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Fête / Faites. Depuis son lancement, il y a 40 ans, le plus populaire et spontané des festivals de musique joue sur le double sens de cette sonorité, comme sur ses affiches annuelles. L’intuition géniale en 1982 de ses concepteurs – Maurice Fleuret et Jack Lang – était bien d’inciter les millions de Français qui pratiquent un instrument ou chantent en chorale à sortir se produire. Dans la rue, dans les gares, dans les kiosques et les squares. « La musique sera partout et le concert nulle part » résume la vision généreuse d’un événement qui veut unir amateurs et professionnels et s’ouvrir à tous les genres musicaux, le temps d’une soirée marquant le début de l’été, en écho à la Saint-Jean.
La fête de la musique a réussi d’emblée son pari social. « Elle entre dans les prisons, partage la vie des malades et du personnel de l’hôpital, rapproche les établissements scolaires de la musique, établit des liens et des échanges entre la ville et ses périphéries, irrigue les communes rurales, valorise le travail d’un individu, d’un groupe, d’une association ou de toute une communauté », se félicite le ministère français de la Culture, dont cette manifestation est issue.
Si la fête est d’un jour ou plutôt d’une nuit, la faire exige le plus souvent des années de pratique, des heures de répétition, des errements de recherche créative et des moments de panne sèche. À l’ivresse de jouer en plein air précède les gammes en solitaire, la difficulté d’un passage à réessayer encore et encore, les échauffements de voix, le trac à l’idée de se produire en public. Mais l’envie l’emporte et l’émulation fait le reste. Au-delà des frontières.
L’événement a vite pris une dimension européenne. A la faveur de l’Année européenne de la musique en 1985, soit trois ans seulement après son lancement, il s’exporte. Depuis Athènes, François Mitterrand donne le coup d’envoi le 21 juin cette année-là d’une soirée où « 30 millions d’Européens, surtout des jeunes, (..) joueront de la musique, bien ou mal, mais exprimeront ce qu’ils ont dans le cœur ». Une « Charte des partenaires de la fête européenne de la musique » sera signée en 1997 à Budapest par des villes du continent entier. Un texte pour en coucher les principes, notamment la gratuité pour tout public.
Les alliances et instituts français ont contribué à l’européanisation d’une fête qui partout repose d’abord sur la participation amateur. Elle devient fest der Musik en Allemagne, Make Music Day au Royaume-Uni, la festa della Musica en Italie ou Dia international de la musica en Espagne. Aujourd’hui, 120 pays dans le monde la célèbrent.
Si la langue musicale est universelle, sa portée reste trop souvent cantonnée à son pays d’origine. On ignore, vu de France, ce qui s’écoute, ce qui se créé, en Grèce ou en Suède, au Portugal ou en Pologne. Le fameux Concours Eurovision de la chanson n’en rend compte de toute l’étendue. L’objet de notre exposition sonore « Musiques faites en Europe » est, sans nulle prétention exhaustive, de décloisonner les succès nationaux. A travers quelques morceaux choisis, d’éveiller la curiosité musicale vers ce qui vient de finalement pas si loin, de tendre l’oreille jusqu’aux confins du continent.
Y compris vers l’Ukraine, qui vit depuis quatre mois sous le sifflement des bombes et le fracas des déflagrations. Depuis tout autant, concerts de bienfaisance et chansons contre la guerre rappellent le pouvoir consolateur de la musique, cette « langue des émotions » comme la définit Kant.
Merci à Anne-Julia Manaranche, responsable d’édition de notre think tank, pour sa talentueuse mise en page visuelle, textuelle et sonore et d’abord pour sa large et éclectique sélection de musiques. Elle l’a établie notamment avec les conseils de notre équipe provenant des quatre coins de l’Europe et qui a puisé dans ses playlists préférées. Merci aussi à la photographe Juliette Seguin, dont les clichés volés à travers le continent rendent bien compte de la joie de jouer de la musique et d’en écouter. Une fête toujours à refaire.
Sébastien Maillard,
Directeur de l’Institut Jacques Delors