Tourists pass by a menu written in Russian placed outside a restaurant in Limassol 22 August 2003. (Photo by LAURA BOUSHNAK / AFP)

Les touristes russes sont particulièrement friands de visites en Europe, à tel point que dans certains hauts lieux, les menus sont écrits en Russe, comme ici, à Limassol, à Chypre.

AFP

Bientôt persona non grata, les Russes lambda ? Ce mercredi 31 août, l'Union européenne a décidé de retirer un accord, signé avant la guerre, qui permettait aux Russes d'obtenir un visa de manière accélérée. "Cela réduira considérablement le nombre de nouveaux visas délivrés par les Etats membres de l'UE", a indiqué Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. L'idée de fermer la porte aux Russes déchirait jusqu'à présent les Etats membres, entre la nécessité de punir la guerre en Ukraine et celles de ne pas reformer des blocs hermétiques, comme au temps de la guerre froide.

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Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ?

L'Union européenne détricote, sans interdire. Cette décision marque le retour de la procédure classique d'obtention d'un visa pour l'espace Schengen (22 Etats de l'UE, plus Norvège, Islande, Suisse et Liechtenstein). Celle-ci est plus longue, et plus coûteuse. Après le déclenchement du conflit, l'accord de facilitation avait déjà été partiellement suspendu par l'UE pour certains citoyens russes liés au régime (délégations officielles, détenteurs de passeports diplomatiques, chefs d'entreprise...), mais les autres continuaient d'en bénéficier.

De quoi mettre des bâtons dans les roues des touristes russes, alors que l'Union européenne affirme avoir constaté "une augmentation substantielle des passages frontaliers de la Russie vers les Etats voisins, (...)", présentant "un risque pour la sécurité". Les 26 pays de l'espace Schengen ont reçu en 2021 trois millions de demandes de visas de court séjour toutes catégories confondues (tourisme, études, voyages d'affaires...). Parmi ces visiteurs, les Russes étaient les plus nombreux, avec 536 000 demandes. Il risque d'y avoir la queue.

Que vont faire les pays membres ?

En amont de cette annonce, la Pologne, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont indiqué vouloir restreindre les visas qu'ils accordent aux ressortissants russes, indépendamment de la politique européenne sur la question. Rien ne les en empêche : "Il est légalement possible pour les pays de bloquer les visas Schengen délivrés par d'autres pays. Si la Lituanie (ou d'autres Etats) veut empêcher les Russes d'entrer dans son pays, elle peut le faire au niveau national, sur décision de son ministre de l'Intérieur", a reconnu une source diplomatique à l'AFP, ce mercredi;

La République tchèque, les Pays baltes et la Pologne ont par ailleurs déjà durci leur régime de visas à des degrés divers (arrêt total ou pour les seuls touristes), avec des exceptions. Pays par lequel transitent de nombreux touristes russes se rendant dans l'espace Schengen, la Finlande, qui traite quelque 1 000 demandes de visas par jour, a décidé de réduire à 10% de ce volume le nombre de visas délivrés aux touristes russes dès le 1er septembre, face à un tourisme russe jugé insupportable. Si la suspension de l'accord est vue comme une "première étape" par ces gouvernements, ils demandent de limiter drastiquement "le nombre de visas délivrés, surtout les visas touristiques, pour diminuer le flux de citoyens russes vers l'UE et l'espace Schengen".

Pourquoi la question des visas fait débat ?

Selon Josep Borrell, les ministres réunis à Prague ont convenu que les relations avec Moscou "ne pouvaient pas rester inchangées" et que l'accord devait être "totalement suspendu". Reste que l'Europe diverge sur la force des restrictions à adopter. A l'inverse des Pays Baltes, la Hongrie, l'Autriche, le Luxembourg, ou encore l'Allemagne et la France sont contre l'idée de se couper du tourisme russe, comme l'a demandé le président ukrainien Volodymyr Zelensky, dans un entretien exclusif à L'Express. "Il n'y aura pas d'interdiction générale de visa pour les citoyens russes", a annoncé le ministre hongrois des Affaire étrangères, ce mercredi, coupant court à de plus amples mesures.

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Ces dirigeants craignent des effets pervers, en cas de fermeture de frontière. "Nous ne devons pas avoir un nouveau rideau de fer en Europe", a par exemple souligné le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, ce mardi. La France considère aussi qu'il faut distinguer "les fauteurs de guerre (...) et les citoyens russes, les artistes, les étudiants, les journalistes par exemple". Au-delà de la punition collective, certains spécialistes redoutent de tarir le softpower européen alors que les Russes peinent à avoir accès à des voix discordantes du régime : "La force de l'Union européenne, ce ne sont ni ses armées, ni ses services de renseignements, ni ses technologies : c'est sa capacité d'attraction", expliquait à L'Express le 26 août dernier Cyrille Bret, chercheur à l'Institut Jacques-Delors.

Que va faire la Russie ?

Tandis que les Européens se concertaient encore, la Russie manifestait déjà son désaccord : "C'est une décision très grave qui pourrait être prise contre nos citoyens et une telle décision ne saurait rester sans réponse", déclarait le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ce mardi, sans préciser la nature des représailles. "Petit à petit, Bruxelles comme les capitales européennes affichent un manque total de jugement (...) Cette irrationalité, qui frôle la folie, permet à de telles mesures (sur les visas) d'être débattues", a-t-il lancé.

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