La Première ministre Elisabeth Borne lors de la présentation du plan de sobriété énergétique, le 6 octobre 2022 à Porte de Versailles.

La Première ministre Elisabeth Borne lors de la présentation du plan de sobriété énergétique, le 6 octobre 2022 à Porte de Versailles.

L'Express

L'heure est à la mobilisation générale. Ce jeudi 6 octobre, du côté de la Porte de Versailles à Paris, une bonne partie du gouvernement, dont la Première ministre Elisabeth Borne, s'est succédée à l'estrade du Parc des expositions pour la présentation du vaste plan de sobriété énergétique qui doit permettre à la France de passer l'hiver au chaud. La chasse au gaspillage est lancée, avec l'objectif pour le pays de réduire de 10% ses consommations d'énergie, et éviter des coupures temporaires plus vues dans l'Hexagone depuis le début du siècle.

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Il s'agit également, explique l'exécutif, d'un premier pas vers la promesse affichée par la France de réduire ses consommations d'énergie de 40% d'ici à 2050, conformément aux annonces d'Emmanuel Macron le 14 juillet dernier. Une cible extrêmement ambitieuse au regard des objectifs visés par les voisins européens. Du côté de la Porte de Versailles, on a donc sorti l'artillerie lourde. Une dizaine de ministres, une trentaine de dirigeants de fédérations professionnelles, de patrons d'entreprises privées, de responsables d'ONG environnementales étaient présents.

L'idée étant de détailler, secteur par secteur, les objectifs ciblés d'économies d'énergie. Une bonne partie d'entre elles avait déjà fuité dans la presse la veille au soir, notamment dans Le Parisien. L'Etat, qui se veut exemplaire, va couper l'eau chaude dans les sanitaires des administrations, favoriser autant que possible le télétravail (une mesure dénoncée par les syndicats), réduire de 130 à 110km/h la vitesse de circulation sur les autoroutes pour les détenteurs de véhicules de service. Le chauffage, déjà limité à 19°C, pourra lui être abaissé d'un degré supplémentaire en cas d'urgence.

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Les entreprises sont elles aussi invitées à participer à l'effort de "guerre", avec la mise en place d'une charte signée dans laquelle ces dernières s'engagent au travers de 16 actions concrètes à lutter contre le gaspillage, l'automatisation du chauffage, le recours au ferroviaire autant que possible, un recours si possible au télétravail. Un décret donnera également la possibilité aux maires de mieux gérer l'interdiction des enseignes lumineuses en villes, avec une extinction entre 1 heure et 6 heures du matin.

Sobriété choisie plutôt que subie

Le programme est vaste, la philosophie claire : cette sobriété volontaire, choisie, évitera des réductions subies. Comme aux grandes heures de la mobilisation anti-Covid, le gouvernement va lancer dans les prochains jours une campagne avec "Chaque geste compte" en guise de slogan. Un exécutif qui prend soin de manier la carotte plutôt que le bâton. Seule l'administration et ses agents seront soumis à des obligations de résultat. En réalité, l'exécutif n'a guère le choix. L'inflation galopante, le chantier des retraites, celui de l'assurance chômage, sont autant de foyers possibles de contestation sociale. Le gouvernement le sait, la France s'est embrasée pour bien moins que ça lors de la crise des gilets jaunes de 2018.

Il n'empêche. En cajolant ainsi le consommateur, en ayant financé indifféremment la consommation électrique, de gaz ou d'essence de tous les foyers français via le bouclier tarifaire au lieu d'aides ciblées vers les plus précaires, le gouvernement s'est privé ces derniers mois du moyen le plus efficace de réduire la demande : le signal prix. "Il y a une forme de paradoxe, liée à un manque de vision de long terme de l'exécutif. On a mis 30 milliards d'euros sur la table cette année pour subventionner les consommations d'énergie notamment fossiles, et on rame depuis pour trouver les gisements d'économies, explique Benjamin Frémaux, président-directeur général du groupe Idex, une société spécialisée dans l'efficience énergétique. Et celui-ci de poursuivre : trente milliards, c'est environ un siècle de fonds chaleur de l'Ademe qui subventionne les projets de désintoxication permanente aux énergies fossiles pour les collectivités et l'industrie". Ou, au choix, la moitié du coût estimé du programme de six nouveaux réacteurs nucléaires, une quinzaine de parcs éoliens offshore comme celui qui vient d'être mis en service à Saint-Nazaire.

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Dans le camp des déçus, certains experts regrettent également que le gouvernement n'ait pas été plus offensif dans ses messages en direction des entreprises. "L'exemplarité incarnée par la fonction publique, la campagne de mobilisation avec la sensibilisation et les conseils pour permettre aux particuliers de réduire leurs consommations sont des signaux positifs. Mais l'absence de caractère contraignant pour les entreprises est un manque, explique Phuc Vinh Nguyen, du Centre climat et énergie de l'Institut Jacques-Delors. On aurait pu imaginer un temps plus long pour s'organiser, mais avec des objectifs contraignants et un suivi plus régulier".

Un hiver 2023/2024 encore plus tendu

"Le problème n'est pas l'objectif de réduction, qui est le bon et correspond peu ou prou à notre consommation de gaz russe, mais la méthode. Nous sommes un peu naïfs si on croit que la seule bonne volonté des acteurs donnera de meilleurs résultats qu'un signal prix", explique encore Benjamin Frémaux. L'exécutif, qui a déjà annoncé que le bouclier tarifaire ne pouvait être maintenu à de tels niveaux en 2023 et s'apprête à cibler davantage ses aides, semble avoir compris le message.

Il lui faudra tenir bon, et s'assurer que les économies d'énergie annoncées ce jeudi ne sont pas le fruit d'une mobilisation passagère. Beaucoup d'experts en conviennent, avec la fin des livraisons de gaz russe en Europe, le rebond économique chinois qui devrait entrer en compétition avec le Vieux continent pour les livraisons de gaz naturel liquéfié mais aussi l'anémie persistante du parc nucléaire français, l'hiver prochain pourrait être encore plus tendu que celui que nous allons vivre.

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