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Interview

Ukraine : « Une conscience géostratégique s'éveille en Europe »

Alors que le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'UE se réunit ce lundi pour évoquer à nouveau le dossier ukrainien, Cyrille Bret, spécialiste des relations internationales à l'Institut Jacques-Delors, salue la montée en puissance de cette enceinte sur la scène internationale. Il analyse aussi les positions française et allemande face à la menace russe.

Des militaires ukrainiens dans la région de Donetsk, le 18 janvier 2022.
Des militaires ukrainiens dans la région de Donetsk, le 18 janvier 2022. (Anatolii Stepanov/AFP)

Par Karl De Meyer

Publié le 24 janv. 2022 à 09:59Mis à jour le 24 janv. 2022 à 17:52

Pourquoi l'UE peine-t-elle à exister dans le dossier ukrainien ?

D'abord permettez-moi de rappeler qu'elle y existe depuis longtemps. C'est elle qui a pris l'initiative de sanctions en 2014, elle qui a été la plus constante dans son soutien à l'Ukraine, non seulement à travers les sanctions mais aussi en alimentant son budget, en continuant à lui dépêcher des missions d'assistance technique. Sur le plan politique et diplomatique, l'UE et le couple franco-allemand, les trois Etats baltes et la Pologne ont été absolument constants dans leur position de défense de l'intégrité de la souveraineté et du territoire de l'Ukraine.

Depuis plusieurs semaines flotte, il est vrai, plutôt une espèce de dialogue au parfum de Guerre froide entre Washington et Moscou, comme si les Européens ne pouvaient être acteurs de leur sécurité mais seulement bénéficier d'accords conclus par d'autres puissances.

Mais il y a tout de même eu récemment plusieurs démarches importantes des Européens. D'abord le voyage à Kiev de Joseph Borrell [le chef de la diplomatie européenne, NDLR] et les positions françaises renouvelées à l'occasion du lancement de la présidence de l'UE.

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Les Baltes et la Pologne ne fléchissent pas. La façon dont les Européens existent dans ce dossier reflète ce qu'est l'UE, la plus grande organisation internationale intégrée au monde, mais dépourvue d'instruments militaires. L'Union déploie ses moyens diplomatiques, économiques et financiers, sans que ce soit suffisant pour bénéficier du statut de grande puissance.

Une des principales faiblesses de l'UE dans ce dossier est l'hétérogénéité des positions sur la Russie. En raison de leurs passés respectifs, de leurs positions géographiques propres et de leurs rapports commerciaux spécifiques avec la Russie, tous les Etats de l'Union n'ont pas le même rapport avec la Fédération alors que les Etats-Unis, s'ils ne sont pas exempts de débats internes sur la question, ont une unité de décision.

Le débat sur la Russie s'impose à l'intérieur même des Etats de l'Union les plus actifs sur la scène internationale. Ainsi, en France, les candidats à la présidentielle ne sont pas tous sur la même ligne : Eric Zemmour et Marine Le Pen, comme François Fillon en 2017, sont pour un rapprochement. De même, au sein du gouvernement Schölz en Allemagne, deux lignes se dessinent entre les Verts partisans d'une ligne dure et atlantiste et une ligne d'apaisement sur le modèle de l'Ostpolitik de Willy Brandt durant la Guerre froide.

Cyrille Bret, chercheur à l'Institut Jacques Delors (DR).

Cyrille Bret, chercheur à l'Institut Jacques Delors (DR).

Dans ce contexte, le gazoduc Nordstream 2, qui relie la Russie à l'Allemagne via la Baltique, est devenu un enjeu brûlant…

Oui, les Polonais accusent les Allemands de se fournir à bas prix en gaz russe au mépris de leurs propres intérêts stratégiques. Les Américains font pression pour l'abandon de l'infrastructure. Mais vous remarquez que dans ce cas comme dans celui des sanctions économiques contre la Russie, les Etats-Unis militent pour des mesures dont ils retirent tous les bénéfices sans en subir aucun coût. Demander à l'Allemagne de renoncer au gaz russe bon marché, cela ne présente que des avantages pour l'économie américaine, surtout si cela signifie des importations allemandes de gaz liquéfié américain.

Quel est le poids du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'UE sur la scène internationale ?

Son autorité s'accroît régulièrement sur la scène continentale et internationale. C'est là qu'ont été décidées les sanctions non seulement contre la Russie, mais aussi contre la Biélorussie et la Birmanie. Les déclarations finales sont suivies de près : il y a quelques années, les médias ne s'interrogeaient guère sur les conclusions de ce Conseil. C'est devenu l'enceinte qui compte pour la sécurité du continent, là que se confrontent les différentes approches des gouvernements.

J'ajoute que le départ du Royaume-Uni a levé énormément d'inhibitions chez les Européens, même si d'un point de vue strictement militaire il a renvoyé la France à une certaine solitude. Ce Conseil a une fonction de fédération des positions européennes. La politique de sanctions conçue dans cette enceinte parvient à dépasser la diversité des points de vue, entre Etats et à l'intérieur des Etats eux-mêmes. Par exemple, les ambivalences du gouvernement Schölz en Allemagne seront assurément recadrées par les travaux du Conseil du 24 janvier.

Comment les partenaires de la France se positionnent-ils par rapport aux vues de Paris ?

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Il n'y a pas de position commune alignée sur la vision française. En revanche, la remise en question des frontières, les menaces cyber , la course aux armements et les tactiques asymétriques de déstabilisation d'Etats voisins de l'UE, voire d'Etats membres de l'UE, inquiètent tout le monde.

La France adopte des positions parfois illisibles pour nos partenaires, notamment à l'égard de l'Otan, mais grâce au travail de la Commission et de plusieurs ministres des Affaires étrangères, grâce à la boussole stratégique en cours d'élaboration qui force une réflexion géopolitique, grâce à Josep Borrell qui a beaucoup de mérite, on assiste à l'élaboration progressive d'une définition des intérêts extérieurs essentiels de l'UE. Dans ce processus, la France a un rôle de stimulant plutôt que de ciment.

Certains Etats membres nourrissent-ils même une forme de méfiance vis-à-vis de Paris ?

Je dirais plutôt qu'il y a chez certains une forme de soupçon. L'approche de la France leur paraît trop militaire, trop stratégique. C'est notamment le cas des Baltes, de la Pologne, de la Roumanie, de la Grèce qui restent viscéralement attachés à l'Otan. La visite de Vladimir Poutine au fort de Brégançon en août 2019, et la volonté de rapprochement de Moscou qu'elle impliquait de la part d'Emmanuel Macron, a laissé des traces à l'est de l'UE, où l'on n'adhère pas à la vision très française de la puissance. Cette rencontre a mobilisé les souvenirs des efforts de dialogue du général de Gaulle, car ces peuples ont une mémoire historique très longue. Si l'on voit bien une conscience géostratégique s'éveiller en Europe grâce à l'activisme français, l'Europe n'en devient pas française pour autant.

Karl De Meyer (Bureau de Bruxelles)

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