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"Trump a une vision médiévale de l'économie", selon Pascal Lamy, ex-directeur de l'OMC

L’ex-dirigeant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy analyse, dans une interview au JDD, la décision de Donald Trump de taxer l’acier et l’aluminium exportés aux États-Unis.

Propos recueillis par Bruna Basini , Mis à jour le
Pascal Lamy est critique à propos de la politique économique de Donald Trump.
Pascal Lamy est critique à propos de la politique économique de Donald Trump. © Sipa

Le protectionnisme ne passera pas. Pas durablement, en tout cas. C'est le diagnostic de l'ancien directeur général de l'OMC (2005-2013). La guerre commerciale, promise par Donald Trump sur Twitter, qui cible l'acier et l'aluminium importés aux Etats-Unis renchérira mécaniquement les coûts de production des industriels américains, explique Pascal Lamy. Sans compter les mesures de rétorsion envisagées par Bruxelles. Pour limiter la surproduction mondiale qui frappe ces métaux, la réponse passe par d'autres canaux.

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Lire aussi : Donald Trump va-t-il déclencher une guerre commerciale?

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Pour Lamy "il n'y a pas encore de guerre commerciale entre l'UE et Washington"

Donald Trump va-t-il vraiment taxer les importations d'acier et d'aluminium aux Etats-Unis?
Cela fait des mois qu'il demande en arrivant le matin au bureau la liste des tarifs douaniers qu'il a promis durant sa campagne. C'est une de ses obsessions. Il a une vision presque médiévale de l'économie. Pour lui, le commerce, les échanges, doivent être win-lose. Il l'a, d'ailleurs, clairement exprimé en disant à Angela Merkel : "Madame la chancelière, j'ai un problème. Je vois plein de Mercedes à New York mais pas de Chevrolet à Berlin." Donc, oui, il va mettre sa menace à exécution, mais probablement pas pour très longtemps.

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Qui visera-t-il, les Chinois, ou tous les pays qui exportent?
Ce n'est pas encore clair. Il va sans doute invoquer la défense de la sécurité nationale. Un joker à l'OMC qui permet de ­cibler certains pays et pas d'autres. Il pourrait ainsi décider d'exonérer de taxes les pays de l'Otan au motif qu'il a une alliance avec eux et taxer tous les autres, dont les exportations chinoises.

Pourquoi cette mesure risque-t-elle d'être de courte durée?
Parce que taxer à 25% l'acier importé aux Etats-Unis et à 10% l'aluminium renchérira très vite le coût de ces métaux pour les industriels américains. En les taxant, vous pénalisez toute la chaîne de valeur, et surtout l'automobile. Georges W. Bush l'avait fait en 2002 en prenant une sauvegarde sur l'acier importé. Il a dû faire marche arrière.

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Cette décision va-t-elle provoquer une guerre commerciale avec l'Union européenne (UE)?
Il n'y a pas encore de guerre commerciale entre l'UE et Washington. Mais si cette décision devait provoquer un reflux d'exportations d'acier et d'aluminium chinois ou brésilien vers les économies de l'UE, des mesures de rétorsion pourraient frapper les exportations américaines. A Bruxelles, le sujet est sur la table depuis une quinzaine de jours et la liste des produits sensibles venus d'outre-Atlantique est connue. Y figurent les marques citées par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker : Harley-Davidson, Levi's et bourbon. On pourrait y ajouter les marques de jus d'orange de Floride.

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Le problème des surcapacités chinoises n'est hélas du ressort d'aucune instance internationale

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La guerre commerciale "bonne et facile à gagner" de Trump n'a-t-elle pas pour principal ressort l'énorme déficit à l'export des Etats-Unis?
Rien qu'avec la Chine, ce déficit est de 350 milliards de dollars. C'est un problème structurel pour Washington. Cela fait trente ans que les Etats-Unis accumulent un déficit constant avec l'Asie. Il le fut d'abord avec le Japon et la Corée, et maintenant avec la Chine. N'oublions pas que les Chinois exportent des produits qu'ils assemblent souvent à partir de composants américains : ils sont intégrés dans la chaîne de valeur américaine. Les iPhone fabriqués à Chengdu contiennent cinq fois plus de valeur américaine que locale. Le problème de la balance commerciale des Etats-Unis est macroéconomique. Les Américains consomment beaucoup et épargnent peu. Et face à cela, la seule arme commerciale est inopérante. Quant à l'argument de la lutte contre le chômage, il tient de la tromperie, de la fake economy. Le pays est au plein emploi. Trump a tweeté en déclarant sa guerre commerciale "bonne et facile" et il n'a récupéré qu'un bras d'honneur sur les marchés, notamment en Asie et en Europe où les indices ont terminé dans le rouge. Un déficit commercial n'est pas un problème dès lors qu'il est financé. Mais cela n'entre pas dans la grammaire de Donald Trump. Il ne comprend pas que son pays bénéficie du privilège du dollar, qui lui permet de financer facilement son déficit commercial.

Sa démarche met néanmoins le doigt sur la question de la surproduction chinoise d'acier et d'aluminium. L'OMC peut-elle aider à résoudre ce déséquilibre?
Les armes de l'OMC se limitent à des mesures de sauvegarde, d'antisubvention et d'antidumping. Le problème des surcapacités chinoises, incontestable, est global et n'est hélas du ressort d'aucune instance internationale qui aurait l'autorité pour le régler. Il a été discuté lors du dernier G20. Le résoudre prendra du temps. Pékin essaie d'ajuster sa production, notamment pour lutter contre le réchauffement climatique. Ils ont fermé des aciéries particulièrement polluantes. Mais ils temporisent en profitant des trous dans la raquette réglementaire mondiale. Comme ils profitent à d'autres pays, et en particulier aux Etats-Unis, dans d'autres ­domaines. Il n'y a guère que l'Union européenne qui défende, à juste titre, le principe de disciplines collectives globales. 

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