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Passé
15 Oct 2024
18:30 - 20:00

Quelle Europe sociale à l’horizon 2030 ?

Quelques mois après des élections européennes cruciales pour les enjeux sociaux et sociétaux et alors que le Parlement commence son travail législatif, la Commission 2024-2029 va bientôt prendre ses fonctions et construire son programme de travail pour les cinq années à venir. Ce débat sera l’occasion de
réfléchir aux enjeux sociaux pour l’UE à l’horizon 2030. Quelles priorités pour la nouvelle mandature ? Quel rôle pour les partenaires sociaux européens ?
Comment soutenir le développement de l’économie sociale et solidaire dans l’Union ?

Cette rencontre sera introduite par Jean-Louis Grosse-Delasalle, Président de la Macif, suivi d’un point sur l’actualité européenne par Sylvie Matelly, Directrice de l’Institut Jacques Delors. Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne membre de la Commission de l’emploi et des affaires sociales, commencera par un état des lieux de l’Europe sociale et ses perspectives. Puis, Jean Lapeyre, ancien Secrétaire général adjoint de la Confédération européenne des Syndicats (CES), mettra l’accent sur le rôle des partenaires sociaux et la relance du dialogue social européen. Les échanges seront animés par Sofia Fernandes, Directrice adjointe de l’Institut Jacques Delors.

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Discours d’ouverture – Jean-Louis Grosse-Delasalle

  • Point sur le FIDA : nouveau cadre d’accès aux données financières

Il y a une vraie vision critique et une préoccupation des assureurs, le FIDA est vu comme un train à grande vitesse sans conducteur et sans frein. Il met à mal l’assurabilité en ouvrant grand les portes à des acteurs tels que les GAFAM.

Cette rencontre s’inscrit dans un partenariat de plus de quinze ans avec l’Institut basé sur des valeurs et une vision commune, avec une ambition de promouvoir notre engagement en faveur de l’unité européenne.

La Macif a un rôle d’accompagnement en termes de sensibilisation, prévention et solidarité mais nous sommes dans un contexte chahuté et fragilisé.

  1. Le contexte avec une France fracturée, inquiète et divisée face aux grandes transitions.
  2. Les prémices d’évolutions, notamment climatiques, qui vont provoquer chez les assurés des chocs ou des ruptures : coûts de l’énergie, transformation de la mobilité, impact sur la culture, la santé, le logement, sans même parler des effets directs des catastrophes naturelles.

La dimension climatique nous interroge et nous percute. Nous arrivons à un moment charnière : comment pouvons-nous être acteurs de nos lendemains individuellement et collectivement ?

Nous avons à agir avec lucidité sur deux terrains : la fin de mois et la fin du monde.

 

Point d’actualité – Sylvie Matelly

Pour cette seconde rencontre de l’année 2024, Sylvie Matelly a axé le traditionnel point d’actualité européenne autour de trois événements clés en amont du débat :

  • Un agenda chargé depuis les élections et une inertie des institutions

Le 9 juin dernier ont eu lieu les élections européennes et l’arrivée des nouveaux députés. Le 28 juin, Antonio Costa est désigné Président du Conseil européen (S&D) à la tête d’un Conseil qui n’a jamais été aussi conservateur qu’aujourd’hui. Puis, le 18 juillet, Ursula Von der Leyen est élue à nouveau par le Parlement européen, avec un score plus à son avantage qu’en 2019. Elle annonce le 18 septembre le collège des commissaires qui vont passer leurs auditions début novembre, mais certains pourraient être en difficulté et ne pas passer cette étape. Il faudrait alors recommencer le processus révélant cette inertie des institutions. Une fois les commissaires installés, au mieux début décembre, le travail parlementaire pourra reprendre son rythme normal.

  • Des institutions plus conservatrices que jamais

En même temps la question des moyens des institutions reste entière. Le Parlement conserve une majorité de députés conservateurs avec 188 sièges, en deuxième on retrouve les sociaux-démocrates avec 136 sièges. Le parti arrivé en troisième position est celui des Patriotes pour l’Europe, avec 84 députés, il représente l’un des trois partis d’extrême-droite du nouveau Parlement. Toutefois, ces trois extrêmes ne sont d’accord quasiment sur rien ce qui annule leurs effets de positionnement. Enfin, les deux partis du centre, Renew et les Verts se retrouvent affaiblis au profit des partis de droite ce qui donne une incertitude sur la marge de manœuvre pour faire passer les textes. Au Conseil, il n’y a seulement que trois pays membres qui sont dirigés par des sociaux-démocrates, trois également par l’extrême-droite et 18 par des conservateurs. A la Commission, le nombre de commissaires sociaux-démocrates a également diminué en passant à 3, au profit des conservateurs qui sont dorénavant 16.

  • Les priorités

Le rapport d’Enrico Letta a mis en exergue la fragmentation du marché unique et cela pèse sur le dynamisme de l’économie européenne. Cette fragmentation dans divers milieux, la communication, l’énergie ou encore la finance, est le résultat d’un achèvement du Marché unique. Cependant, il ne faut pas oublier que depuis le Covid, les réponses aux crises ont été de redonner des marges de manœuvre aux Etats membres. Cela a relativement bien fonctionné, mais en même temps, cette renationalisation a amplifié la fragmentation. Le rapport Draghi a également pointé le décrochage européen, avec la nécessité d’un investissement de 800 milliards d’euros chaque année pour rattraper le retard de l’Union vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine. L’un des grands défis reste de trouver un moyen de redynamiser l’économie européenne, tout en poursuivant la trajectoire vers la neutralité carbone. Un point qu’il est possible de voir déjà dans la nomination de la Commissaire roumaine avec un portefeuille regroupant : les personnes, les compétences et la formation. Ce nom de portefeuille rentre plus dans une logique de capital humain que de social en tant que tel, même si dans les dossiers et missions, il est possible de retrouver la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux entre autres.

 

Première Intervention – Jean Lapeyre

Jean Lapeyre, ancien secrétaire général adjoint de la Confédération européenne des Syndicats (CES), revient sur les actions de la dernière mandature et aborde le contexte dans lequel va évoluer le dialogue social européen :

  • Retour sur le bilan social de la dernière législature européenne

Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Le bilan n’est pas si mauvais que ça malgré deux crises. Le Covid, qui a révélé les insuffisances en matière de santé et a permis de développer une politique commune d’achat, mais aussi le développement du télétravail. Puis l’Ukraine, avec des conséquences sur le pouvoir d’achat et notamment l’augmentation du prix de l’énergie. Malgré cela, de 2019 à 2024, il y a quand même eu des acquis sociaux extrêmement importants, soutenus par Ursula Von der Leyen et Nicolas Schmidt : une directive sur le salaire minimum, une directive sur les travailleurs des plateformes, ou encore une directive sur la transparence des rémunérations pour l’égalité homme/femme.

  • La nouvelle mandature

Malgré une montée de l’extrême-droite en Europe, le nouveau parlement est assez stable. Afin de faire avancer les causes sociales, il faut une majorité et trouver des coalitions entre les sociaux-démocrates, Renew et les conservateurs, ce qui est toujours possible. D’un autre côté, l’extrême-droite se dit sociale, mais par exemple, le Rassemblement National au Parlement a voté contre le salaire minimum, contre la transparence et contre la rémunération des stagiaires.

La nouvelle Commissaire dite « social », ne vient pas d’un pays avec du dialogue social, un dialogue qui est pourtant en souffrance en Europe, après l’échec des négociations sur le télétravail en 2024. Un point majeur, le droit à la déconnexion, a posé problème, après plus d’un an de négociations, le patronat privé a quitté la discussion. Il n’y a également pas eu de révision sur le comité social européen. De plus, il y a une réelle difficulté pour les mutuelles de se redéfinir dans le cadre européen, car plus aucun accord n’a été conclu depuis 2022 dans le secteur.

  • Val Duchesse

Le 31 janvier 1985, première réunion par Jacques Delors des dirigeants employeurs et des syndicats pour lancer le dialogue social européen. Cette réunion a eu lieu à nouveau en 2024 avec un accord tripartite sur différents points : répondre aux pénuries de mains d’œuvres, création d’un émissaire pour le dialogue social et le lancement de l’idée d’un pacte pour le dialogue social européen (objectif 0 mort au travail, droit des personnes handicapés, …). Pour les syndicats, le plus important reste la négociation de ce pacte et les directives sur le droit, avec également le droit à la déconnexion et la révision du comité social européen.

  • Les mutuelles

Il y a une difficulté de définition, notamment avec une arrogance française et un service public à la française face à la tradition des pays qui sont plus décentralisés (pays nordiques, Allemagne, Italie), ces derniers assurent une territorialisation des services publiques. Pour les mutuelles, il y a un cas français qui n’est pas évident à comprendre pour les autres pays donc le statut de la mutuelle européenne est un serpent de mer. Toutefois, l’idée d’une double adhésion des mutuelles auprès du CEP (organisation patronale confédérale) et des assurances, reste une réflexion pour une complémentarité face à un dialogue social limité.

 

Seconde intervention – Sofia Fernandes

Sofia Fernandes, Directrice adjointe de l’Institut Jacques Delors, dresse le bilan social des cinq dernières années avant de développer les priorités de la nouvelle mandature :

  • Le bilan de la dernière mandature

Le bilan de la commission Von der Leyne de 2019-2024 n’est pas mauvais, la commission avait présenté un plan pour l’économie sociale qui a eu comme objectif d’accroître sa visibilité et à préparer ses acteurs aux transitions et à s’adapter. Un plan qui doit notamment faciliter l’accès aux financements européens et privés.

  • Quid des 5 prochaines années ?

Il y a un risque en termes d’affichage, Ursula Von der Leyen maintien une ambition sociale avec deux réunions : une en janvier avec les partenaires sociaux et un sommet social de la Hulpe. Toutefois, il existe un risque de décalage entre l’ambition et l’action. Ces dernières semaines, la question de la Commissaire/ Vice-Présidente « social » est très présente puisque c’est la première fois depuis les années 1970, que son nom de portefeuille n’est pas « emploi et affaires sociales ». Dans sa feuille de mission, il est possible de trouver des missions telles que le renforcement du capital humain, mais il faut aller plus loin. Il y a également beaucoup de grands projets : union des compétences, l’égalité, stratégie de lutte contre la pauvreté, etc., mais concrètement aucune traduction. Il y a donc un décalage total par rapport à 2019 où le commissaire Nicolas Schmidt avait des initiatives concrètes comme le salaire minimum ou le congé parental. L’argument de la Présidente de la Commission est que le social est transversal donc il doit être présent dans plusieurs portefeuilles. Sur le principe c’est bien, mais dans la réalité si le social est partout il n’est peut-être nulle part. Dans le Traité de Lisbonne, il y a une clause sociale horizontale, ce qui induit que dans toutes ses décisions la Commission européenne doit prendre en compte l’impact social des mesures qu’elle adopte. Toutefois, elle n’a jamais été prise en considération, donc il faut se méfier du social « partout ».

 

Pour aller plus loin sur les sujets qui ont été évoqués lors de cette rencontre :

Nouvelle Commission – quelle ambition sociale pour l’UE ?, Sofia Fernandes, https://institutdelors.eu/publications/nouvelle-commission-quelle-ambition-sociale-pour-lue/

Europe sociale : le dialogue social au centre des débats, Philippe Pochet, https://institutdelors.eu/publications/europe-sociale-le-dialogue-social-au-centre-des-debats/

Vers des salaires minimum adéquats dans l’Union européenne ?, Sofia Fernandes et Klervi Kerneïs, https://institutdelors.eu/publications/vers-des-salaires-minimum-adequats-dans-lunion-europeenne-2/