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En plaçant de nouveau l’extrême-droite au second tour de la présidentielle, les électeurs français donnent au choix du 24 avril une gravité qui, si elle n’est malheureusement plus exceptionnelle, n’en est pas moins cette fois des plus palpables. Toute l’Europe l’a compris et aura l’œil rivé ce soir-là sur le verdict des urnes françaises. Durant la campagne du premier tour, sur France 2, notre président Enrico Letta fut le contradicteur de Marine Le Pen. Il sût en démasquer l’agenda politique anti-européen et grossièrement poutinien. Il appelle aujourd’hui à la battre au nom de l’Europe et pour la France, en soutenant l’ambition européenne résolue du président sortant. Devant l’enjeu historique, l’abstention n’est en effet pas une option. Quelle que puisse être la déception des uns ou des autres devant le quinquennat passé, on ne peut fuir ses responsabilités citoyennes pour l’avenir, que l’extrême-droite au pouvoir mettrait en péril. Il faut lui faire barrage activement et non s’en laver les mains.

Le duel s’annonce serré. Même éventuellement plus large que ce dont augurent les derniers sondages, la victoire incertaine d’Emmanuel Macron sera âpre. Elle aura le goût amer de la bataille gagnée sur un champ électoral démobilisé, reflet d’une société fracturée, d’une nation scindée. La carte du premier tour fait ressortir des clivages territoriaux et générationnels devenus profonds. L’abstention déjà forte au premier tour, comme lors de la dernière présidentielle, et l’attirance répandue pour des positions radicales et de rupture expriment une défiance largement commentée envers les partis de gouvernement en particulier et le pouvoir politique en général, jugés défaillants et/ou impuissants. L’individualisme exacerbé comme le communautarisme identitaire ont sérieusement érodé les bases de la démocratie représentative, au risque d’un prochain procès en illégitimité instruit dans la rue.

Dans ces conditions tendues, jamais être Président de tous les Français n’a paru mission aussi impossible qu’impérieuse. L’après-24 avril y presse. Il faut prendre le candidat Macron au mot sur sa promesse démocratique d’un nouveau mode de gouvernement et de planification. Et relire Delors* qui, après que le référendum sur Maastricht emporté de justesse avait fait apparaître des lignes de faille comparables, définissait trois rôles à un Etat au service de la nation : celui de gardien de la sécurité, celui d’animateur du développement économique et social et celui de rassembleur.

Le premier rôle, le plus régalien, est le plus attendu sans être le plus évident à exercer équitablement sur la diversité du territoire. Le deuxième est étroitement lié à la planification que Delors ne réduit pas à un ministère ordonnateur de travaux prospectifs d’experts mais voit comme un carrefour où s’expriment les aspirations tant intellectuelles que patronales, syndicales, de la haute administration et de toutes les parties prenantes. Un Plan qu’il situe « dans les interstices du pouvoir et de la société » et qui devient une « boîte nationale à idées ».

A « l’Etat-rassembleur » incombe plus largement « la redoutable mission de maintenir l’identité nationale et de stimuler le vouloir-vivre ensemble ». De redonner du sens à la vie collective. De soigner le lien social. « L’Etat-rassembleur » réhabilite les corps intermédiaires en médiateurs entre citoyens et pouvoir politique, que l’institution présidentielle de la Vème République tend à éclipser. En contrepoint à la verticalité décisionnaire, il laisse dans les politiques publiques la place au dialogue et aux initiatives, encourageant une citoyenneté d’engagement en réponse aux soifs inassouvies de reconnaissance et aux ressentis de mépris ou de relégation. Les expériences récentes de démocratie participative devraient trouver un terrain fertile. Le défi du prochain quinquennat sera de conjuguer ainsi des forces contraires qui acceptent de faire un bout de chemin ensemble. L’enjeu n’est pas nécessairement le seul dépassement de la gauche et de la droite mais plus fondamentalement, selon une définition de la démocratie chère à Delors, « un dépassement du citoyen par sa propre participation à l’œuvre collective ». Et cette participation, ce dépassement commencent le 24 avril.

*Jacques Delors, L’unité d’un homme – entretiens avec Dominique Wolton, éd. Odile Jacob, 1994

Sébastien Maillard,
Directeur de l’Institut Jacques Delors.