Union européenne : l'agenda d'Emmanuel Macron porté par les crises
Beaucoup d'orientations stratégiques voulues par le chef de l'Etat en 2017, fondées sur le concept de « souveraineté européenne », ont été mises en oeuvre par les Vingt-Sept, poussés par la pandémie et la guerre en Ukraine.
Par Vincent Collen
En choisissant une deuxième fois la Sorbonne pour un grand discours sur l'Europe , à six semaines des élections européennes, Emmanuel Macron entend avant tout défendre son bilan. C'est dans le grand amphithéâtre de l'université parisienne qu'il avait prononcé sa première intervention d'envergure sur le sujet, en septembre 2017. Il avait alors mis en avant le concept de « souveraineté européenne » et décliné toute une série de propositions qui en découlaient.
Ce retour à la Sorbonne permettra au chef de l'Etat de défendre « la justesse et la pertinence d'un diagnostic », explique-t-on à l'Elysée. Et de souligner que l'agenda de souveraineté présenté par Emmanuel Macron il y a sept ans a été, à l'initiative de la France, « très largement mis en oeuvre ».
« Beaucoup plus vite que prévu »
Les experts en conviennent : beaucoup d'orientations défendues par le président en 2017 ont effectivement été suivies par les Vingt-Sept. Grâce à la France sans doute, mais aussi aux circonstances. La pandémie et la guerre en Ukraine ont poussé les Européens à avancer dans des directions nouvelles qui correspondaient aux voeux de Paris.
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« Beaucoup de choses ont été faites en réaction aux événements, décrypte Eric Maurice de l'European Policy Centre. Ainsi l'idée d'une capacité budgétaire européenne de stabilisation et d'investissement en période de crise, qui était en discussion, s'est concrétisée beaucoup plus vite que prévu dans le plan de relance post-Covid . »
Une trop forte dépendance
« Le concept de souveraineté européenne est aujourd'hui bien installé. Il a été repris sous différentes formes en Allemagne ou encore aux Pays-Bas, confirme Sébastien Maillard, conseiller spécial de l'institut Jacques-Delors. En 2017, il était déjà pertinent dans le contexte de l'époque avec Donald Trump à la Maison-Blanche et le Brexit. Il a pris toute sa dimension en 2020 avec le Covid qui a fait prendre conscience d'une trop grande dépendance pour les masques ou le paracétamol, et encore plus avec l'invasion de l'Ukraine, qui a exposé nos vulnérabilités en matière de défense. »
La législature européenne qui s'achève ce jeudi s'est traduite par une amorce de politique industrielle, poussée de longue date par Paris et le commissaire français au Marché intérieur Thierry Breton. Elle a été facilitée par le rôle pivot au Parlement de Strasbourg du groupe Renew , dominé par les macronistes.
Autonomie stratégique
Des avancées importantes ont été obtenues pour les semi-conducteurs , les matières premières critiques , le numérique, le filtrage des investissements étrangers… L'instauration d'une taxe carbone aux frontières de l'UE s'inscrit également dans cette ligne. « Tout cela aurait été inimaginable avant les crises récentes », estime Sébastien Maillard.
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Même chose dans le domaine de la défense. « On a avancé sur la notion d'autonomie stratégique défendue par la France, estime Eric Maurice. On n'y est pas encore mais il y a eu une accélération avec la guerre en Ukraine. »
Affaibli en France
La France n'a pas imposé ses vues partout, bien sûr. Pour la réforme du Pacte de stabilité qui régit la trajectoire budgétaire des Etats membres, « c'est plutôt la vision des pays de l'orthodoxie budgétaire comme l'Allemagne et les Pays-Bas qui l'a emporté », poursuit Eric Maurice. Et le projet d'un fonds européen pour financer l'industrie est encore balbutiant, faute de soutien des autres Etats membres.
Le discours de 2017 était aussi une main tendue vers l'Allemagne, à l'époque dirigée par Angela Merkel. La relance du « moteur » franco-allemand voulue par Emmanuel Macron s'est soldée par un demi-échec. Paris et Berlin peinent à s'entendre sur de nombreux dossiers ces dernières années, encore plus depuis l'arrivée d'Olaf Scholz à la chancellerie et la crise énergétique qui a remis le nucléaire au centre des débats. « Macron a dû se rapprocher d'autres pays pour avancer, l'Espagne , l'Italie, des pays d'Europe orientale, parfois les Pays-Bas. Les partenariats sont plus diversifiés », constate Sébastien Maillard.
« Le travail de conviction d'Emmanuel Macron est encore en cours », conclut Eric Maurice. Le chef de l'Etat aura-t-il autant d'influence dans la prochaine mandature ? Il n'est plus dans une position aussi forte vis-à-vis de ses partenaires, pour au moins deux raisons : « Sa popularité a chuté et les finances publiques de la France se sont nettement dégradées . Affaibli en interne et avec moins de moyens, il ne peut plus espérer autant d'impact à la table du Conseil européen », considère Sébastien Maillard.
Vincent Collen