Taxer les superprofits, en particulier dans le secteur énergétique : pourquoi, qui, comment ?

  • AFP
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D'un côté des consommateurs étranglés par les factures d'énergie, de l'autre des entreprises qui jonglent avec les milliards : l'Europe se résout à taxer les profits exceptionnels de grands groupes, surtout dans le secteur énergétique. Explications.

Pourquoi une telle taxe ?

Car les bénéfices des géants de l'énergie ont explosé grâce à l'envolée des prix du pétrole et du gaz : 18 milliards de dollars pour le pétrolier britannique Shell au deuxième trimestre, 3,8 milliards d'euros pour l'italien Eni, 5,7 milliards de dollars pour le français TotalEnergies...

La flambée des prix plonge parallèlement des millions de ménages dans la précarité et les États dépensent des sommes considérables pour soutenir les populations et entreprises fragilisées : 236 milliards d'euros dans l'UE entre septembre 2021 et août 2022, hors Portugal et Hongrie, évalue l'institut Bruegel.

"Il est très clair que les grands groupes pétroliers n'ont rien fait pour mériter des prix du pétrole aussi élevés, c'est l'invasion de l'Ukraine par Poutine qui est à la source du problème", affirme dans un entretien à l'AFP le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz. L'économiste de 79 ans milite pour une taxation des superprofits au sein du groupe de réflexion ICRICT, qui compte aussi le Français Thomas Piketty parmi ses membres.

Face à un sujet potentiellement explosif, le débat entre pro et anti-taxe a tourné en faveur des premiers.

"Dans notre économie sociale de marché, les profits sont acceptables, ils sont bons. Mais en ces temps il est inacceptable d'enregistrer des revenus et profits extraordinairement élevés en bénéficiant de la guerre, dans le dos des consommateurs", a ainsi affirmé mercredi Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.

Qui s'y est mis ?

Bruxelles envisage de plafonner les revenus des producteurs d'électricité à partir du nucléaire et des énergies renouvelables (éolien, solaire, hydroélectrique). En effet, ils engrangent des bénéfices "exceptionnels" en vendant leur production à un prix très au-delà de leurs coûts de production, qui n'augmentent pas contrairement à ceux des centrales au gaz.

La Commission veut aussi réclamer "une contribution" aux producteurs et distributeurs de gaz, charbon et pétrole : elle serait fixée à 33% des bénéfices supérieurs de plus de 20% à la moyenne des années 2019-2021. Ces propositions, qui pourraient rapporter jusqu'à 140 milliards d'euros, doivent être discutées par les États membres d'ici fin septembre.

Mais plusieurs pays n'ont pas attendu pour sévir. L'Espagne a annoncé à l'été une taxe sur les bénéfices extraordinaires des sociétés énergétiques et financières, qui pourrait rapporter quelque 3,5 milliards d'euros par an sur deux ans. Londres a dévoilé une taxation des bénéfices de 25% pour les géants énergétiques, un taux similaire à celui retenu par l'Italie.

La Hongrie veut taxer les profits des banques. La Roumanie et la Grèce ont visé les groupes d'énergie.

Quelles sont les limites ?

"Ces taxes innovantes peuvent présenter des lacunes dans leur conception", prévenait récemment le cabinet d'avocats londonien Freshfields Bruckhaus Deringer dans une note au sujet des mesures prises État par État. Il relève de potentielles contestations, tant par rapport aux lois constitutionnelles nationales que concernant les règles européennes relatives aux aides d'État, si ces taxes mènent à avantager des concurrents.

Le groupe français Engie a par exemple menacé en juillet de contester la taxe italienne, accusée d'être "mal conçue" et de "fausser la concurrence". "Le volet européen semble le plus pertinent", selon Phuc-Vinh Nguyen, chercheur à l'institut européen Jacques Delors.

Le risque est aussi politique : plutôt que de parler de "taxe", Bruxelles évoque une "contribution" ou un "plafonnement", car les décisions fiscales requièrent l'unanimité des Vingt-Sept, une procédure plus compliquée qu'une adoption à la majorité qualifiée.

Est-ce suffisant ?

Pour l'ONG britannique Tax Justice Network, le projet européen "est un pas dans la bonne direction, mais l'ambition pourrait être bien plus grande". "Un taux de 33% permet à ces entreprises du secteur de l'énergie de garder deux tiers de leur rente indue, alors que cet argent pourrait être utilisé à offrir une aide puissante aux citoyens", souligne son dirigeant Alex Cobham.

La question des entreprises concernées se pose aussi. L'Europe "devrait aller au-delà" de l'énergie, selon Joseph Stiglitz. Elle pourrait par exemple viser les secteurs des transports, de l'agroalimentaire, la finance ou la technologie, dont les prix augmentent aussi, souligne l'ONG Oxfam.

La question de la base à taxer se pose enfin, d'autant que de nombreux géants de l'énergie enregistrent peu de bénéfices à l'échelle nationale ou continentale, ce qui limite l'impact d'une taxation sur les superprofits. TotalEnergies a par exemple affirmé avoir dégagé un résultat fiscal déficitaire l'an dernier sur ses activités françaises, et reconnaît n'y avoir donc payé aucun impôt sur les sociétés.

Commentaires

MXT

Une taxe sur les superprofits c'est bien la moindre des choses.

Serge Rochain

"Bruxelles envisage de plafonner les revenus des producteurs d'électricité à partir du nucléaire et des énergies renouvelables (éolien, solaire, hydroélectrique). En effet, ils engrangent des bénéfices "exceptionnels" en vendant leur production à un prix très au-delà de leurs coûts de production, qui n'augmentent pas contrairement à ceux des centrales au gaz."

Depuis le temps que je dis que les renouvelables produisent à tres bas coût, qui n'a rien à voir avec ce que les cours du marché européen nous montrent avec une formule de calcul à dormir debout sur éco2mix Les données de marché !
Rien n'est plus facile que de rederesser cette situation avec l'application du prorata du cout correspondant au coût de production de chaque source differente sur celui de la part de chaque source dans le mix d'un pays.! Aujourd'hui appliquer sur le tout le prix de la derniere source sollicitée, évidement la plus chere, le gaz, est une supercherie pour ne pas dire une escroquerie.

Thomas

Serge, le merit order etait un bon outil de marché pour participer à l'équilibre réseau : si la centrale à gaz devait démarrer a la pointe pour équilibrer la demande, il fallait que le prix de marché soit suffisamment élevé pour rémunérer cette unité. Hors, les couts marginaux des différentes sources étaient relativement proche, entre 20 et 50 €/MWh. Le problême c'est l'explosion du prix du gaz (indépendant des décisions sur le réseau et le marché électrique) a complètement transformé cet équilibre entre sources de production. Ainsi, il faut évidemment revoir le fonctionnement du marché, c'est une évidence!

Rochain Serge

Oui Thomas, je ne critique la pratique du mérite order que dans la mesure où elle n'est pas à l'abri de l'exces comme celui que nous connaissons aujourd'hui.
Le prix au prorata du KWh du contenu du mix rapporté au prix de chaque source dans sa proportion du mix est toujours cohérent et ne traduira dans le prix résultant que la part effective du prix de la source qui s'écarte des autres de façon excessive. Dans tous les cas le prix résultant sera justifié et non une pompe à fric pour les propriétaires de sources à bas prix profitant de la dérive du prix d'une des sources qui n'a rien à voir avec la leur. Je m'interroge sur la profondeur de vue des économistes qui ont mis cette formule de calcul au point.... au point, si l'on peut dire !

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