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UE : des décisions en commun sur le retour des frontières

Malgré les mesures unilatérales prises ce week-end par certains pays pour fermer leurs liaisons avec le Royaume-Uni à l’apparition de la mutation du virus, les Vingt-Sept s’organisent depuis dimanche pour une réponse «coordonnée».
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles
publié le 21 décembre 2020 à 20h46

C'est un blocus continental autrement plus efficace que celui décrété par Napoléon en 1806 qui isole désormais le Royaume-Uni du reste de l'Europe et d'une partie du reste de la planète. Tunnel sous la Manche fermé, vols commerciaux et trafic maritime interrompus, plus rien ne sort du royaume, même s'il est encore théoriquement possible d'y entrer. Un embargo d'autant plus efficace qu'il s'agit d'une île. A quelques jours de la sortie du pays du marché unique, prévue le 31 décembre, cela donne à Londres un avant-goût de sa «souveraineté retrouvée»

Vœu exaucé

 Il n'a fallu que quelques heures après l'annonce de la découverte de cette nouvelle mutation pour que les Pays-Bas, rapidement suivis par la Belgique, l'Allemagne, l'Irlande, le Danemark et la Finlande, suspendent tous les vols provenant du Royaume-Uni. Même la France qui, depuis le début de la pandémie, a toujours évité de fermer ses frontières, n'a pas tergiversé. «Comme beaucoup d'autres pays, nous avons pris des mesures immédiates ce week-end pour empêcher l'introduction incontrôlée de ce virus muté», s'est justifié le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas. Mais face à ce qui ressemblait à un début de panique avec son empilement de mesures nationales désordonnées, la ministre des Affaires étrangères espagnoles, Arancha González, a appelé dimanche sur Twitter à une «coordination européenne».

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Vœu exaucé : dans l'après-midi même, à l'initiative de Charles Michel, le président du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, une visioconférence entre les «sherpas» des Vingt-Sept a été organisée. Puis, lundi matin, le Comité de sécurité sanitaire de l'UE s'est réuni pour évaluer la gravité de la mutation du virus. Parallèlement, l'IPCR, le mécanisme européen de réponse aux crises, s'est retrouvé au niveau des experts, afin «d'échanger [les] informations» et «d'identifier les différentes options pour une réouverture coordonnée des frontières avec des mesures identiques, comme une exigence de test PCR ou une liste de professions essentielles autorisées à voyager», explique un diplomate européen. Les représentants permanents (ambassadeurs auprès de l'UE) se réuniront ce mardi matin pour essayer de parvenir à un consensus sur la politique à suivre dans les prochaines semaines. Comme l'a expliqué l'Allemand Heiko Maas, «il est important que le règlement s'applique à tous et qu'une interdiction d'entrée ou de vol ne puisse pas être contournée via d'autres Etats de l'UE».

Les Européens semblent donc avoir appris de l’épisode de mars, lorsque au début de la pandémie, la plupart des frontières nationales ont été fermées les unes après les autres dans la panique la plus totale, des plots en béton étant même placés en travers des routes secondaires. Une fermeture qui a causé des ruptures de chaînes d’approvisionnement puisque même les marchandises ne passaient plus. Il a fallu que la Commission, sous l’impulsion de la France, intervienne fermement pour obtenir la levée progressive de ces fermetures qui menaçaient l’existence du marché intérieur européen.

«Il est vrai que cette coordination n'est pas facile, mais il faut bien voir que la politique sanitaire n'est pas une compétence européenne, mais nationale. Cette fois-ci on a réussi à le faire en quarante-huit heures», se réjouit un diplomate français. «On voit bien que là où l'Europe est absente, c'est la pagaille garantie», tempère Yves Pascouau, directeur des programmes Europe de l'association Res Publica et chercheur à l'Institut Jacques-Delors. Le pandémonium des mesures sanitaires décidées au niveau national sans concertation est là pour en témoigner : masque en extérieur obligatoire ou non, magasins ouverts ou non, couvre-feu ou non, restaurants et bars ouverts ou non, écoles fermées ou non, etc., et souvent à quelques dizaines de mètres de distance dans les zones frontalières.

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Illusoire

Reste que la pandémie confirme que les frontières ont fait leur grand retour : elles sont désormais perçues par les Etats comme le rempart ultime contre les menaces, même si c'est largement illusoire, alors que depuis trente ans on a assisté à leur effacement progressif ou à leur déport vers les frontières extérieures de l'UE. «Pire, on est progressivement passé d'un rétablissement des contrôles dans un but de sécurité publique, comme lors des attentats ou des vagues migratoires, à une logique de fermeture totale. Désormais le principe est la fermeture, l'exception l'ouverture», constate Pascouau. «Pour donner une idée du mouvement en cours, on est passé de 36 rétablissements des contrôles aux frontières intérieures de l'UE entre 2006 et 2015 à 205 entre 2015 et 2020», poursuit-il. Le seul moyen de revenir à un espace de libre circulation, une fois la pandémie terminée, passe donc par une politique sanitaire communautaire, seule à même d'éviter des réflexes nationaux et un retour durable des frontières intérieures.

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