Cela ne figurait pas dans sa déclaration de patrimoine. Le somptueux château Bigaud, dans le village provençal de Mougins. Le premier ministre tchèque Andrej Babiš ne l’aurait pas acheté en personne, mais via un montage de sociétés offshore, selon l’enquête internationale des « Pandora Papers » révélée dimanche 3 octobre.

La révélation tombe mal, à quelques jours des élections législatives des 8 et 9 octobre. Le milliardaire, fondateur de l’entreprise agroalimentaire Agrofert, – le plus gros employeur du pays avec 34 000 salariés – était déjà accusé de détournement de plusieurs millions d’euros de fonds européens. Le voilà maintenant accusé d’exil fiscal, voire de blanchiment.

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De nouveau, Andrej Babiš nie tout en bloc.« Je n’ai jamais rien fait d’illégal ou de mal », a-t-il réagi sur son compte Twitter, accusant les auteurs de l’enquête de le « dénigrer » et « d’influencer » le scrutin. Il s’est montré devant les médias, une liasse de documents à la main en guise de bonne foi, concernant cette luxueuse demeure de la Côte d’Azur. « C’était une recommandation d’une agence immobilière. Elle a recommandé de l’acheter par l’intermédiaire d’un avocat. Ce n’est pas illégal », a-t-il martelé.

Vers un scrutin très serré

Les faits reprochés remontent à 2009, avant l’entrée en politique d’Andrej Babiš, fondateur en 2012 du parti ANO (« oui » en tchèque). Selon le Consortium de médias investis dans les « Pandora Papers », l’homme d’affaires se serait appuyé sur deux cabinets d’avocats, l’un français (DB Artwell Avocats), l’autre panaméen (Alcogal), pour fonder des sociétés qui se sont chargées de l’achat de ce château appartenant à la holding Agrofert, dont le premier ministre assure ne plus tenir les manettes.

Pour l’heure, il n’y a rien d’assez accablant pour changer la donne au plan électoral, estime Lukáš Macek, expert de la politique tchèque à l’Institut Jacques Delors. « Au vu des antécédents, du fait que ce genre d’accusation n’est pas une première, je m’attends à un effet marginal. Il existe aujourd’hui dans la population un noyau incompressible de 25 à 30 % de sympathisants prêts à épouser la thèse selon laquelle Andrej Babiš est victime d’une persécution ».

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Un basculement du pouvoir reste néanmoins possible. L’élection s’annonce très serrée. Dimanche 3 octobre, avant l’annonce du scandale, le premier ministre et ses alliés (communistes et extrême-droite) bénéficiaient d’une courte avance dans les sondages, avec 103 des 200 sièges de la chambre basse. Dans l’opposition, la coalition de droite (SPOLU) et la coalition anti-corruption du parti-Pirate et des Maires indépendants réunissaient respectivement 21,3 % et 17,4 % des voix, avec un faible réservoir de sièges à rallier dans les petits partis. Leur victoire serait, quoi qu’il arrive, fragile, prévient Lukáš Macek. « Même si ces deux listes obtiennent une majorité sur le papier, avec admettons 101 sièges, leur solidité interne restera un enjeu, et Andrej Babišfera tout pour les faire exploser ».

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Des centaines de dirigeants accusés d’évasion fiscale

L’enquête des « Pandora papers » a mobilisé 600 journalistes sur près de 12 millions de documents. Elle cite 336 responsables politiques qui auraient échappé au fisc via des sociétés offshore.

Le roi Abdallah II de Jordanie aurait acheté 14 propriétés de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni via ces entités (106 millions de dollars).

Le président équatorien, Guillermo Lasso, aurait logé des fonds dans deux trusts dont le siège est aux États-Unis, dans le Dakota du Sud.

Le président kényan Uhuru Kenyatta posséderait une fondation au Panama. Des membres de sa famille directe posséderaient plus de 30 millions de dollars dans des comptes offshore.

L’ancien premier ministre britannique Tony Blair et l’ancien ministre français Dominique Strauss-Kahn sont aussi mis en cause.