Pont-à-Mousson L’ode à l’Europe du groupe ADH

Propos recueillis par Maxime HENRY - 07 déc. 2017 à 05:02 | mis à jour le 07 déc. 2017 à 15:31 - Temps de lecture :
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Un mardi somme toute banal sur Pont-à-Mousson. Enfin, pas tout à fait. Car ce soir-là, ce 5 décembre, avait lieu une soirée rencontre orchestrée par le groupe ADH à l’espace Montrichard. La société, spécialisée en ressources humaines, a amené deux invités de marque pour parler de l’Europe devant une salle comble de « décideurs de la Lorraine » : Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et Heinz Wismann, philologue allemand.

Vous êtes des Européens convaincus ?

Pascal et Heinz : On peut le dire oui !

Pascal  : Enfin, en tout cas, on doit démontrer la nécessité d’une Europe forte. Après il y a aussi comment le faire. La pertinence du projet c’est une question très importante pour les opinions et la légitimité de cette entreprise.

Il y a à la fois un côté philosophique et un côté économique à l’Europe. Vous la voyez unie dans un seul bloc ou une division qui fait sa force ?

Heinz : Non, ce n’est pas ça. L’Europe, dans son histoire, a émergé comme une entité improbable car elle n’a pas de limite, pas de frontières naturelles. Elle est une sorte de création de l’esprit. Et la nature de cette création, je vais essayer de dire en quoi elle consiste. C’est une idée, c’est-à-dire quelque chose qui doit être rempli par l’imagination et qui se réalise dans un second temps, pour ensuite se penser. L’Europe bizarrement c’est d’abord une sorte de pensée qui se réalise dans l’Histoire et parfois échoue. Ce n’est jamais acquis, l’Europe, à la différence de différents endroits du monde délimité. Elle n’a pas cette chance d’exister en dehors de ce que les Européens en font. Il faut malheureusement que les Européens s’engagent pour que l’Europe existe. Et vous pouvez être sur un autre continent, il sera là pour vous. L’Australie n’a pas le même rapport à l’Australie que le pauvre Européen qui doit toujours faire en sorte que l’Europe existe. Philosophiquement, c’est très intéressant de dire quelle est l’idée initiale qui a permis aux Européens de s’identifier à quelque chose qui les réunis.

Ça permet donc de montrer qu’avec des bonnes bases, on peut aller plus loin avec l’Europe ?

Heinz : Il faudra toujours, dans sa vie individuelle, savoir d’où l’on vient, sur quoi on peut s’appuyer, quel est l’héritage et sur quoi on veut se détacher. Il y a tout un ensemble de questions que l’on ne peut pas régler comme cela et elles ne sont pas réglées d’avance. Alors que dans certaines situations géographiques et historiques les questions sont largement réglées d’avance et on fait avec. Les Européens doivent tout inventer, tout le temps et ils ont pas mal inventé tout au long de l’histoire.

Les Européens ont encore du travail ?

Heinz : Beaucoup ! Ça a été tout au long de l’histoire. Il y a eu un moment où l’Europe a été au bord du précipice, elle s’est divisée, elle a été en proie à des attaques qui en général venaient de l’Est et elle s’est défendue comme elle pouvait. C’est très intéressant la doctrine de Foster Dulles. Comment faire pour empêcher les soviets de manger ce petit bout qu’est l’Europe. Eh bien les textes de Foster Dulles sont inspirés de l’historien grec Hérodote qui a exactement les mêmes idées à l’égard des Perses. La Grèce s’est défendue contre les Perses avec cette idée que de l’autre côté il y a la tyrannie, il a le despotisme, il n’y a pas d’individus, pas de démocratie, etc. Tous les thèmes d’Hérodote pour justifier que les Grecs ne se laissaient pas manger par les Perses, on les retrouve au milieu de la Guerre Froide. Tout au long de l’histoire on a eu ce genre de répétition, d’argumentaire rodé qui parfois n’était plus efficace. Il fallait en inventer de nouveaux, l’actualiser. Je crois qu’il y a un vrai travail de remémoration de nos aventures passées pour mieux aborder les problèmes qui se posent maintenant.

Il y a aussi la France et l’Allemagne qui se sont mis au milieu de l’Europe ?

Heinz : C’est une antinomie la France et l’Allemagne, je m’excuse pour le mot. La France et l’Allemagne ont un privilège extraordinaire car ils constituent une sorte d’opposition parfaitement symétrique par rapport à laquelle se situent tous les autres pays européens, avec des nuances. Plutôt près de l’Allemagne, plutôt près de la France. Moi je vois ça comme un losange où il y a France-Allemagne qui sont bien en place depuis la Réforme et la Contre-Réforme. Et puis il y a l’Angleterre et l’Italie qui sont dans un syndrome un peu incertain par rapport à cette netteté d’opposition. Ils portent sur les deux épaules les Italiens comme les Anglais, ils sont un peu troublants.

Si la France et l’Allemagne sont au milieu de l’Europe, les autres pays européens pourraient amener l’Europe à sa perte ?

Heinz : Mais si la France et l’Allemagne n’arrivent pas à tirer la charrette, c’est foutu !

Pascal : Ce qui est vrai, c’est que l’idée d’Europe est là depuis très longtemps, bien avant que ça se dématérialise sous forme d’un processus d’intégration économique et politique, dessiné, reconnu et voulu. Ne serait-ce que le nom de l’Europe, c’est une invention. J’ai une fameuse blague que je cite souvent. C’est une maîtresse d’école qui dit à ses élèves : « Est-ce que vous avez bien appris votre leçon sur les continents ». Les élèves lui disent alors en chœur « Oui, maîtresse ». Elle leur demande « Et combien y a-t-il de continents ? ». Un élève lui répond simplement. « Cinq, évidemment. Il y a l’Asie, l’Afrique, l’Amérique, l’Océanie et l’Europe ». « Non », répond-elle. Alors un autre élève rétorqua « Si ! Il y a bien cinq continents, l’Europe, l’Océanie, l’Asie, l’Amérique, et l’Afrique ». « Non », redit la maîtresse, « vous avez tout faux ». Alors le gamin lance « écoutez maîtresse, j’ai regardé mon livre de géographie hier et c’est ce qu’il y a de marqué ». Et la maîtresse lui dit « Mais non, mais tu n’as rien compris l’Europe est un continent uniquement parce que les Européens ont inventé la géographie ! ». (rires)

Mais dans mes cours, plus jeune, on me disait que l’Europe s’arrêtait à l’Oural…

Pascal : C’est ce que dit la géographie. Mais l’idée qu’il y a un continent divisé par l’Oural, c’est une idée assez biscornue. Donc il y a un continent qui s’appelle comme on veut, l’Asie, l’Europe-Asie, l’Eurasie.

Et en tant qu’ancien DG de l’OMC, vous la voyez comment l’Europe ?

Pascal : Je l’ai vu de l’intérieur (NDLR : Il a été commissaire européen pour le commerce) et de l’extérieur. J’ai souvent dit qu’on la voit mieux de l’extérieur que de l’intérieur. L’identité européenne est beaucoup plus claire dans les yeux des non-Européens que des Européens. Si vous demandez à un Brésilien ou à un Africain moyen, il va le faire de manière beaucoup plus claire et simple qu’un Européen moyen.

Ce n’est pas un peu paradoxal ?

Pascal : Non, l’identité, c’est toujours deux regards. Le vôtre et celui des autres qui se croisent. Et en l’occurrence celui des autres est plus clair que le nôtre. Et celui des autres c’est, en gros, que l’Europe est un endroit où il fait bon de vivre, mieux qu’ailleurs. L’idée est que l’identité européenne, c’est un endroit où il y a moins de malheur qu’ailleurs, ou plus de bonheur selon les visions. C’est clair pour les non-Européens. On a une preuve avec le fait que beaucoup de gens veulent venir en Europe.