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Pour mieux comprendre la crise politique tchèque
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À Prague, Andrej Babiš sort paradoxalement renforcé d’un automne riche en rebondissements.
Les derniers mois de l’année 2018 auront été des plus difficiles pour le Premier ministre tchèque, Andrej Babiš. De nouvelles révélations concernant son implication personnelle dans l’affaire de détournement de fonds européens destinés à la construction du projet immobilier “Nid de Cigogne” ont d’abord mis à mal sa crédibilité, notamment quand son fils a admis, devant des caméras de télévision, avoir été forcé de s’exiler en Crimée pour qu’il ne puisse pas témoigner sur cette affaire devant les enquêteurs. Il y a été emmené de force par le mari (russe) de la psychiatre qui suivait son cas, cette dernière étant depuis quelques mois conseillère municipale d’un arrondissement praguois sur la liste du parti du premier ministre. Andrej Babiš a crié au complot médiatique et appelé à la protection de sa famille, soulignant que son fils est suivi pour des troubles bipolaires et sa fille pour des troubles de schizophrénie. Ses deux enfants (issus d’un premier mariage) étaient les propriétaires de la holding ayant perçu les fonds incriminés, absorbée dès après réception par Agrofert, le groupe chimique et agro-alimentaire qui a fait la fortune d’Andrej Babiš.
À la suite de ces faits, qui provoquèrent un tollé dans l’opinion publique tchèque, une motion de défiance fut déposée par les partis d’opposition contre le gouvernement Babiš. Du fait du soutien des sociaux-démocrates, minoritaires dans la coalition gouvernementale, celle-ci a survécu au vote, renforcée par les remarques du président, Miloš Zeman, qui déclara qu’il renommerait Babiš en tant que premier ministre et le chargerait de former un gouvernement même en cas de victoire de la motion de défiance.
À la fin du mois de novembre, une note émanant des services juridiques de la Commission européenne pointait du doigt les conflits d’intérêt découlant de la position politique de Babiš, notamment dans la mesure où sa participation à la commission gouvernementale décidant de l’octroi des fonds structurels pouvait l’amener à favoriser la galaxie des compagnies détenues par Agrofert. Les analyses qui ont suivi suggéraient qu’Agrofert pourrait être condamnée à rembourser les 82 millions d’euros reçus depuis l’arrivée au pouvoir d’Andrej Babiš ou les sommes perçues depuis l’entrée en vigueur du règlement gouvernant les conflits d’intérêt. Une communication du Commissaire européen au budget, Gunther Öttinger, a ensuite énuméré les options se présentant à Babiš pour enrayer tout soupçon de conflit d’intérêt. L’intéressé choisit lundi 17 décembre de se retirer de la commission gouvernementale. Cela fait suite au vote d’une résolution du Parlement européen, en date du 13 décembre, par 434 voix pour et 64 contre (dont seulement 23 contre 18 voix pour au sein d’ALDE, le groupe parlementaire auquel appartient ANO, le parti fondé par Babiš), exprimant de sévères inquiétudes concernant la protection du budget européen en République tchèque.
Malgré tout cela, il reste difficile de considérer que les craintes de conflit d’intérêt seront complètement levées par cette décision. L’influence de Babiš dans le pays reste majeure, ainsi que la position dominante de son groupe dans le domaine agro-alimentaire. Si Babiš avait coupé tout lien avec Agrofert, comme le suggérait une autre proposition, cela serait revenu à admettre que des liens existent encore malgré ses récriminations contraires.
Politiquement, le Premier ministre sort paradoxalement plutôt renforcé de ces affaires, sa popularité et celle de son parti continuant à augmenter : selon les dernières enquêtes d’opinion, son parti empocherait plus de 30% des voix en cas d’élections anticipées, soit plus que lors des dernières élections. En revanche, les partis de coalition (sociaux-démocrates et communistes) seraient sortis de la Chambre, ce qui a pour effet d’amplifier le cavalier seul de Babiš et de continuer à le pousser vers les extrêmes, surtout dans sa rhétorique anti-médiatique et anti-européenne.
C’est tout le paradoxe d’un pays où Babiš a été élu pour combattre la corruption, mais que les faits de corruption avérés ne touchent pas. Ceci est aussi représentatif à la fois d’une apathie politique inquiétante de la part du peuple tchèque et des divisions savamment entretenues entre les forces libérales d’un côté et populistes de l’autre.
Martin Michelot