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Budget européen, retrouver le sens du long terme
| 23/05/2019
Depuis que l’Europe a éliminé les barrières à la circulation des capitaux (1990) et que l’euro est né sans budget propre (1999), l’Union monétaire est écartelée entre pays excédentaires et pays déficitaires. Cette polarisation affaiblit l’investissement public et réduit la croissance de long terme.
Tandis que l’Union devrait transformer son régime de croissance face aux défis social et écologique, l’Europe n’a pas de stratégie commune d’investissements longs. Sans mobiliser le budget européen pour créer une valeur ajoutée de l’Union, un nouveau contrat social et la conscience d’une citoyenneté commune resteront hors d’atteinte.
Une valeur ajoutée pour l’Union
L’action de l’Union se justifie par la création d’une valeur s’ajoutant à celle que chaque pays membre produit séparément. Dans l’urgence climatique, cette valeur doit être celle des biens communs indispensables à une croissance inclusive et durable.
La Communauté a commencé par le charbon. Au contraire, l’Union européenne est incapable de décider la sortie des énergies fossiles. Bien qu’à l’initiative de l’Accord de Paris sur le climat, les Européens sont incapables de définir ensemble la stratégie d’investissement requise.
Dans leur logique de « juste » retour, les pays membres défendent leur « solde net » sans se soucier de la valeur ajoutée des actions financées. C’est un jeu à somme nulle : les recettes proviennent à plus de 80 % des contributions nationales et 70 % des dépenses sont pré-allouées aux pays membres. En outre, le cadre pluriannuel fixe des plafonds de dépenses pour sept ans : cette rigidité interdit à l’Union d’avoir une politique économique propre ou d’en changer face à l’imprévu.
Pour mettre le budget au service de l’investissement long il faut, en recettes, augmenter la part des ressources levées directement sur les agents économiques et, en contrepartie, réduire à 50 % le poids de la ressource RNB, un « impôt » forfaitaire sur le revenu national brut, et il faut en dépenses réduire la part des enveloppes pré-allouées aux pays membres dans le cadre pluriannuel.
Mettre l’investissement privé au service de l’intérêt commun
À ce jour, le plan Juncker est la seule initiative visant à réveiller l’investissement productif, endormi par les contraintes du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance et par la frilosité de l’épargne privée. Il a innové en établissant une collaboration inédite entre la Banque européenne d’investissement et la Commission : le budget de l’Union est utilisé à titre de garantie des premières pertes sur un gros volume d’investissements privés.
Pour pérenniser ce dispositif, il faudrait mieux intégrer les banques publiques d’investissement au Fonds InvestEU qui prendra le relais du Plan Juncker en 2020. Ces banques ont une grande expertise du terrain et sont donc bien placées pour identifier les opportunités locales d’investissement, combiner les capacités nationales et européennes de financement, éviter les redondances et attirer les prêteurs privés. Avec leur concours, InvestEU aurait, par rapport à une logique exclusive de marché, plus de chances de produire de la valeur ajoutée européenne.
Il faudrait aussi concentrer l’action d’InvestEU sur les investissements bas carbone à valeur ajoutée européenne et introduire une clause de conditionnalité climatique, pour éviter que les banques publiques financent malencontreusement des projets à forte intensité carbone.
Une fenêtre d’opportunité
Les élections européennes sont une occasion unique d’ouvrir un débat transnational sur le rôle du budget au service des priorités sociales et écologiques et sur un rôle accru du Parlement européen dans les choix budgétaires annuels et pluriannuels. Sinon, le cadre financier 2021-2027 en cours de négociation figera le développement de l’Union pour dix ans. Après, il sera trop tard. Et les gouvernements porteront la lourde responsabilité d’avoir ignoré l’urgence climatique.
Michel Aglietta, Bernard Barthalay, Nicolas Leron et Eulalia Rubio