Europe

Respect de l’Etat de droit : l’UE divisée face au cas Orban

7 min

Les chefs d’Etats des 27 ont finalement atténué le gel des fonds européens à l’encontre de Budapest, contre l’avis de la Commission et du Parlement européen qui demandaient plus de fermeté face au manque de respect de l’état de droit en Hongrie.

La Hongrie de Viktor Orban obtient des concessions de la part de Bruxelles. Après un nouveau bras de fer avec les institutions européennes, elle a réussi à faire adopter son plan de relance post-Covid, soit 5,8 milliards d’euros, lundi 12 décembre.

Budapest risquait également la suspension de 7,5 milliards d’une seconde enveloppe, les fonds structurels européens, pour cause de non-respect de l’Etat de droit. Au terme d’une nuit de négociations, la sanction a été réduite à 6,3 milliards…

La Hongrie de Viktor Orban obtient des concessions de la part de Bruxelles. Après un nouveau bras de fer avec les institutions européennes, elle a réussi à faire adopter son plan de relance post-Covid, soit 5,8 milliards d’euros, lundi 12 décembre.

Budapest risquait également la suspension de 7,5 milliards d’une seconde enveloppe, les fonds structurels européens, pour cause de non-respect de l’Etat de droit. Au terme d’une nuit de négociations, la sanction a été réduite à 6,3 milliards.

Pour tordre le bras de Bruxelles, le Premier ministre hongrois avait dégainé son arme favorite, le véto. Le 6 décembre, il s’était opposé à l’adoption d’un impôt minimal de 15 % sur les multinationales et d’une enveloppe de 18 milliards d’euros d’aide pour l’Ukraine, deux propositions qui requièrent l’unanimité des 27. Elles ont finalement été adoptées lundi.

Au cœur des débats de la nuit : le mécanisme de conditionnalité, qui bloque les financements européens en cas de non-respect de l’Etat de droit, entré en vigueur en 2021. La Commission a déclenché pour la première fois la procédure à l’encontre de la Hongrie en avril dernier, qui a donc abouti à une première suspension des fonds de cohésion en cette fin décembre.

Quant au plan de relance post-Covid de la Hongrie, il a longtemps été mis en attente pour les mêmes raisons. Bien qu’il ait finalement été adopté, Budapest devra d’abord mettre en place 27 réformes pour renforcer l’indépendance de la justice et la lutte anti-corruption avant de pouvoir percevoir les 5,8 milliards.

France et Allemagne conciliantes

La question de la conditionnalité divise au sein des institutions européennes. « Le Parlement a traditionnellement la position la plus ferme », note Eulalia Rubio, chercheuse spécialiste des affaires économiques européennes à l’Institut Jacques Delors.

Les eurodéputés ont adopté à une très large majorité une résolution intergroupe (allant du parti de droite PPE à la Gauche, groupe où siège la France Insoumise) saluant le blocage des fonds, bien qu’il regrette qu’il arrive si tard. « La Commission a pris une position assez forte », en proposant de suspendre 65 % des fonds de cohésion – soit les 7,5 milliards d’euros précités –, poursuit Eulalia Rubio.

Mais un certain nombre d’Etats membres, dont la France, l’Allemagne et l’Italie ont poussé pour une suspension plus faible, demandant à ce que soient prises en compte les mesures que la Hongrie a déjà adoptées pour améliorer l’État de droit et lutter contre la corruption. Le gouvernement de Viktor Orban a présenté en septembre 17 mesures, dont la création d’une autorité indépendante anti-corruption et de nouveaux règlements en matière de marchés publics.

« Mais adopter une loi, c’est seulement écrire des lettres dans un registre. Cela ne suffit pas pour restaurer l’Etat de droit », souligne Kati Cseres, professeure au Centre pour la loi et la gouvernance européennes d’Amsterdam.

« Un certain nombre d’Etats membres ont une attitude plus compréhensive vis-à-vis de la Hongrie car ils redoutent qu’elle se radicalise et bloque tout » – Eulalia Rubio, Institut Jacques Delors

C’est pourquoi, le 9 décembre, la Commission a refusé de modifier sa recommandation de gel de 7,5 milliards. Même s’il a noté des efforts de la part de la Hongrie, le commissaire au budget Johannes Hahn a expliqué que le risque reste inchangé que les financements de l’Union soient mal utilisés et ne respectent pas les conditions fixées par le droit.

« Un certain nombre d’Etats membres ont une attitude plus compréhensive vis-à-vis de la Hongrie car ils redoutent qu’elle se radicalise et bloque tout », analyse Eulalia Rubio. Il ne faut pas oublier non plus que l’Allemagne entretient des liens économiques forts avec la Hongrie, dont elle est le premier partenaire commercial.

« L’industrie allemande, très présente en Hongrie, y profite de beaucoup d’avantages, du soutien et des aides de l’Etat. Cela place le gouvernement dans une position très inconfortable », estime Kati Cseres.

Après la Hongrie, l’Italie ?

Daniel Freund, eurodéputé écologiste allemand et co-auteur de la résolution intergroupe sur le gel des fonds, se désole de la position de la France et de l’Allemagne :

« Le Conseil [qui représente les gouvernements] est une machine à faire des compromis. Mais si on commence à faire des compromis sur les fondements mêmes de l’Union que sont l’Etat de droit ou le respect des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, on détruit l’Etat de droit non seulement en Hongrie mais aussi dans l’UE », défend-il.

Kati Cseres, elle, regrette que le mécanisme juridique de conditionnalité ait été transformé en enjeu politique. « Maintenant que les chefs d’Etat et de gouvernement s’en sont mêlés, et qu’ils ont mis en doute l’évaluation de la Commission, cela remet en cause la crédibilité des institutions européennes. On s’engage là sur un chemin dangereux », alerte la professeure de droit.

Après des semaines de tractations, un accord a finalement été trouvé à quelques jours de la date butoir du 19 décembre, après laquelle la proposition de suspension aurait été considérée rejetée. « Trop peu, trop tard, mais les Etats membres se sont enfin mis d’accord sur le fait que Viktor Orban est allé trop loin », a réagi l’eurodéputé Daniel Freund dans la foulée de la décision.

Avant l’accord, il expliquait que l’affaire ne concerne pas uniquement Budapest. Il craint que le nouveau gouvernement italien d’extrême-droite puisse s’écarter à son tour de l’Etat de droit si Bruxelles est trop clémente avec Orban.

« Si on n’arrive pas à sanctionner fermement dans le cas le plus évident, comment va-t-on ensuite faire respecter les traités européens aux autres Etats membres ? », s’interroge-t-il.

Budapest dans l’étau financier

Budapest avait aussi intérêt à faire avancer les négociations rapidement sur la seconde partie des fonds européens, le plan de relance post-Covid. La causalité était inverse : s’il n’était pas approuvé avant la fin de l’année, la Hongrie aurait perdu irrémédiablement 70 % des 5,8 milliards d’aides.

Avec la décision du 12 décembre, l’intégralité de l’enveloppe est toujours sur la table. Mais Budapest doit pour cela conduire des réformes importantes, ce qui signifie que l’argent n’arrivera pas tout de suite.

« Contrairement aux fonds de cohésion, le plan de relance est constitué de liquidités directes. Dans la situation actuelle, ils sont plus importants pour le pays, à court terme », explique Eulalia Rubio.

Les brouilles régulières entre Bruxelles et Budapest ont poussé les investisseurs à retirer leur argent de Hongrie

Le pays est en effet plongé dans une crise économique sévère, avec un taux d’inflation (22,5 %) parmi les plus élevés d’Europe avec l’Estonie et la Lituanie. Les mesures de blocage de prix sur les produits alimentaires de base et le carburant mises en place génèrent des pénuries massives. Le 6 décembre, le chef de cabinet de Viktor Orban a dû rétropédaler et lever la limitation du prix à la pompe en raison d’une « situation de l’offre clairement critique », selon l’entreprise de l’énergie nationale MOL.

« Les difficultés rencontrées par l’économie hongroise ne sont pas fondamentalement différentes de celles que connaissent ses homologues européens, mais elles sont fortement exacerbées par Orban », analyse Sander Tordoir, économiste du cercle de réflexion Centre for European Reform.

Les brouilles régulières entre Bruxelles et Budapest ont en effet poussé les investisseurs à perdre confiance et à retirer leur argent de Hongrie, mettant le forint sous pression et augmentant l’inflation. La monnaie nationale a chuté de plus de 15 % par rapport à l’euro depuis le début de l’année. Le pays voit également son déficit extérieur gonfler, avec un déficit de ses comptes courants à plus de 6 % du PIB.

Pour l’économiste, la période qui s’ouvre « sera difficile pour les finances publiques hongroises, d’autant plus s’ils n’obtiennent pas les fonds européens, qui couvrent habituellement environ un tiers des investissements publics ». Face à ces crises en cascade, Viktor Orban martèle la même explication : tout est la faute de Bruxelles.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !