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2018, année pour assumer le choix de l’Europe
En 2017, deux dispositifs exceptionnels du traité européen, conçus initialement pour ne jamais être utilisés, l’ont été en l’espace de quelques mois : l’article 7 contre la Pologne, et l’article 50 déclenchant le Brexit. Ces deux procédures risquent d’empoisonner le climat politique européen durant cette nouvelle année 2018. En arriver à ces extrémités, n’avoir pu les prévenir en amont, conduit aujourd’hui à rappeler ce qu’implique le contrat européen.
L’année 2017 s’est terminée sur une triste note pour l’Union européenne : l’activation du désormais fameux article 7 du traité européen contre la Pologne pour risque de grave atteinte à l’État de droit, qui peut potentiellement la priver de son droit de vote au Conseil de l’UE. Plus tôt dans l’année, c’est l’article 50 qui a été déclenché par le Royaume-Uni pour lancer le compte à rebours du Brexit. Alors que d’autres passages des traités pouvant faire avancer l’Europe restent lettre morte, deux dispositifs tout à fait exceptionnels, conçus initialement pour ne jamais être utilisés, l’ont été en l’espace de quelques mois (comme ailleurs, pour d’autres raisons, l’article 155 de la Constitution espagnole envers la Catalogne). En arriver à ces extrémités, n’avoir pu les prévenir en amont, conduit aujourd’hui à rappeler ce qu’implique le contrat européen.
Bien qu’entièrement distinctes l’une de l’autre, les deux procédures en cours risquent d’empoisonner le climat politique européen durant cette nouvelle année 2018. Rien de fracassant ou de spectaculaire dans ces longues joutes juridiques. C’est même une marque de sophistication de la gestion des contentieux que de parvenir ainsi à les contenir, du moins les encadrer. Mais cela traduit un état de tension interne à l’Union européenne. Le défi en 2018 sera d’éviter qu’il soit trop exploité et exacerbé politiquement à l’approche des élections européennes de l’an prochain ou des divers scrutins nationaux qui vont jalonner l’année. Toute la difficulté dans la conduite des procédures actuelles sera de ne pas les laisser être transformées en machine à humiliations nationales, qui s’imprimeraient dans les mémoires des peuples. Même plus politique, la Commission doit montrer qu’elle agit en gardienne des traités, pas en donneuse de leçons. Plus largement, l’UE doit rappeler plus que jamais que son projet n’est pas contraire aux nations, qu’elle est respectueuse des histoires singulières, des préférences collectives et qu’elle chérit la diversité.
Mais, sur le fond, le début de mise au ban d’un pays – on parle de « Polexit » – et la préparation de la sortie délibérée d’un autre – la Grande-Bretagne – mettent tous deux en exergue le choix fondamental que représente, pour un peuple, son adhésion à l’Union européenne. Un choix qui oblige. Au fil de l’année 2017, les Britanniques ont pris la mesure de tout ce qu’impliquait cette sortie, dont ils ont pris le chemin pour des raisons qui leur appartiennent. Ils n’ont pas fini d’en tirer toutes les conséquences, que Michel Barnier leur rappelle avec une courtoise fermeté.
Dans un autre rôle, Frans Timmermans a la mission délicate de faire valoir à la Pologne ce qu’implique être membre de l’UE au regard de l’État de droit, en particulier l’indépendance de la justice. Mais l’activation inédite de l’article 7 devrait servir aussi d’avertissement à d’autres États de l’UE tentés de transgresser les libertés fondamentales, lesquelles relèvent de ce qu’on nomme succinctement les valeurs ou les principes européens.
Dans les deux cas, que l’on prétende rester dans l’Union ou en sortir, il y a un choix démocratique, un choix souverain, qui a été posé et qu’il faut assumer. Personne n’est obligé de rejoindre l’Union européenne. Souvenons-nous, les Britanniques avaient dit oui à l’Europe par référendum en 1975. D’autres, comme les Norvégiens, ont refusé à deux reprises d’y entrer par la même voie référendaire. Et comme dans un club anglais, on est admis si les autres membres présents vous acceptent. Il a fallu surmonter par un référendum français, en 1972, le double veto de De Gaulle à l’entrée de la Grande-Bretagne, qui a d’emblée jeté un froid sur les relations entre les Britanniques et le continent.
Aujourd’hui, vis-à-vis des Britanniques, l’UE peut se targuer de respecter un choix démocratique, fut-il sous la forme la plus caricaturale de la consultation référendaire tenue le 29 juin 2016 outre-Manche après une campagne agressive voire haineuse. Sauf à ce que même le peuple britannique change d’avis ou que ses représentants à Westminster reprennent le dessus, le Brexit devra finir par s’effectuer. Au risque sinon d’envoyer le message dévastateur qu’un pays se trouverait finalement pris dans les mailles de l’UE, sans jamais pouvoir s’en défaire. Mais choisir, c’est renoncer. Y compris, si l’on en sort, aux avantages du marché européen et à sa force commerciale internationale, quand bien même leur attrait est redécouvert sur le tard outre-Manche.
À l’égard de la Pologne, la démarche est inverse. Il s’agit de mettre en avant non pas les conséquences de vouloir sortir de l’UE mais celles d’y être entré. Les Polonais ont choisi de rejoindre l’UE lors d’un référendum en 2003, où le « oui » l’avait emporté à plus de 77% (un vote toutefois terni par une abstention dépassant les 40%). Depuis le début, Varsovie se pose, à juste titre, comme un membre incontournable de l’Union, souhaitant peser sur son orientation. Mais celle-ci repose sur un socle de droits fondamentaux que chaque État de l’UE s’engage à honorer. La Pologne n’est pas la seule visée. La voix de l’Europe ne sera crédible et écoutée dans le monde que si elle est cohérente avec elle-même, notamment de Prague à Budapest et de Vienne à Bucarest, en passant par Madrid et Barcelone, entre autres. De haute source bruxelloise, un tiers des membres de l’UE sont critiquables sur le respect de l’État de droit.
Il est souvent reproché à l’UE son « déficit démocratique ». Les « Brexiters » en ont fait un argument pour justifier une prétendue reprise de contrôle national de leurs choix. Les plus eurosceptiques parmi les Polonais n’hésitent pas à comparer Bruxelles à Moscou. Le grand défi lancé aux institutions européennes et aux États de l’Union en 2018 est de montrer, tout au contraire, qu’elles respectent et font respecter le fonctionnement démocratique et les règles de l’État de droit. L’Europe peut s’intégrer de manière différenciée, selon les choix collectifs de chaque pays, mais, pour ses valeurs fondatrices, il n’y a pas d’Europe possible à plusieurs vitesses. De même, l’Europe doit être ferme sur les règles indissociables du marché unique dans la négociation de sa future relation avec le Royaume-Uni.
Les « consultations citoyennes », appelées à se dérouler en France et quelques autres pays européens cette année, peuvent être l’occasion de vérifier cet attachement aux valeurs, de les expliciter, de faire la démonstration, à travers la préparation du Brexit, de tout ce que facilite en pratique l’adhésion européenne alors qu’elle reste trop associée à d’inutiles complications. Le déclenchement des articles 7 et 50 donne l’occasion de s’approprier ce qu’implique le choix de faire partie de l’Union européenne, traçant là un chemin d’appartenance à un même projet.
Sébastien Maillard