Par Benoît Lasserre
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Le président du Mouvement Européen-France, Yves Bertoncini, était de passage à Bordeaux ce mardi. Il donne son avis sur la place de l'Europe dans la campagne présidentielle

Diplômé du Collège d'Europe à Bruges (Belgique) et actuel directeur de l'Institut Jacques-Delors, Yves Bertoncini a été élu président du Mouvement Européen France en décembre dernier. Il participait mardi soir à une conférence sur les soixante ans du Traité de Rome au Goethe Institut de Bordeaux.

Bordeaux est-elle pour vous une ville européenne ?

"L'Europe fait des gagnants et des perdants"

La section bordelaise du Mouvement Européen France est en tout cas l'une des plus actives. Et je raconte souvent que c'est à Bordeaux que j'ai vraiment découvert l'Europe, sans doute plus plus qu'au collège d'Europe de Bruges où j'ai étudié pour devenir administrateur à la Commission européenne. En août 1985, je rentrais de vacances à Capbreton et, en gare de Bordeaux, j'ai croisé une manifestation de salariés de Renault qui protestaient contre la délocalisation d'une usine en Espagne, alors pas encore membre de la Communauté européenne. J'ai vraiment compris à cet instant que l'Europe fait des gagnants et des perdants. A ce titre, elle doit donc être soumise au droit commun du débat démocratique.

La construction européenne est évidemment une bonne idée et il faut aller plus loin. Au sein du MEF, il n'y a pas d'europhobes parce qu'ils y perdraient leur temps.Mais il y a des europhiles et eurosceptiques, des hommes et des femmes qui n'aiment pas l'Europe dans les orientations qu'elle a prises et qui veulent la changer.

Le même cas se reproduit aujourd'hui avec Whirlpool qui délocalise de France en Pologne.

Je veux d'abord insister sur le fait que la construction européenne reste globalement bénéfique et que l'Europe ne pèse plus que 7%, bientôt 6% avec le départ de la Grande-Bretagne, de la population mondiale. La décision de Whirlpool est évidemment une catastrophe pour les salariés concernés. Cela doit poser la question de leur indemnisation, de leur formation et de leur reclassement. Mais, pour les Français, est-ce globalement une catastrophe de faire partie du marché unique ?Renault a certes délocalisé mais c'est en rachetant Nissan qu'ils ont permis le développement de certains modèles qui sont toujours fabriqués en France. Comme je vous l'ai dit, l'Europe fait des gagnants et des perdants. Il faut éviter qu'il y ait beaucoup de perdants mais il y en aura toujours. Pour les consommateurs, les voitures ou l'électro-ménager fabriqués dans des pays à bas salaire coûtent moins cher. Cela ne console évidemment pas le salarié qui perd son emploi mais tout comme un patron débarqué empoche un parachute doré, il faut prévoir des parachutes pour ces salariés. Si on les laisse s'écraser sur le sol, comment voulez vous qu'ils ne soient pas hostiles à l'Europe ?

L'Europe est-elle selon vous assez présente dans le débat présidentiel ?

"Les Français ont perdu confiance dans le destin de leur pays"

Elle est présente sur un double registre. D'abord le registre de l'appartenance. Oui ou non, la France doit elle continuer d'appartenir à l'Union européenne ? Il y a une double différence avec la Grande-Bretagne car la France devrait aussi quitter la zone euro et l'espace Schengen auxquels la Grande-Bretagne n'appartenait pas. La prochaine présidentielle est en quelque sorte un référendum sur l'appartenance à l'UE. Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau et Jean-Luc Mélenchon, lui de façon plus oblique, disent : oui on quitte l'Europe. Les Français sont-ils europhobes ? Je ne crois pas que 51% des Français le soient. Ils sont sûrement eurosceptiques mais je dirais qu'ils sont d'abord francosceptiques et c'est le coeur du problème.Les Français ont perdu confiance dans le destin de leur pays.Il y a une grande responsabilité de ceux qui nous gouvernent depuis une quinzaine d'années.

Deuxième question : quelle Europe voulons nous ? Il y a des options différentes. L'Europe de l'harmonisation sociale ou fiscale, l'Europe de l'investissement , l'Europe de la sécurité collective, l'Europe militaire et diplomatique, l'Europe de la coopération policière et judiciaire. Et puis se pose aussi la question de la relation avec la Russie et les Etats-Unis.

Emmanuel Macron semble être le seul candidat à manifester une foi véritable dans l'Europe.

En France aujourd'hui, être europhile c'est être un outsider. Il n'y a qu'Hubert Védrine qui pense que les europhiles sont au pouvoir. Regardez plutôt le casting des chefs d'Etat et de gouvernement en Europe...La tendance aujourd'hui en France est l'Europe "bashing". L'Europe ce n'est évidemment pas parfait?. Comment un compromis à 28 pourrait-il être parfait ? Pour la France, l y a des problèmes spécifiques comme les agriculteurs mécontents de la PAC. Il y a des normes trop tâtillonnes et technocratiques, oui. Mais dans les pays qui vont mieux on tape moins sur Bruxelles, regardez en Allemagne. Si l'enseignement va mal en France, l'Europe n'a quand même rien à y voir et c'est même grâce à l'Europe qu'un dispositif comme Erasmus existe. Macron est celui qui a compris que la majorité des Français ne sont pas europhobes. Pour être qualifié au deuxième tour voire gagner, il faudra atteindre environ 25% et il reste certainement 25% d'europhiles en France.

Le MEF est un mouvement transpartisan qui ne fait campagne ni pour Macron ni pour aucun autre candidat mais ses adhérents entendent certainement plus le message d'Emmanuel Macron que celui des autres candidats. disons qu'il y a une petite musique macronienne plus perceptible à leurs oreilles.

Pour notre part, nous avons interpellé les principaux candidats, ceux qui sont soutenue par des parlementaires européens et nous allons rendre publiques leurs réponses. Nous leur demandons d'abord leur position sur l'appartenance à l'Union, la zone euro, l'espace Schengen : oui ou non. Nous leur demandons ensuite dans quelle direction ils souhaitent orienter l'Europe. Enfin, ce qu'ils comptent faire pour les mouvements comme le notre, mais pas seulement nous, qui font de la pédagogie en faveur de l'Europe..

L'Europe aurait-elle dû parler d'une seule vois face à la Turquie ces derniers jours ?

C'est d'abord très difficile de contrôler les dérives et les pulsions de M. Erdogan. Ce dernier n'a pas hésité à redéclencher il y a quelques années une guerre terrible contre les Kurdes parce qu'il avait perdu sa majorité. S'il rejoue la tension, c'est parce qu'il n'est pas sûr de gagner son referendum. Il tente de ressouder son peuple par l'outrance.

Alors l'Europe ? D'abord, il faut rappeler que la question de l'appartenance de la Turquie est réglé. La Turquie de M. Erdogan n'a pas vocation à faire partie de l'Union européenne. Peut-être pas définitivement mais là, ses atteintes à la démocratie ou les droits de l'homme le disqualifient.

Après, il ne faut pas oublier que la Turquie joue un rôle important dans le contrôle des flux migratoires. en fait, Erdogan veut qu'on le laisse réprimer tranquillement chez lui. Tant qu'il applique l'accord avec l'UE, l'Europe s'abstiendra de lui faire des remarques.Certes, il s'en fiche mais il pourrait les instrumentaliser. Tout ça se calmera s'il remporte son referendum. La Turquie reste aussi un partenaire stratégique, membre de l'OTAN et il vaut mieux ne pas avoir une relation russo-turque avec la Grande Bretagne qui sort de l'Europe et un Trump pas très fiable à la Maison-Blanche.

Mais fallait-il prendre une position commune ?

Les chefs d'Etat et de gouvernement n'ont pas voulu prendre une position commune mais je prends le problème à l'envers. En temps normal, il n'y aurait pas eu une seule ligne dans la presse à propos du meeting qu'a tenu à Metz le ministre turc des affaires étrangères devant 800 personnes. Il n'y a eu aucun débordement et la communauté turque de France ne pose aucun problème. Les Français aussi font campagne à l'étranger sans que cela pose le moindre problème.

Aux Pays-Bas se déroulait une campagne législative extrêmement tendue mais en France, même si certains candidats se sont emparés du sujet pour attaquer le gouvernement, pourquoi interdire une manifestation qui n'a pas troublé l'ordre public ?

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Pourquoi l'Europe aurait-elle dû adopter une position commune sur le sujet. L'ordre public aux Pays-Bas, c'est l'affaire du gouvernement des Pays-Bas, et en France c'est celui du gouvernement français. Je vous dirais enfin qu'il y a des sujets bien plus graves sur lesquels l'Europe devrait adopter une position commune : la Syrie ou la crise des réfugiés. Cette affaire turque est anecdotique mais n'a existé que parce qu'il y a des campagnes électorales aux Pays-Bas, en Turquie et en France.