La candidate RN à la présidentielle Marine Le pen, le 22 février 2022 à Paris

La candidate RN à la présidentielle Marine Le Pen, le 22 février 2022 à Paris

afp.com/JULIEN DE ROSA

C'est un Luxembourgeois qui formule tout haut ce que beaucoup d'Européens pensent tout bas. Arrivant à une réunion des Vingt-Sept au lendemain du premier tour, le ministre des Affaires étrangères du plus petit pays de l'UE s'alarme : "J'espère que nous n'aurons pas Marine Le Pen comme présidente française, ce serait une rupture pour l'Europe comme projet de paix et de valeurs. Cela nous mettrait totalement sur une autre voie. Les Français doivent empêcher cela !"

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La franchise du socialiste Jean Asselborn contraste avec la prudence officielle de la Commission européenne ou du Conseil, qui ne prennent jamais ouvertement parti dans un scrutin national. Cela n'empêche pas de nombreux yeux d'être tournés vers la France. D'autant que dans les cercles européens, l'étoile d'Emmanuel Macron n'a pas pali. "La France est une force motrice, j'espère qu'elle va le rester", glisse Vera Jourova, vice-présidente de la Commission chargée des valeurs. Ici, peut-être plus qu'ailleurs, une victoire de la candidate RN est donc difficile à envisager. "Certains n'y croient pas vraiment et pensent qu'à la fin les Français seront rationnels, résume un diplomate. D'autres sont vraiment inquiets car ils craignent un affaiblissement radical au pire moment."

Le modèle hongrois, une catastrophe pour l'UE

Depuis le début de l'offensive russe en Ukraine, les Européens présentent un front uni - même la russophile Hongrie a adopté les sanctions. Mais avec Marine Le Pen au pouvoir, son Premier ministre, Viktor Orban, aurait une alliée de poids. "Ce serait l'occasion de créer une dynamique. Cela renforcerait les forces patriotiques, l'idée d'une Europe fondée sur le respect mutuel des souverainetés et non sur un chantage idéologique venu de la bureaucratie bruxelloise", expose Balazs Hidveghi, eurodéputé hongrois du Fidesz. "Viktor Orban, on pouvait gérer, mais on n'y arrivera pas avec la deuxième puissance économique européenne", s'effraie à l'inverse son collègue écologiste belge Philippe Lamberts.

Remise en cause de la primauté du droit européen par referendum, tensions sur l'Etat de droit : les déclarations de Marine Le Pen permettent d'anticiper des résistances calquées sur celles de Budapest ou Varsovie. Les services de la Commission suivent déjà sa campagne de près : risque de discriminations, atteintes éventuelles au droit d'asile, à l'indépendance de la justice ou à la liberté de la presse... Sa décision de refuser l'accès des conférences de presse à certains journalistes n'est pas passée inaperçue. "Nous ne devons pas nous faire d'illusions sur les intentions réelles, confie Vera Jourova. Nous ne devons pas sous-estimer les risques liés à des plans qui vont à l'encontre des principes fondamentaux de l'Union."

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Autre inquiétude significative, les conséquences pour l'économie européenne. "En France, la première victime d'une victoire de Marine Le Pen serait le pouvoir d'achat", affirme une source bruxelloise, qui invoque la possible hausse des taux d'intérêt de la dette et le risque systémique pour l'euro. "Son élection provoquerait une réaction très négative sur les marchés, abonde l'ex-Premier ministre italien Enrico Letta, président de l'Institut Jacques Delors. Il faudrait alors que l'Europe réagisse. Je ne sais pas si elle en serait capable."

Les difficiles alliances européennes du RN

A Bruxelles, certains ont lu le programme de la candidate. La promesse de diminuer de 5 milliards la contribution de la France au budget communautaire, sans évoquer une baisse des subsides reçus en contrepartie, fait lever quelques sourcils. "Elle veut une 'alliance des nations'. Mais qu'est-ce que l'UE, si ce n'est une alliance des nations ?, ironise un interlocuteur. Si elle veut détricoter une partie tout en gardant ce qui l'arrange, elle devra entrer dans le système et commencer à négocier."

Certains tentent de se rassurer en pointant que le RN n'a toujours pas réussi à fonder un groupe au Parlement européen avec les Polonais du PiS et les Hongrois du Fidesz. "Bon courage avec le Premier ministre polonais sur la Russie !" tacle un diplomate. Car Bruxelles est avant tout une grande plateforme de négociation : pour changer les choses, soit il faut partir comme les Britanniques, soit il faut convaincre les 26 autres pays. Or, Marine Le Pen a exclu un Frexit. "On ne va pas passer du jour au lendemain du jour à la nuit, anticipe une source européenne haut placée. Mais, vraisemblablement, personne ne lui tournera le dos. Si ses pairs du Conseil européen reconnaissent sa légitimité, le risque, c'est la paralysie ou de la voir exercer, avec d'autres dirigeants, une vraie influence sur les compromis européens."

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