«Vos idées pour l’Europe» : et si on instaurait un smic européen ?

Jusqu’au 26 mai, jour des élections, Le Parisien passe une de vos propositions sur l’Europe au crible. Ce mardi, mettre en place un revenu minimum dans toute l’Union européenne.

 Au sein de l’Union européenne, chaque pays décide librement de son propre salaire minimum.
Au sein de l’Union européenne, chaque pays décide librement de son propre salaire minimum. AFP/PHILIPPE HUGUEN

    Pendant la campagne des élections européennes, Le Parisien invite ses lecteurs à lui envoyer les propositions qu'ils souhaiteraient voir émerger. Ce mardi, nous nous penchons sur le smic. Un de nos lecteurs, François, propose de « créer un revenu minimum européen ».

    De quoi parle-t-on ?

    22 des 28 pays de l'Union européenne ont leur propre salaire minimum, indique l'office européen de statistique Eurostat. Au 1 er janvier 2019, le montant varie de 286 euros brut en Bulgarie, à 2 071 euros brut au Luxembourg. La France se trouve dans le peloton de tête, avec un smic de 1 521,22 euros brut.

    Ces différents pays augmentent leur salaire minimum comme ils l'entendent, ce qui donne des évolutions très différentes. Par exemple, la Roumanie est aujourd'hui à 446 euros et la Bulgarie à 286 euros, alors que ces deux pays voisins « avaient un smic d'environ 100 euros lors de leur entrée dans l'UE en 2007 », précise au Parisien Sofia Fernandes, chercheuse en affaires économiques et sociales à l'Institut Jacques Delors.

    Seuls l'Italie, la Suède, l'Autriche, le Danemark, la Finlande et Chypre n'ont pas instauré de salaire minimum par la loi.

    L'idée serait donc d'instaurer un smic européen. Mais sous quelle forme? Il semble en effet impossible d'imposer la même somme à tous les pays, qui ont des systèmes sociaux et des niveaux de richesse très différents. « Il faudrait un salaire adapté à la réalité nationale », note l'économiste, auteure fin avril d'une note d'analyse sur le sujet. Une piste souvent évoquée serait de fixer comme salaire minimum un pourcentage du revenu médian. Ce seuil divise la population en deux groupes de taille égale, ceux qui gagnent moins et ceux qui gagnent davantage.

    Déjà testé ?

    Non, il n'y a jamais eu de mécanisme commun au niveau européen pour établir un salaire minimum.

    Qu'en disent les familles politiques françaises ?

    Nathalie Loiseau, tête de liste LREM pour les élections européennes, a plaidé le 9 avril dans le Parisien pour « un smic qui permette un revenu décent », c'est-à-dire « au moins la moitié du salaire médian ». Et « au minimum », il faut « un smic dans tous les pays de l'UE », avait-elle ajouté.

    Les Républicains sont sceptiques. « Cette proposition, qui paraît utile pour harmoniser nos modèles sociaux, est en réalité absurde si l'on y regarde de plus près », a taclé début mai la tête de liste François-Xavier Bellamy dans les Échos, rappelant que plusieurs pays ont déjà augmenté leur smic ces dernières années sans y être obligés par l'Europe.

    La présidente du Rassemblement national Marine Le Pen a estimé de son côté que les différences entre les pays « ne permettent pas une convergence sur un smic européen, sauf à la baisse » pour la France.

    Le coût ?

    Il est très compliqué de dire combien coûterait l'augmentation du salaire minimum dans les différents pays. Précisons d'ailleurs que tous ne seraient pas concernés, selon la formule qui serait choisie pour ce smic européen. Par exemple, si on le fixait à 60 % du revenu médian, trois pays n'auraient pas à l'augmenter, car ils sont déjà au-dessus de ce pourcentage : la France, le Portugal et la Roumanie.

    Concernant l'impact sur les autres pays, il est difficile à prévoir car « chacun a ses propres particularités : son niveau de dépendance au commerce extérieur, les secteurs qui seraient le plus concernés, etc. », nous détaille Mathieu Plane, économiste et enseignant à Sciences-Po Paris.

    D'un côté, augmenter le salaire minimum a un coût pour les entreprises, qui perdent aussitôt en compétitivité. En France, « lorsqu'on augmente le smic de 1 %, ça détruit 2 000 emplois », estime Eric Heyer, directeur du département Analyse et Prévision de l'OFCE. De l'autre, cela fait augmenter le pouvoir d'achat et peut donc améliorer la consommation et l'emploi.

    Mais il est difficile de savoir dans quel sens penchera la balance, surtout si on manque de recul. Selon Mathieu Plane, un smic européen risque de pénaliser davantage les petits pays « qui sont très dépendants au marché extérieur et risquent de perdre des parts de marché importantes ».

    Alors jouable ou pas jouable ?

    Sur le principe, aboutir à une meilleure harmonisation salariale dans l'Union européenne semble une bonne idée, notamment pour limiter le dumping social et les inégalités entre salariés européens. « Au niveau économique, ce ne serait pas si difficile d'aboutir à un certain niveau de salaire minimum d'ici cinq ou six ans », commente Sofia Fernandes.

    Mais « le problème est que vous êtes confrontés à la souveraineté de chaque pays. Ce n'est pas l'Europe qui décide du niveau du smic, mais c'est l'Etat ou les partenaires sociaux », rappelle Mathieu Plane.

    Les pays les plus difficiles à convaincre pourraient être ceux du nord de l'Europe, qui privilégient traditionnellement les négociations salariales dans chaque branche, sans que l'Etat ne s'en mêle. « Le scénario idéal et très ambitieux serait d'appliquer un smic partout, et tout est question de négociations entre les 27 pays, note la chercheuse à l'Institut Jacques Delors. Mais, si ça bloque, il serait préférable de le faire avec ceux qui veulent avancer, quitte à avoir une Europe à géométrie variable. »

    Les + d'une telle idée…

    • Meilleure harmonisation salariale en Europe
    • Conditions de vie améliorées pour les travailleurs au salaire le plus bas

    … Et les -

    • Coût pour les entreprises dans certains pays
    • Donner le sentiment que l’Europe veut imposer une politique économique

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