, de manière rationnelle. Il se transforme au gré des révolutions technologiques ; il se localise, se délocalise, et se relocalise au vu des changements dans les prix relatifs. Il a besoin, pour ce faire, de règles qui assurent une concurrence aussi équitable que possible, d'où l'édification, depuis soixante-dix ans, d'un système normatif et institutionnel de régulation des échanges incarné par l'Organisation mondiale du commerce.

Focalisation sur la Chine

Mais ce cadre ne s'est pas adapté suffisamment aux bouleversements géoéconomiques des dernières décennies. Notamment parce que fondé sur une distinction bipolaire désormais obsolète entre pays riches (qui obéissent au principe de réciprocité) et pays pauvres (qui disposent de marges de flexibilité censées favoriser leur rattrapage).

D'où la focalisation sur la Chine, dont certaines pratiques sont mal disciplinées par les règles qui datent des années 1990. Mais est-elle un pays pauvre avec beaucoup de riches, ou un pays riche avec beaucoup de pauvres ? Telle est la question que des membres de l'OMC ne sont pas parvenus à régler depuis dix ans et qui lui vaut la vindicte trumpienne, en l'occurrence moins déplacée qu'ailleurs.

L'orage actuel va-t-il engendrer une phase de déglobalisation comme le monde en connut dans le passé ? L'économie va-t-elle résister aux coups de boutoir politiques américains ? Ou bien ces derniers vont-ils venir à bout des infrastructures de la globalisation (les fameuses chaînes de valeur) et de ses superstructures (le multilatéralisme) ?

Pour le moment, les faits penchent en faveur de la thèse de la résilience de l'économie : le Brexit patine,le partenariat transpacifique a été sauvé, et de belle manière, par le Japon. Mais c'était avant le déclenchement des foudres protectionnistes contre la Chine (beaucoup), et l'Europe (un peu).

Réponse locale et globale

La réponse se jouera à la fois au plan global et au plan local. Au plan global, il s'agit de réformer le multilatéralisme commercial pour répondre aux critiques justifiées. Si Trump persiste à tenter d'imposer le bilatéralisme, seules la Chine et l'Union européenne sont à même de mener la contre-offensive en faveur du multilatéralisme. La Chine parce qu'elle préférerait cette option au bras de fer avec les Etats-Unis (qu'elle pourrait cependant espérer gagner). L'Union européenne parce qu'elle n'a pas vraiment d'autre option aussi longtemps que sa souveraineté reste partielle. D'où l'importance de l'alliance qui s'esquisse avant le sommet UE-Chine de la mi-juillet.

Au plan local, il s'agit de réformer les systèmes de solidarité sociale de manière à ce qu'ils prennent en charge plus efficacement les victimes des chocs des transformations en cours et à venir que la globalisation devrait continuer à accélérer et à renforcer. On se souvient du slogan blairiste : « Dur avec le crime, dur avec les causes du crime ». Pour être dur avec le populisme, il faut savoir être dur avec les causes du populisme. Si la dimension américaine nous échappe, la dimension européenne, elle, nous appartient : celle qui consiste à se donner l'ambition d'européaniser la globalisation.

Publicité

Pascal Lamy est président de Emeritus - institut Jacques-Delors

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité