La Commission européenne a annoncé un vaste plan d'aide au développement des technologies propres, une riposte directe aux mesures protectionnistes de l'Inflation reduction act américain. Ces dispositifs marquent un changement radical dans l'approche des relations commerciales internationales. Les crises à répétition et le dérèglement des chaînes d'approvisionnement mondiales poussent les États à tenter d'assurer leur souveraineté économique, quitte à s'affranchir des règles du libre-échange.

"C’est maintenant que s’écrit l’histoire de l’économie des technologies propres", a lancé Ursula von der Leyen, depuis le Forum économique mondial de Davos, mardi 17 janvier. La présidente de la Commission européenne a détaillé devant les dirigeants du monde la stratégie qu’elle entend déployer face à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, qui prévoit notamment près de 370 milliards de dollars de subventions aux technologies vertes, et aux appels du pied chinois pour attirer les industries européennes.
"Nous proposerons un nouveau règlement pour une industrie à zéro émission. L’objectif sera de concentrer les investissements sur des projets stratégiques" dans les secteurs de l’éolien et le solaire, les pompes à chaleur, l’hydrogène propre et le stockage de l’énergie. Et "de simplifier et accélérer les procédures d’autorisation de nouveaux sites de production de technologies propres", a-t-elle expliqué. Elle promet également un assouplissement des règles européennes sur les aides d’États et la création à court terme d’un fonds de souveraineté européen afin "d’éviter un effet de fragmentation du Marché unique" et de "soutenir la transition dans l’ensemble de l’UE".
Des mesures soutenues par le couple franco-allemand, réuni en sommet de ce week-end à l’occasion des 60 ans du traité de l’Elysée – sauf sur la création d’un fonds souverain à laquelle Berlin s’oppose. Mais si ces plans d’aides publiques constituent a priori de bonnes nouvelles, tout dépend de la manière dont ils sont appliqués. Car la coopération internationale demeure essentielle sur les sujets liés au climat.

"Onde de choc très forte"


"Nous sommes entrés dans la démondialisation avec des dynamiques de territorialisation des activités très fortes, analyse Guillaume Vuillemey, professeur de finance à HEC, auteur d’un essai sur la démondialisation*. De plus en plus de pays prennent conscience que le libre-échange quasi absolu ne permet plus de répondre à certains besoins essentiels, que ce soit sur les médicaments ou les masques, ou plus récemment le blé ukrainien. Et ils commencent à se soucier de leur sécurité d’approvisionnement en relocalisant la production".
La nouvelle loi américaine en est l’un des exemples frappants. Elle a bousculé les pratiques commerciales internationales en mettant une condition à l’octroi des subventions pour le développement des technologies vertes. Celles-ci ne seront versées qu’aux entreprises produisant sur le sol américain, laissant de côté les importateurs. "Le fait que l’administration américaine n’ait pas intégré l’impact que l’IRA pouvait avoir sur des pays alliés a engendré une onde de choc très forte", explique Elvire Fabry, chercheuse senior à l’Institut Jacques Delors, en charge de la géopolitique du commerce. Une onde de choc qui a poussé les Européens à changer leur approche des relations commerciales, dans une attitude cependant moins protectionniste que les États-Unis.
"Les Américains, avec l’IRA, veulent accélérer le découplage de leur économie avec celle de la Chine. La position européenne est différente. Il s’agit de protéger le marché unique sans le fermer, dans une logique de réduction du risque d’une dépendance trop forte aux importations chinoises", analyse Elvire Fabry. Outre le plan d’aides annoncé, l’UE a ainsi mis en place des dispositifs plus protecteurs du marché unique, comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui permet de s’assurer que les importateurs respectent des règles environnementales similaires à celles de l’Europe, ou encore la prochaine directive sur le devoir de vigilance européen. Et pour cause, le Vieux Continent ne peut pas devenir totalement autonome sur certains sujets, comme celui des matières premières. L’UE préfère donc diversifier ses approvisionnements, plutôt que de couper les ponts.

"Si nous ne pensons pas aux marchés émergents, nous sommes tous cuits"


Cette transformation des pratiques du commerce international s’opère toutefois sur un fil. Si les plans d’aides publiques ont pour objet de développer des technologies propres, une véritable guerre commerciale entre les grands blocs régionaux pourrait avoir l’effet inverse. "Alors que la mondialisation a entraîné une dégradation des biens communs (santé, éducation, qualité de l’air, etc. NDR), l’enjeu est de trouver un équilibre entre les biens qui nécessitent une intervention de l’État et ceux qui doivent rester dans le libre-échange, commente Guillaume Vuillemey. On pourrait se dire par exemple que face à la rareté des ressources (pétrole, minerais, …), les pays pourraient se coordonner pour les gérer intelligemment, mais c’est l’inverse qui risque de se produire".
La lutte contre le changement climatique, par exemple, est un sujet par définition global qui nécessite de la coopération. Car "si nous nous efforçons de verdir les (pays) industrialisés et que nous ne pensons pas aux marchés émergents, nous sommes tous cuits", a avertit Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), lors d’une table ronde au Forum économique mondial. "La question clé n’est pas la Chine d’abord, l’Amérique d’abord, ou l’Europe d’abord. La question clé est le climat d’abord", a affirmé de son côté le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire au cours de la même table ronde.
Concepcion Alvarez @conce1 et Arnaud Dumas @ADumas5
* "Le temps de la démondialisation, protéger les biens communs contre le libre-échange", Guillaume Vuillemey, éditions Le Seuil, 128 pages, octobre 2022

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