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Tribune

Populismes : la « faute à l'Europe » ?

LE CERCLE - D'un côté, les partis « eurosceptiques » ne cessent de progresser dans quasiment tous les pays européens. De l'autre, les citoyens se disent majoritairement satisfaits d'appartenir à l'Europe. Comment expliquer ce paradoxe ?

En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orban a lancé en février 2019 une campagne d'affichage contre George Soros et Jean-Claude Junker.
En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orban a lancé en février 2019 une campagne d'affichage contre George Soros et Jean-Claude Junker. (ATTILA KISBENEDEK/AFP)

Par Thierry Chopin (professeur de science politique à l’Université catholique de Lille, Espol)

Publié le 17 mai 2019 à 06:53Mis à jour le 17 mai 2019 à 08:20

Le succès des forces politiques nationales-populistes est communément interprété comme la manifestation d'une hostilité de leurs électeurs à l'égard de l'Union européenne. Pourtant, le soutien en faveur de l'appartenance à l'UE s'est fortement accru ces trois dernières années. On ne trouve dans aucun pays membre une majorité en faveur de la sortie de l'Union européenne. Les formations politiques qui expriment des critiques « eurosceptiques » semblent partout rencontrer un soutien croissant des électeurs, dans une Europe à laquelle les citoyens disent n'avoir jamais été aussi satisfaits d'appartenir. Comment expliquer un tel paradoxe ?

Fondamentalement, les facteurs qui expliquent la force des populismes sont d'abord nationaux. Sur le plan économique, d'abord, le retour du populisme est lié dans certains pays (notamment du sud de l'Europe) à la crise économique. Au-delà, il s'explique par le sentiment de déstabilisation économique dans un contexte d'ouverture internationale, notamment dans les pays en panne de croissance connaissant un chômage élevé. La globalisation de l'économie entraîne un repli sur soi.

On ne trouve dans aucun pays membre une majorité en faveur de la sortie de l'Union européenne.

Ensuite, sur un plan démographique, le retour du populisme dans des pays économiquement prospères (par exemple dans les pays du Nord) s'exprime sous une forme « patrimoniale » qui renvoie à la crainte de perdre non seulement son patrimoine matériel mais surtout immatériel, c'est-à-dire son mode de vie et ses valeurs. Des sociétés de plus en plus âgées craignent la transformation d'un environnement dans lequel elles ne se reconnaissent plus nécessairement, d'où l'importance du thème des religions - notamment de l'islam - dans les sociétés européennes. En outre, une « panique démographique » explique l'impact de la crise migratoire dans les pays centre et est-européens dont la population décroît.

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Enfin, sur un plan politique, c'est l'exaspération de nombreux citoyens face aux scandales et à la corruption qui alimentent la critique populiste de l'« establishment » et de la démocratie libérale. Ce retour des populismes traduit en outre une crise de la représentation dans des pays où le « système » traditionnel reflète mal la complexité et la transformation des clivages qui s'expriment dans la société mais ne trouvent pas de traduction claire au niveau électoral. Dans ce contexte, beaucoup de citoyens ont l'impression que l'alternance classique entre droite et gauche ne permet pas de dépasser un statu quo jugé intenable. Les partis populistes y apparaissent comme un moyen de briser le consensus et le système traditionnel en se présentant comme la seule alternative, aussi bien dans les « démocraties de consensus » gouvernées par des coalitions (Autriche, Belgique, Pays-Bas, etc.) que dans les régimes politiques majoritaires (comme en France). La confiance dans la Commission européenne est plus que mitigée sur la moyenne des 28 pays de l'Union, s'établissant à 43 %, contre 29 % de défiants. Elle reste très supérieure à la confiance dans les partis politiques (18 %, contre 77 % de défiance). Partout, le rejet des élites s'exerce au premier chef à l'égard des élites nationales.

Selon les pays, ces différents facteurs économique, identitaire et politique peuvent se combiner dans des proportions variables, et l'Union européenne n'y est pas nécessairement une condition d'existence ou un déclencheur des populismes. Certes, les faiblesses de l'UE peuvent être des démultiplicateurs de certaines exigences au coeur de nos démocraties. Que les peuples européens soient davantage en recherche de sécurité et d'identité dans un espace de proximité, en attente de réponses nettes et immédiates, et dans une méfiance d'autant plus grande à l'égard des institutions qu'elles sont éloignées, sont des constats qui heurtent la nature même du projet européen : transnational, porté à la recherche de compromis, peu incarné et s'inscrivant sur le temps long. Pour autant, faire de la construction européenne la source des populismes et la raison de leur succès serait une erreur de diagnostic.

Thierry Chopin est professeur de science politique à l'Université catholique de Lille (Espol) et conseiller spécial à l'Institut Jacques Delors.

Emmanuel Rivière dirige la division Public de Kantar en France et préside le Centre Kantar sur le futur de l'Europe.

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