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Europe : les Français n’y croient plus

EXCLUSIF. Selon un rapport de l’Institut Jacques Delors qui sera rendu public ce mercredi, l’opinion publique en France est la plus ignorante des questions européennes et celle qui exprime le plus de défiance à l’égard des institutions européennes, à l’exception des Britanniques. Ce que la gestion de la crise pandémique ne devrait pas arranger.

François Clemenceau
58% des Français ne font "plutôt pas confiance" à l’Union européenne.
58% des Français ne font "plutôt pas confiance" à l’Union européenne. © Reuters

En une cinquantaine de pages et une vingtaine de graphiques, le rapport de l’Institut Jacques Delors est le fruit d’une coopération entre ce think tank renommé, le Centre d’Etudes sur la vie politique française (CEVIPOF) de Sciences-Po et le Centre Kantar (études d’opinion) sur le Futur de l’Europe. Il est intitulé "Entre défiance et ambivalence, l’indispensable retour de l’Europe en France". Thierry Chopin, conseiller spécial à l’Institut Delors, a dirigé cette étude et en dresse le constat principal : "si l’attachement des Français aux fondamentaux de l’Europe est toujours là, le soutien à l’appartenance à l’UE est de plus en plus critique". 

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C’est ce qu’il a constaté en allant au-delà du seul indice d’opinion favorable à l’UE qui s’est nettement renforcé tout au long des années de négociation du Brexit. Selon la dernière enquête de l’Eurobaromètre, si 53% des Français sont "attachés" à l’Europe, 57% la jugent "éloignée" et 65% "inefficace". 

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58% des Français ne font "plutôt pas confiance" à l’UE

Il s’agit là d’une tendance lourde depuis la crise financière de 2008, qui s’est aggravée avec la crise de l’euro puis celle des migrants. Depuis 2017, alors que la France est présidée par le plus pro-européen de ses dirigeants depuis Valery Giscard d’Estaing, les Français n’ont jamais été aussi "défiants" vis-à-vis de l’UE. 58% d’entre eux ne font "plutôt pas confiance" à l’UE, un score qui a bondi de dix points depuis l’élection d’Emmanuel Macron et qui se situe onze points au-dessus de la moyenne des autres pays européens.

Il fait même de la France le pays qui, juste devant le Royaume Uni, fait le moins confiance aux institutions européennes. Juste devant, se trouvent les trois autres pays qui ont le plus souffert de la crise de l’euro et des migrants, la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Parmi les 14 pays où l’on observe un taux de plus de 50% de confiance en l’UE se trouvent en revanche tous les pays du nord, mais aussi l’Irlande et le Portugal ainsi que les pays qui ont adhéré récemment à l’UE comme la Bulgarie, la Roumanie ou les pays Baltes.

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Quatre familles différentes de citoyens européens

Lorsque les auteurs du rapport creusent davantage les chiffres, ils distinguent quatre familles différentes de citoyens européens : les très positifs, les positifs, les négatifs et les très négatifs. Alors que la moyenne européenne des positifs est de 46% et celle des négatifs de 35%, ce rapport est inverse en France avec 37% de positifs et 43% de négatifs.

Ces chiffres datent du mois de novembre dernier, juste avant que l’UE et les Britanniques finalisent leur divorce et rentrent dans la deuxième période de négociations sur l’avenir de leur relation. Mais selon Thierry Chopin, il n’y a pas de raison que les chiffres remontent : "on observe un déclin continu depuis le lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron jusqu’au point où les ambivalents sont maintenant devenus majoritaires en France".

Par ce terme "ambivalents", le rapport désigne des Européens qui ne font partie ni des "soutiens" à l’Europe ni aux "eurosceptiques". Tandis que les premiers ont tendance à baisser au profit, notamment, des seconds, les "ambivalents progressent et affirment chapitre par chapitre leur déception sur l’efficacité de l’UE". Pour les auteurs du rapport, il n’y a pas de raison que la gestion de la crise pandémique au niveau national et à l’échelon européen modifient cette répartition, bien au contraire. "A part les actions de la BCE et celles globalement de la Commission, notamment sur les aides massives à l’économie, l’impression générale qui domine est celle de l’incapacité du Conseil européen à agir, ce qui donne une image catastrophique", commente Thierry Chopin. "D’autant qu’il n’y a pas de visage qui incarne la réponse européenne, comme s’il n’y avait pas de capitaine à la barre".

Une méconnaissance du fonctionnement de l’Union européenne

Cette ambivalence qui vire à l’euroscepticisme tient aussi à la méconnaissance profonde des Français du fonctionnement de l’Union européenne. La faute à l’école, aux médias, aux responsables politiques qui refusent d’admettre qu’ils ne sont dépositaires que d’une souveraineté incomplète, déléguée ou partagée? Toujours est-il que 48% seulement des "ambivalents" prétendent connaitre "le fonctionnement de l’UE", 64% s’en estimant "éloignés" et 16% "bien informés" sur les questions européennes.

Sur ce dernier item, même les Français "positifs" à l’égard de l’UE ne sont que 31% à disposer d’une information suffisante sur l’actualité européenne. Où se situe la France par rapport à ses voisins et autres pays membres de l’Union dans ce classement? A la dernière place! Un score qui se vérifie dans une enquête de la société d’études d’opinions Kantar sur la gestion de la crise pandémique. Seuls en Europe, les Français et les Britanniques sont dix à vingt points derrière les Allemands et les Italiens sur la connaissance des mesures prises par l’UE pour juguler l’épidémie de Covid-19 et ses conséquences.

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Les Français ne se reconnaissent pas dans un schéma de pouvoir qui repose sur le compromis et la négociation

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Ce que le rapport montre enfin, et c’est une conséquence de ce qui précède, c’est la confirmation de ce mal français qui voudrait que l’Europe soit "une France en grand". Aux questions posées dans les enquêtes du Cevipof, les Français sont plus que réticents à soutenir des politiques économiques libérales, de libre concurrence, de libre-échange ou de forte décentralisation. La volonté de recourir à un Etat fort qui apporte des réponses aux besoins et contre qui l’on proteste ou que l’on sanctionne en cas d’échec est à l’opposé du fonctionnement européen où l’on dirige au consensus au plus haut niveau et où l’on débat au sein d’un Parlement élu à la proportionnelle.

"Les Français ne se reconnaissent pas dans un schéma de pouvoir qui repose sur le compromis et la négociation, un logiciel qu’ils estiment inarticulable avec le nôtre", analyse Thierry Chopin. Ce que la crise actuelle dans son "monde d’après" ne risque pas d’arranger. "On l’a vu avec l’euro et les migrants, si à chaque choc de souveraineté et lors de circonstances exceptionnelles comme la crise du Covid, les dirigeants européens n’arrivent pas à afficher unité et solidarité sans failles, alors les ambivalents seront de plus en plus tentés par le repli national, persuadés que l’Etat national est le seul bon échelon pour être protégés".

C’est sans aucun doute ce que voulait dire Jacques Delors, l’ancien ministre français et président de la Commission européenne, lorsqu’il est sorti de son silence pour réclamer à la fin mars cette même solidarité entre Européens, sous peine de faire courir à l’UE "un danger mortel".

Pour lire l'étude :

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